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Read book online «Vingt Mille Lieues Sous Les Mers — Part 1 by Jules Verne (read ebook pdf .TXT) 📕».   Author   -   Jules Verne



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de revenir respirer Ă  la surface des eaux, comme un cĂ©tacĂ©, et de renouveler pour vingt-quatre heures sa provision d'atmosphère ? Quoi qu'il en soit, et quelle que fĂ»t la mĂ©thode, il me paraissait prudent de l'employer sans retard.

En effet, j'Ă©tais dĂ©jĂ  rĂ©duit Ă  multiplier mes inspirations pour extraire de cette cellule le peu d'oxygène qu'elle renfermait, quand, soudain, je fus rafraĂ®chi par un courant d'air pur et tout parfumĂ© d'Ă©manations salines. C'Ă©tait bien la brise de mer, vivifiante et chargĂ©e d'iode ! J'ouvris largement la bouche, et mes poumons se saturèrent de fraĂ®ches molĂ©cules. En mĂŞme temps, je sentis un balancement, un roulis de mĂ©diocre amplitude, mais parfaitement dĂ©terminable. Le bateau, le monstre de tĂ´le venait Ă©videmment de remonter Ă  la surface de l'OcĂ©an pour y respirer Ă  la façon des baleines. Le mode de ventilation du navire Ă©tait donc parfaitement reconnu.

Lorsque j'eus absorbĂ© cet air pur Ă  pleine poitrine, je cherchai le conduit, l'« aĂ©rifère Â», si l'on veut, qui laissait arriver jusqu'Ă  nous ce bienfaisant effluve, et je ne tardai pas Ă  le trouver. Au-dessus de la porte s'ouvrait un trou d'aĂ©rage laissant passer une fraĂ®che colonne d'air, qui renouvelait ainsi l'atmosphère appauvrie de la cellule.

J'en étais là de mes observations, quand Ned et Conseil s'éveillèrent presque en même temps, sous l'influence de cette aération revivifiante. Ils se frottèrent les yeux, se détirèrent les bras et furent sur pied en un instant.

« Monsieur a bien dormi ? me demanda Conseil avec sa politesse quotidienne.

— Fort bien, mon brave garçon, rĂ©pondis-je. Et, vous, maĂ®tre Ned Land ?

— ProfondĂ©ment, monsieur le professeur. Mais, je ne sais si je me trompe, il me semble que je respire comme une brise de mer ? Â»

Un marin ne pouvait s'y méprendre, et je racontai au Canadien ce qui s'était passé pendant son sommeil.

« Bon ! dit-il, cela explique parfaitement ces mugissements que nous entendions, lorsque le prĂ©tendu narwal se trouvait en vue de l'Abraham-Lincoln.

— Parfaitement, maĂ®tre Land, c'Ă©tait sa respiration !

— Seulement, monsieur Aronnax, je n'ai aucune idĂ©e de l'heure qu'il est, Ă  moins que ce ne soit l'heure du dĂ®ner ?

— L'heure du dĂ®ner, mon digne harponneur ? Dites, au moins, l'heure du dĂ©jeuner, car nous sommes certainement au lendemain d'hier.

— Ce qui démontre, répondit Conseil, que nous avons pris vingt-quatre heures de sommeil.

— C'est mon avis, répondis-je.

— Je ne vous contredis point, répliqua Ned Land. Mais dîner ou déjeuner, le stewart sera le bienvenu, qu'il apporte l'un ou l'autre.

— L'un et l'autre, dit Conseil

— Juste, répondit le Canadien, nous avons droit à deux repas, et pour mon compte, je ferai honneur à tous les deux.

— Eh bien ! Ned, attendons, rĂ©pondis-je. Il est Ă©vident que ces inconnus n'ont pas l'intention de nous laisser mourir de faim, car, dans ce cas, le dĂ®ner d'hier soir n'aurait aucun sens.

— A moins qu'on ne nous engraisse ! riposta Ned.

