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Read book online «Vingt Mille Lieues Sous Les Mers — Part 1 by Jules Verne (read ebook pdf .TXT) 📕».   Author   -   Jules Verne



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masse liquide, c'est à peu près la quantité d'eau que verseraient tous les fleuves de la terre pendant quarante mille ans.

Durant les époques géologiques, à la période du feu succéda la période de l'eau. L'Océan fut d'abord universel. Puis, peu à peu, dans les temps siluriens, des sommets de montagnes apparurent, des îles émergèrent, disparurent sous des déluges partiels, se montrèrent à nouveau, se soudèrent, formèrent des continents et enfin les terres se fixèrent géographiquement telles que nous les voyons. Le solide avait conquis sur le liquide trente-sept millions six cent cinquante-sept milles carrés, soit douze mille neuf cent seize millions d'hectares.

La configuration des continents permet de diviser les eaux en cinq grandes parties : l'OcĂ©an glacial arctique, l'OcĂ©an glacial antarctique, l'OcĂ©an indien, l'OcĂ©an atlantique, l'OcĂ©an pacifique.

L'OcĂ©an pacifique s'Ă©tend du nord au sud entre les deux cercles polaires, et de l'ouest a l'est entre l'Asie et l'AmĂ©rique sur une Ă©tendue de cent quarante-cinq degrĂ©s en longitude. C'est la plus tranquille des mers ; ses courants sont larges et lents, ses marĂ©es mĂ©diocres, ses pluies abondantes. Tel Ă©tait l'OcĂ©an que ma destinĂ©e m'appelait d'abord Ă  parcourir dans les plus Ă©tranges conditions.

« Monsieur le professeur, me dit le capitaine Nemo, nous allons, si vous le voulez bien, relever exactement notre position, et fixer le point de dĂ©part de ce voyage. Il est midi moins le quart. Je vais remonter Ă  la surface des eaux. Â»

Le capitaine pressa trois fois un timbre Ă©lectrique. Les pompes commencèrent Ă  chasser l'eau des rĂ©servoirs ; l'aiguille du manomètre marqua par les diffĂ©rentes pressions le mouvement ascensionnel du Nautilus, puis elle s'arrĂŞta.

« Nous sommes arrivĂ©s Â», dit le capitaine.

Je me rendis à l'escalier central qui aboutissait à la plate-forme. Je gravis les marches de métal, et, par les panneaux ouverts, j'arrivai sur la partie supérieure du Nautilus.

La plate-forme émergeait de quatre-vingts centimètres seulement. L'avant et l'arrière du Nautilus présentaient cette disposition fusiforme qui le faisait justement comparer à un long cigare. Je remarquai que ses plaques de tôles, imbriquées légèrement, ressemblaient aux écailles qui revêtent le corps des grands reptiles terrestres. Je m'expliquai donc très naturellement que, malgré les meilleures lunettes, ce bateau eût toujours été pris pour un animal marin.

Vers le milieu de la plate-forme, le canot, Ă  demi-engagĂ© dans la coque du navire, formait une lĂ©gère extumescence. En avant et en arrière s'Ă©levaient deux cages de hauteur mĂ©diocre, Ă  parois inclinĂ©es, et en partie fermĂ©es par d'Ă©pais verres lenticulaires : l'une destinĂ©e au timonier qui dirigeait le Nautilus, l'autre oĂą brillait le puissant fanal Ă©lectrique qui Ă©clairait sa route.

La mer était magnifique, le ciel pur. A peine si le long véhicule ressentait les larges ondulations de l'Océan. Une légère brise de l'est ridait la surface des eaux. L'horizon, dégagé de brumes, se prêtait aux meilleures observations.

Nous n'avions rien en vue. Pas un écueil, pas un îlot. Plus d'Abraham-Lincoln. L'immensité déserte.

