Voyage au Centre de la Terre by Jules Verne (large ebook reader txt) 📕
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- Author: Jules Verne
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Cependant, si peu que j'eusse hasardé mes regards dans ce puits, je m'étais rendu compte de sa conformation. Ses parois, presque à pic, présentaient cependant de nombreuses saillies qui devaient faciliter la descente; mais si l'escalier ne manquait pas, la rampe faisait défaut. Une corde attachée à l'orifice aurait suffi pour nous soutenir, mais comment la détacher, lorsqu'on serait parvenu à son extrémité inférieure?
Mon oncle employa un moyen fort simple pour obvier à cette difficulté. Il déroula une corde de la grosseur du pouce et longue de quatre cents pieds; il en laissa filer d'abord la moitié, puis il l'enroula autour d'un bloc de lave qui faisait saillie et rejeta l'autre moitié dans la cheminée. Chacun de nous pouvait alors descendre en réunissant dans sa main les deux moitiés de la corde qui ne pouvait se défiler; une fois descendus de deux cents pieds, rien ne nous serait plus aisé que de la ramener en lâchant un bout et en halant sur l'autre. Puis, on recommencerait cet exercice usque ad infinitum.
«Maintenant, dit mon oncle après avoir achevé ces préparatifs, occupons-nous des bagages; ils vont être divisés en trois paquets, et chacun de nous en attachera un sur son dos; j'entends parler seulement des objets fragiles.»
L'audacieux professeur ne nous comprenait évidemment pas dans cette dernière catégorie.
«Hans, reprit-il, va se charger des outils et d'une partie des vivres; toi, Axel, d'un second tiers des vivres et des armes; moi, du reste des vivres et des instruments délicats.
—Mais, dis-je, et les vêtements, et cette masse de cordes et d'échelles, qui se chargera de les descendre?
—Ils descendront tout seuls.
—Comment cela? demandai-je fort étonné.
—Tu vas le voir.»
Mon oncle employait volontiers les grands moyens et sans hésiter. Sur son ordre, Hans réunit en un seul colis les objets non fragiles, et ce paquet, solidement cordé, fut tout bonnement précipité dans le gouffre.
J'entendis ce mugissement sonore produit par le déplacement des couches d'air. Mon oncle, penché sur l'abîme, suivait d'un oeil satisfait la descente de ses bagages, et ne se releva qu'après les avoir perdus de vue.
«Bon, fit-il. A nous maintenant.»
Je demande à tout homme de bonne foi s'il était possible d'entendre sans frissonner de telles paroles!
Le professeur attacha sur son dos le paquet des instruments; Hans prit celui des outils, moi celui des armes. La descente commença dans l'ordre suivant: Hans, mon oncle et moi. Elle se fit dans un profond silence, troublé seulement par la chute des débris de roc qui se précipitaient dans l'abîme.
Je me laissai couler, pour ainsi dire, serrant frénétiquement la double corde d'une main, de l'autre m'arc-boutant au moyen de mon bâton ferré. Une idée unique me dominait: je craignais que le point d'appui ne vint à manquer. Cette corde me paraissait bien fragile pour supporter le poids de trois personnes. Je m'en servais le moins possible, opérant des miracles d'équilibre sur les saillies de lave que mon pied cherchait à saisir comme une main.
Lorsqu'une de ces marches glissantes venait à s'ébranler sous le pas de Hans, il disait de sa voix tranquille:
—«Gif akt!»
—Attention!» répétait mon oncle.
Après une demi-heure, nous étions arrivés sur la surface d'un roc fortement engagé dans la paroi de la cheminée.
Hans tira la corde par l'un de ses bouts; l'autre s'éleva dans l'air; après avoir dépassé le rocher supérieur, il retomba en raclant les morceaux de pierres et de laves, sorte de pluie, ou mieux, de grêle fort dangereuse.
En me penchant au-dessus de notre étroit plateau, je remarquai que le fond du trou était encore invisible.
La manoeuvre de la corde recommença, et une demi-heure après nous avions gagné une nouvelle profondeur de deux cents pieds.
Je ne sais si le plus enragé géologue eût essayé d'étudier, pendant cette descente, la nature des terrains qui l'environnaient. Pour mon compte, je ne m'en inquiétai guère; qu'ils fussent pliocènes, miocènes, éocènes, crétacés, jurassiques, triasiques, perniens, carbonifères, dévoniens, siluriens ou primitifs, cela me préoccupa peu. Mais le professeur, sans doute, fit ses observations ou prit ses notes, car, à l'une des haltes, il me dit:
«Plus je vais, plus j'ai confiance; la disposition de ces terrains volcaniques donne absolument raison à la théorie de Davy. Nous sommes en plein sol primordial, sol dans lequel s'est produit l'opération chimique des métaux enflammés au contact de l'air et de l'eau; je repousse absolument le système d'une chaleur centrale; d'ailleurs, nous verrons bien.»