— Je proteste, rĂ©pondis-je. Nous ne sommes point tombĂ©s entre les mains de cannibales !

— Une fois n'est pas coutume, répondit sérieusement le Canadien. Qui sait si ces gens-là ne sont pas privés depuis longtemps de chair fraîche, et dans ce cas, trois particuliers sains et bien constitués comme monsieur le professeur, son domestique et moi...

— Chassez ces idées, maître Land, répondis-je au harponneur, et surtout, ne partez pas de là pour vous emporter contre nos hôtes, ce qui ne pourrait qu'aggraver la situation.

— En tout cas, dit le harponneur, j'ai une faim de tous les diables, et dĂ®ner ou dĂ©jeuner, le repas n'arrive guère !

— Maître Land, répliquai-je, il faut se conformer au règlement du bord, et je suppose que notre estomac avance sur la cloche du maître-coq.

— Eh bien ! on le mettra Ă  l'heure, rĂ©pondit tranquillement Conseil.

— Je vous reconnais lĂ , ami Conseil, riposta l'impatient Canadien. Vous usez peu votre bile et vos nerfs ! Toujours calme ! Vous seriez capable de dire vos grâces avant votre bĂ©nĂ©dicitĂ©, et de mourir de faim plutĂ´t que de vous plaindre !

— A quoi cela servirait-il ? demanda Conseil.

— Mais cela servirait Ă  se plaindre ! C'est dĂ©jĂ  quelque chose. Et si ces pirates — je dis pirates par respect, et pour ne pas contrarier monsieur le professeur qui dĂ©fend de les appeler cannibales — , si ces pirates se figurent qu'ils vont me garder dans cette cage oĂą j'Ă©touffe, sans apprendre de quels jurons j'assaisonne mes emportements, ils se trompent ! Voyons, monsieur Aronnax, parlez franchement. Croyez-vous qu'ils nous tiennent longtemps dans cette boĂ®te de fer ?

— A dire vrai, je n'en sais pas plus long que vous, ami Land.

— Mais enfin, que supposez-vous ?

— Je suppose que le hasard nous a rendus maîtres d'un secret important. Or, l'équipage de ce bateau sous-marin a intérêt à le garder, et si cet intérêt est plus grave que la vie de trois hommes, je crois notre existence très compromise. Dans le cas contraire, à la première occasion, le monstre qui nous a engloutis nous rendra au monde habité par nos semblables.

— A moins qu'il ne nous enrôle parmi son équipage, dit Conseil, et qu'il nous garde ainsi...

— Jusqu'au moment, répliqua Ned Land, où quelque frégate, plus rapide ou plus adroite que l'Abraham-Lincoln, s'emparera de ce nid de forbans, et enverra son équipage et nous respirer une dernière fois au bout de sa grand'vergue.

— Bien raisonné, maître Land, répliquai-je. Mais on ne nous a pas encore fait, que je sache, de proposition à cet égard. Inutile donc de discuter le parti que nous devrons prendre, le cas échéant. Je vous le répète, attendons, prenons conseil des circonstances, et ne faisons rien, puisqu'il n'y a rien à faire.

— Au contraire ! monsieur le professeur, rĂ©pondit le harponneur, qui n'en voulait pas dĂ©mordre, il faut faire quelque chose.

— Eh ! quoi donc, maĂ®tre Land ?

— Nous sauver.

— Se sauver d'une prison « terrestre Â» est souvent difficile, mais d'une prison sous-marine, cela me paraĂ®t absolument impraticable.

— Allons, ami Ned, demanda Conseil, que rĂ©pondez-vous Ă  l'objection de monsieur ? Je ne puis croire qu'un AmĂ©ricain soit jamais Ă  bout de ressources ! Â»

Le harponneur, visiblement embarrassé, se taisait. Une fuite, dans les conditions où le hasard nous avait jetés, était absolument impossible. Mais un Canadien est à demi français, et maître Ned Land le fit bien voir par sa réponse.