Le capitaine Nemo, muni de son sextant, prit la hauteur du soleil, qui devait lui donner sa latitude. Il attendit pendant quelques minutes que l'astre vint affleurer le bord de l'horizon. Tandis qu'il observait, pas un de ses muscles ne tressaillait, et l'instrument n'eût pas été plus immobile dans une main de marbre.

« Midi, dit-il. Monsieur le professeur, quand vous voudrez ?... Â»

Je jetai un dernier regard sur cette mer un peu jaunâtre des atterrages japonais, et je redescendis au grand salon.

LĂ , le capitaine fit son point et calcula chronomĂ©triquement sa longitude, qu'il contrĂ´la par de prĂ©cĂ©dentes observations d'angle horaires. Puis il me dit :

« Monsieur Aronnax, nous sommes par cent trente-sept degrĂ©s et quinze minutes de longitude Ă  l'ouest...

— De quel mĂ©ridien ? demandai-je vivement, espĂ©rant que la rĂ©ponse du capitaine m'indiquerait peut-ĂŞtre sa nationalitĂ©.

— Monsieur, me rĂ©pondit-il, j'ai divers chronomètres rĂ©glĂ©s sur les mĂ©ridiens de Paris, de Greenwich et de Washington. Mais, en votre honneur je me servirai de celui de Paris. Â»

Cette rĂ©ponse ne m'apprenait rien. Je m'inclinai, et le commandant reprit :

« Trente-sept degrĂ©s et quinze minutes de longitude Ă  l'ouest du mĂ©ridien de Paris, et par trente degrĂ©s et sept minutes de latitude nord, c'est-Ă -dire Ă  trois cents milles environ des cĂ´tes du Japon. C'est aujourd'hui 8 novembre, Ă  midi, que commence notre voyage d'exploration sous les eaux.

— Dieu nous garde ! rĂ©pondis-je.

— Et maintenant, monsieur le professeur, ajouta le capitaine, je vous laisse Ă  vos Ă©tudes. J'ai donnĂ© la route Ă  l'est-nord-est par cinquante mètres de profondeur. Voici des cartes Ă  grands points, oĂą vous pourrez la suivre. Le salon est Ă  votre disposition, et je vous demande la permission de me retirer. Â»

Le capitaine Nemo me salua. Je restai seul, absorbĂ© dans mes pensĂ©es. Toutes se portaient sur ce commandant du Nautilus. Saurais-je jamais Ă  quelle nation appartenait cet homme Ă©trange qui se vantait de n'appartenir Ă  aucune ? Cette haine qu'il avait vouĂ©e Ă  l'humanitĂ©, cette haine qui cherchait peut-ĂŞtre des vengeances terribles, qui l'avait provoquĂ©e ? Etait-il un de ces savants mĂ©connus, un de ces gĂ©nies « auxquels on a fait du chagrin Â», suivant l'expression de Conseil, un GalilĂ©e moderne, ou bien un de ces hommes de science comme l'AmĂ©ricain Maury, dont la carrière a Ă©tĂ© brisĂ©e par des rĂ©volutions politiques ? Je ne pouvais encore le dire. Moi que le hasard venait de jeter Ă  son bord, moi dont il tenait la vie entre les mains, il m'accueillait froidement, mais hospitalièrement. Seulement, il n'avait jamais pris la main que je lui tendais. Il ne m'avait jamais tendu la sienne.

Une heure entière, je demeurai plongé dans ces réflexions, cherchant à percer ce mystère si intéressant pour moi. Puis mes regards se fixèrent sur le vaste planisphère étalé sur la table, et je plaçai le doigt sur le point même où se croisaient la longitude et la latitude observées.