Toujours la même conclusion. On comprend que je ne m'amusai pas à discuter. Mon silence fut pris pour un assentiment, et la descente recommença.
Au bout de trois heures, je n'entrevoyais pas encore le fond de la cheminée. Lorsque je relevais la tête, j'apercevais son orifice qui décroissait sensiblement; ses parois, par suite de leur légère inclinaison, tendaient à se rapprocher, l'obscurité se faisait peu à peu.
Cependant nous descendions toujours; il me semblait que les pierres détachées des parois s'engloutissaient avec une répercussion plus mate et qu'elles devaient rencontrer promptement le fond de l'abîme.
Comme j'avais eu soin de noter exactement nos manoeuvres de corde, je pus me rendre un compte exact de la profondeur atteinte et du temps écoulé.
Nous avions alors répété quatorze fois cette manoeuvre qui durait une demi-heure. C'était donc sept heures, plus quatorze quarts d'heure de repos ou trois heures et demie. En tout, dix heures et demie. Nous étions partis à une heure, il devait être onze heures en ce moment.
Quant à la profondeur à laquelle nous étions parvenus, ces quatorze manoeuvres d'une corde de deux cents pieds donnaient deux mille huit cents pieds.
En ce moment la voix de Hans se fit entendre:
—«Halt!» dit-il.
Je m'arrêtai court au moment où j'allais heurter de mes pieds la tête de mon oncle.
«Nous sommes arrivés, dit celui-ci.
—Où? demandai-je en me laissant glisser près de lui.
—Au fond de la cheminée perpendiculaire.
—Il n'y a donc pas d'autre issue?
—Si, une sorte de couloir que j'entrevois et qui oblique vers la droite. Nous verrons cela demain. Soupons d'abord et nous dormirons après.»
L'obscurité n'était pas encore complète. On ouvrit le sac aux provisions, on mangea et l'on se coucha de son mieux sur un lit de pierres et de débris de lave.
Et quand, étendu sur le dos, j'ouvris les yeux, j'aperçus un point brillant à l'extrémité de ce tube long de trois mille pieds, qui se transformait en une gigantesque lunette.
C'était une étoile dépouillée de toute scintillation et qui, d'après mes calculs, devait être sigma de la petite Ourse.
Puis je m'endormis d'un profond sommeil.
XVIIIA huit heures du matin, un rayon du jour vint nous réveiller. Les mille facettes de lave des parois le recueillaient à son passage et l'éparpillaient comme une pluie d'étincelles.
Cette lueur était assez forte pour permettre de distinguer les objets environnants.
«Eh bien! Axel, qu'en dis-tu? fit mon oncle en se frottant les mains. As-tu jamais passé une nuit plus paisible dans notre maison de Königstrasse. Plus de bruit de charrettes, plus de cris de marchands, plus de vociférations de bateliers!
—Sans doute, nous sommes fort tranquilles au fond de ce puits; mais ce calme même a quelque chose d'effrayant.
—Allons donc, s'écria mon oncle, si tu t'effrayes déjà, que sera-ce plus tard? Nous ne sommes pas encore entrés d'un pouce dans les entrailles de la terre?
—Que voulez-vous dire?
—Je veux dire que nous avons atteint seulement le sol de l'île! Ce long tube vertical, qui aboutit au cratère du Sneffels, s'arrête à peu près au niveau de la mer.
—En êtes-vous certain?
—Très certain; consulte le baromètre, tu verras!»
En effet, le mercure, après avoir peu à peu remonté dans l'instrument à mesure que notre descente s'effectuait, s'était arrêté à vingt-neuf pouces.
«Tu le vois, reprit le professeur, nous n'avons encore que la pression d'une atmosphère, et il me tarde que le manomètre vienne remplacer ce baromètre.»
Cet instrument allait, en effet, nous devenir inutile, du moment que le poids de l'air dépasserait sa pression calculée au niveau de l'Océan.
«Mais, dis-je, n'est-il pas à craindre que cette pression toujours croissante ne soit fort pénible?