« Ainsi, monsieur Aronnax, reprit-il après quelques instants de rĂ©flexion, vous ne devinez pas ce que doivent faire des gens qui ne peuvent s'Ă©chapper de leur prison ?

— Non, mon ami.

— C'est bien simple, il faut qu'ils s'arrangent de manière à y rester.

— Parbleu ! fit Conseil, vaut encore mieux ĂŞtre dedans que dessus ou dessous !

— Mais après avoir jeté dehors geôliers, porte-clefs et gardiens, ajouta Ned Land.

— Quoi, Ned ? vous songeriez sĂ©rieusement Ă  vous emparer de ce bâtiment ?

— Très sérieusement, répondit le Canadien.

— C'est impossible.

— Pourquoi donc, monsieur ? Il peut se prĂ©senter quelque chance favorable, et je ne vois pas ce qui pourrait nous empĂŞcher d'en profiter. S'ils ne sont qu'une vingtaine d'hommes Ă  bord de cette machine, ils ne feront pas reculer deux Français et un Canadien, je suppose ! Â»

Mieux valait admettre la proposition du harponneur que de la discuter. Aussi, me contentai-je de rĂ©pondre :

« Laissons venir les circonstances, maĂ®tre Land, et nous verrons. Mais, jusque-lĂ , je vous en prie, contenez votre impatience. On ne peut agir que par ruse, et ce n'est pas en vous emportant que vous ferez naĂ®tre des chances favorables. Promettez-moi donc que vous accepterez la situation sans trop de colère.

— Je vous le promets, monsieur le professeur, répondit Ned Land d'un ton peu rassurant. Pas un mot violent ne sortira de ma bouche, pas un geste brutal ne me trahira, quand bien même le service de la table ne se ferait pas avec toute la régularité désirable.

— J'ai votre parole, Ned Â», rĂ©pondis-je au Canadien.

Puis, la conversation fut suspendue, et chacun de nous se mit Ă  rĂ©flĂ©chir Ă  part soi. J'avouerai que, pour mon compte, et malgrĂ© l'assurance du harponneur, je ne conservais aucune illusion. Je n'admettais pas ces chances favorables dont Ned Land avait parlĂ©. Pour ĂŞtre si sĂ»rement manoeuvrĂ©, le bateau sous-marin exigeait un nombreux Ă©quipage, et consĂ©quemment, dans le cas d'une lutte, nous aurions affaire Ă  trop forte partie. D'ailleurs, il fallait, avant tout, ĂŞtre libres, et nous ne l'Ă©tions pas. Je ne voyais mĂŞme aucun moyen de fuir cette cellule de tĂ´le si hermĂ©tiquement fermĂ©e. Et pour peu que l'Ă©trange commandant de ce bateau eĂ»t un secret Ă  garder — ce qui paraissait au moins probable il ne nous laisserait pas agir librement Ă  son bord. Maintenant, se dĂ©barrasserait-il de nous par la violence, ou nous jetterait-il un jour sur quelque coin de terre ? C'Ă©tait lĂ  l'inconnu. Toutes ces hypothèses me semblaient extrĂŞmement plausibles, et il fallait ĂŞtre un harponneur pour espĂ©rer de reconquĂ©rir sa libertĂ©.

Je compris d'ailleurs que les idées de Ned Land s'aigrissaient avec les réflexions qui s'emparaient de son cerveau. J'entendais peu à peu les jugements gronder au fond de son gosier, et je voyais ses gestes redevenir menaçants. Il se levait, tournait comme une bête fauve en cage, frappait les murs du pied et du poing. D'ailleurs, le temps s'écoulait, la faim se faisait cruellement sentir, et, cette fois, le stewart ne paraissait pas. Et c'était oublier trop longtemps notre position de naufragés, si l'on avait réellement de bonnes intentions à notre égard.