La mer a ses fleuves comme les continents. Ce sont des courants spĂ©ciaux, reconnaissables Ă  leur tempĂ©rature, Ă  leur couleur, et dont le plus remarquable est connu sous le nom de courant du Gulf Stream. La science a dĂ©terminĂ©, sur le globe, la direction de cinq courants principaux : un dans l'Atlantique nord, un second dans l'Atlantique sud, un troisième dans le Pacifique nord, un quatrième dans le Pacifique sud, et un cinquième dans l'OcĂ©an indien sud. Il est mĂŞme probable qu'un sixième courant existait autrefois dans l'OcĂ©an indien nord, lorsque les mers Caspienne et d'Aral, rĂ©unies aux grands lacs de l'Asie, ne formaient qu'une seule et mĂŞme Ă©tendue d'eau.

Or, au point indiqué sur le planisphère, se déroulait l'un de ces courants, le Kuro-Scivo des Japonais, le Fleuve-Noir, qui, sorti du golfe du Bengale où le chauffent les rayons perpendiculaires du soleil des Tropiques, traverse le détroit de Malacca, prolonge la côte d'Asie, s'arrondit dans le Pacifique nord jusqu'aux îles Aléoutiennes, charriant des troncs de camphriers et autres produits indigènes, et tranchant par le pur indigo de ses eaux chaudes avec les flots de l'Océan. C'est ce courant que le Nautilus allait parcourir. Je le suivais du regard, je le voyais se perdre dans l'immensité du Pacifique, et je me sentais entraîner avec lui, quand Ned Land et Conseil apparurent à la porte du salon.

Mes deux braves compagnons restèrent pétrifiés à la vue des merveilles entassées devant leurs yeux.

« OĂą sommes-nous ? oĂą sommes-nous ? s'Ă©cria le Canadien. Au musĂ©um de QuĂ©bec ?

— S'il plaĂ®t Ă  monsieur, rĂ©pliqua Conseil, ce serait plutĂ´t Ă  l'hĂ´tel du Sommerard !

— Mes amis, répondis-je en leur faisant signe d'entrer, vous n'êtes ni au Canada ni en France, mais bien à bord du Nautilus, et à cinquante mètres au-dessous du niveau de la mer.

— Il faut croire monsieur, puisque monsieur l'affirme, rĂ©pliqua Conseil ; mais franchement, ce salon est fait pour Ă©tonner mĂŞme un Flamand comme moi.

— Etonne-toi, mon ami, et regarde, car, pour un classificateur de ta force, il y a de quoi travailler ici. Â»

Je n'avais pas besoin d'encourager Conseil. Le brave garçon, penchĂ© sur les vitrines, murmurait dĂ©jĂ  des mots de la langue des naturalistes : classe des GastĂ©ropodes, famille des BuccinoĂŻdes, genre des Porcelaines, espèces des CyprĹ“a Madagascariensis, etc.

Pendant ce temps, Ned Land, assez peu conchyliologue, m'interrogeait sur mon entrevue avec le capitaine Nemo. Avais-je dĂ©couvert qui il Ă©tait, d'oĂą il venait, oĂą il allait, vers quelles profondeurs il nous entraĂ®nait ? Enfin mille questions auxquelles je n'avais pas le temps de rĂ©pondre.

Je lui appris tout ce que je savais, ou plutôt, tout ce que je ne savais pas, et je lui demandai ce qu'il avait entendu ou vu de son côté.

« Rien vu, rien entendu ! rĂ©pondit le Canadien. Je n'ai pas mĂŞme aperçu l'Ă©quipage de ce bateau. Est-ce que, par hasard, il serait Ă©lectrique aussi, lui ?

— Electrique !

— Par ma foi ! on serait tentĂ© de le croire. Mais vous, monsieur Aronnax, demanda Ned Land, qui avait toujours son idĂ©e, vous ne pouvez me dire combien d'hommes il y a Ă  bord ? Dix, vingt, cinquante, cent ?

— Je ne saurais vous rĂ©pondre, maĂ®tre Land. D'ailleurs, croyez-moi, abandonnez, pour le moment, cette idĂ©e de vous emparer du Nautilus ou de le fuir. Ce bateau est un des chefs-d'oeuvre de l'industrie moderne, et je regretterais de ne pas l'avoir vu ! Bien des gens accepteraient la situation qui nous est faite, ne fĂ»t-ce que pour se promener Ă  travers ces merveilles. Ainsi, tenez-vous tranquille, et tâchons de voir ce qui se passe autour de nous.