—Non. Nous descendrons lentement, et nos poumons s'habitueront à respirer une atmosphère plus comprimée. Les aéronautes finissent par manquer d'air en s'élevant dans les couches supérieures; nous, nous en aurons trop peut-être. Mais j'aime mieux cela. Ne perdons pas un instant. Où est le paquet qui nous a précédés dans l'intérieur de la montagne?
Je me souvins alors que nous l'avions vainement cherché la veille au soir. Mon oncle interrogea Hans, qui, après avoir regardé attentivement avec ses yeux de chasseur, répondit:
«Der huppe!»
—Là-haut.»
En effet, ce paquet était accroché à une saillie de roc, à une centaine de pieds au-dessus de notre tête. Aussitôt l'agile Islandais grimpa comme un chat et, en quelques minutes, le paquet nous rejoignit.
«Maintenant, dit mon oncle, déjeunons; mais déjeunons comme des gens qui peuvent avoir une longue course à faire.»
Le biscuit et la viande sèche furent arrosés de quelques gorgées d'eau mêlée de genièvre.
Le déjeuner terminé, mon oncle tira de sa poche un carnet destiné aux observations; il prit successivement ses divers instruments et nota les données suivantes:
Lundi 1er juillet.
Chronomètre: 8 h. 17 m. du matin.
Baromètre: 29p. 7 l.
Thermomètre: 6°.
Direction: E.-S.-E.
Cette dernière observation s'appliquait à la galerie obscure et fut donnée par la boussole.
«Maintenant, Axel, s'écria le professeur d'une voix enthousiaste, nous allons nous enfoncer véritablement dans les entrailles du globe. Voici donc le moment précis auquel notre voyage commence.»
Cela dit, mon oncle prit d'une main l'appareil de Ruhmkorff suspendu a son cou; de l'autre, il mit en communication le courant électrique avec le serpentin de la lanterne, et une assez vive lumière dissipa les ténèbres de la galerie.
Hans portait le second appareil, qui fut également mis en activité. Cette ingénieuse application de l'électricité nous permettait d'aller longtemps en créant un jour artificiel, même au milieu des gaz les plus inflammables.
«En route!» fit mon oncle.
Chacun reprit son ballot. Hans se chargea de pousser devant lui le paquet des cordages et des habits, et, moi troisième, nous entrâmes dans la galerie.
Au moment de m'engouffrer dans ce couloir obscur, je relevai la tête, et j'aperçus une dernière fois, par le champ de l'immense tube, ce ciel de l'Islande «que je ne devais plus jamais revoir.»
La lave, à la dernière éruption de 1229, s'était frayé un passage à travers ce tunnel. Elle tapissait l'intérieur d'un enduit épais et brillant; la lumière électrique s'y réfléchissait en centuplant son intensité.
Toute la difficulté de la route consistait à ne pas glisser trop rapidement sur une pente inclinée à quarante-cinq degrés environ; heureusement, certaines érosions, quelques boursouflures, tenaient lieu de marches, et nous n'avions qu'à descendre en laissant filer nos bagages retenus par une longue corde.
Mais ce qui se faisait marche sous nos pieds devenait stalactites sur les autres parois; la lave, poreuse en de certains endroits, présentait de petites ampoules arrondies; des cristaux de quartz opaque, ornés de limpides gouttes de verre et suspendus à la voûte comme des lustres, semblaient s'allumer à notre passage. On eût dit que les génies du gouffre illuminaient leur palais pour recevoir les hôtes de la terre.
«C'est magnifique! m'écriai-je involontairement. Quel spectacle, mon oncle! Admirez-vous ces nuances de la lave qui vont du rouge brun au jaune éclatant par dégradations insensibles? Et ces cristaux qui nous apparaissent comme des globes lumineux?
—Ah! tu y viens, Axel! répondit mon oncle. Ah! tu trouves cela splendide, mon garçon! Tu en verras bien d'autres, je l'espère. Marchons! marchons!»
Il aurait dit plus justement «glissons,» car nous nous laissions aller sans fatigue sur des pentes inclinées. C'était le «facilis descensus Averni», de Virgile. La boussole, que je consultais fréquemment, indiquait la direction du sud-est avec une imperturbable rigueur. Cette coulée de lave n'obliquait ni d'un côté ni de l'autre. Elle avait l'inflexibilité de la ligne droite.
Cependant la chaleur n'augmentait pas d'une façon sensible; cela donnait raison aux théories de Davy, et plus d'une fois je consultai le thermomètre avec étonnement. Deux heures après le départ, il ne marquait encore que 10°, c'est-à-dire un accroissement de 4°. Cela m'autorisait à penser que notre descente était plus horizontale que
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