Ned Land, tourmenté par les tiraillements de son robuste estomac, se montait de plus en plus, et, malgré sa parole, je craignais véritablement une explosion, lorsqu'il se trouverait en présence de l'un des hommes du bord.

Pendant deux heures encore, la colère de Ned Land s'exalta. Le Canadien appelait, il criait, mais en vain. Les murailles de tôle étaient sourdes. Je n'entendais même aucun bruit à l'intérieur de ce bateau, qui semblait mort. Il ne bougeait pas, car j'aurais évidemment senti les frémissements de la coque sous l'impulsion de l'hélice. Plongé sans doute dans l'abîme des eaux, il n'appartenait plus à la terre. Tout ce morne silence était effrayant.

Quant Ă  notre abandon, notre isolement au fond de cette cellule, je n'osais estimer ce qu'il pourrait durer. Les espĂ©rances que j'avais conçues après notre entrevue avec le commandant du bord s'effaçaient peu Ă  peu. La douceur du regard de cet homme, l'expression gĂ©nĂ©reuse de sa physionomie, la noblesse de son maintien, tout disparaissait de mon souvenir. Je revoyais cet Ă©nigmatique personnage tel qu'il devait ĂŞtre, nĂ©cessairement impitoyable, cruel. Je le sentais en dehors de l'humanitĂ©, inaccessible Ă  tout sentiment de pitiĂ©, implacable ennemi de ses semblables auxquels il avait dĂ» vouer une impĂ©rissable haine !

Mais, cet homme, allait-il donc nous laisser pĂ©rir d'inanition, enfermĂ©s dans cette prison Ă©troite livrĂ©s Ă  ces horribles tentations auxquelles pousse la faim farouche ? Cette affreuse pensĂ©e prit dans mon esprit une intensitĂ© terrible, et l'imagination aidant, je me sentis envahir par une Ă©pouvante insensĂ©e. Conseil restait calme, Ned Land rugissait.

En ce moment, un bruit se fit entendre extérieurement.

Des pas résonnèrent sur la dalle de métal. Les serrures furent fouillées, la porte s'ouvrit, le stewart parut.

Avant que j'eusse fait un mouvement pour l'en empĂŞcher, le Canadien s'Ă©tait prĂ©cipitĂ© sur ce malheureux ; il l'avait renversĂ© ; il le tenait Ă  la gorge. Le stewart Ă©touffait sous sa main puissante.

Conseil cherchait dĂ©jĂ  Ă  retirer des mains du harponneur sa victime Ă  demi suffoquĂ©e, et j'allais joindre mes efforts aux siens, quand, subitement, je fus clouĂ© Ă  ma place par ces mots prononcĂ©s en français :

« Calmez-vous, maĂ®tre Land, et vous, monsieur le professeur, veuillez m'Ă©couter ! Â»

X L'HOMME DES EAUX

C'Ă©tait le commandant du bord qui parlait ainsi.

A ces mots, Ned Land se releva subitement. Le stewart, presque Ă©tranglĂ© sortit en chancelant sur un signe de son maĂ®tre ; mais tel Ă©tait l'empire du commandant Ă  son bord, que pas un geste ne trahit le ressentiment dont cet homme devait ĂŞtre animĂ© contre le Canadien. Conseil, intĂ©ressĂ© malgrĂ© lui, moi stupĂ©fait, nous attendions en silence le dĂ©nouement de cette scène.

Le commandant, appuyĂ© sur l'angle de la table, les bras croisĂ©s, nous observait avec une profonde attention. HĂ©sitait-il Ă  parler ? Regrettait-il ces mots qu'il venait de prononcer en français ? On pouvait le croire.

Après quelques instants d'un silence qu'aucun de nous ne songea Ă  interrompre :

« Messieurs, dit-il d'une voix calme et pĂ©nĂ©trante, je parle Ă©galement le français, l'anglais, l'allemand et le latin. J'aurais donc pu vous rĂ©pondre dès notre première entrevue, mais je voulais

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