— Voir ! s'Ă©cria le harponneur, mais on ne voit rien, on ne verra rien de cette prison de tĂ´le ! Nous marchons, nous naviguons en aveugles... Â»

— Ned Land prononçait ces derniers mots, quand l'obscurité se fit subitement, mais une obscurité absolue. Le plafond lumineux s'éteignit, et si rapidement, que mes yeux en éprouvèrent une impression douloureuse, analogue à celle que produit le passage contraire des profondes ténèbres à la plus éclatante lumière.

Nous étions restés muets, ne remuant pas, ne sachant quelle surprise, agréable ou désagréable, nous attendait. Mais un glissement se fit entendre. On eût dit que des panneaux se manoeuvraient sur les flancs du Nautilus.

« C'est la fin de la fin ! dit Ned Land.

— Ordre des HydromĂ©duses ! Â» murmura Conseil.

Soudain, le jour se fit de chaque cĂ´tĂ© du salon, Ă  travers deux ouvertures oblongues. Les masses liquides apparurent vivement Ă©clairĂ©es par les effluences Ă©lectriques. Deux plaques de cristal nous sĂ©paraient de la mer. Je frĂ©mis, d'abord, Ă  la pensĂ©e que cette fragile paroi pouvait se briser ; mais de fortes armatures de cuivre la maintenaient et lui donnaient une rĂ©sistance presque infinie.

La mer Ă©tait distinctement visible dans un rayon d'un mille autour du Nautilus. Quel spectacle ! Quelle plume le pourrait dĂ©crire ! Qui saurait peindre les effets de la lumière Ă  travers ces nappes transparentes, et la douceur de ses dĂ©gradations successives jusqu'aux couchĂ©s infĂ©rieures et supĂ©rieures de l'OcĂ©an !

On connaît la diaphanéité de la mer. On sait que sa limpidité l'emporte sur celle de l'eau de roche. Les substances minérales et organiques, qu'elle tient en suspension, accroissent même sa transparence. Dans certaines parties de l'Océan, aux Antilles, cent quarante-cinq mètres d'eau laissent apercevoir le lit de sable avec une surprenante netteté, et la force de pénétration des rayons solaires ne paraît s'arrêter qu'à une profondeur de trois cents mètres. Mais, dans ce milieu fluide que parcourait le Nautilus, l'éclat électrique se produisait au sein même des ondes. Ce n'était plus de l'eau lumineuse, mais de la lumière liquide.

Si l'on admet l'hypothèse d'Erhemberg, qui croit à une illumination phosphorescente des fonds sous-marins, la nature a certainement réservé pour les habitants de la mer l'un de ses plus prodigieux spectacles, et j'en pouvais juger ici par les mille jeux de cette lumière. De chaque côté, j'avais une fenêtre ouverte sur ces abîmes inexplorés. L'obscurité du salon faisait valoir la clarté extérieure, et nous regardions comme si ce pur cristal eût été la vitre d'un immense aquarium.

Le Nautilus ne semblait pas bouger. C'est que les points de repère manquaient. Parfois, cependant, les lignes d'eau, divisées par son éperon, filaient devant nos regards avec une vitesse excessive.

EmerveillĂ©s, nous Ă©tions accoudĂ©s devant ces vitrines, et nul de nous n'avait encore rompu ce silence de stupĂ©faction, quand Conseil dit :

« Vous vouliez voir, ami Ned, eh bien, vous voyez !

— Curieux ! curieux ! faisait le Canadien - qui oubliant ses colères et ses projets d'Ă©vasion, subissait une attraction irrĂ©sistible - et l'on viendrait de plus loin pour admirer ce spectacle !

— Ah ! m'Ă©criai-je, je comprends la vie de cet homme ! Il

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