Vingt Mille Lieues Sous Les Mers — Part 2 by Jules Verne (best books for 8th graders txt) 📕
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- Author: Jules Verne
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« Le monde habité ! dit-il en secouant la tête. Soyez tranquille, ami Conseil, nous n'y reviendrons pas ! »
Il était alors cinq heures du matin. En ce moment, un choc se produisit à l'avant du Nautilus. Je compris que son éperon venait de heurter un bloc de glace. Ce devait être une fausse manoeuvre, car ce tunnel sous-marin, obstrué de blocs, n'offrait pas une navigation facile. Je pensai donc que le capitaine Nemo, modifiant sa route, tournerait ces obstacles ou suivrait les sinuosités du tunnel. En tout cas, la marche en avant ne pouvait être absolument enrayée. Toutefois, contre mon attente, le Nautilus prit un mouvement rétrograde très prononcé.
« Nous revenons en arrière ? dit Conseil.
— Oui, répondis-je. Il faut que, de ce côté, le tunnel soit sans issue.
— Et alors ?...
— Alors, dis-je, la manoeuvre est bien simple. Nous retournerons sur nos pas, et nous sortirons par l'orifice sud. Voilà tout. »
En parlant ainsi, je voulais paraître plus rassuré que je ne l'étais réellement. Cependant le mouvement rétrograde du Nautilus s'accélérait, et marchant à contre hélice, il nous entraînait avec une grande rapidité.
« Ce sera un retard, dit Ned.
— Qu'importe, quelques heures de plus ou de moins, pourvu qu'on sorte.
— Oui, répéta Ned Land, pourvu qu'on sorte ! »
Je me promenai pendant quelques instants du salon à la bibliothèque. Mes compagnons assis, se taisaient. Je me jetai bientôt sur un divan, et je pris un livre que mes yeux parcoururent machinalement.
Un quart d'heure après, Conseil, s'étant approché de moi, me dit :
« Est-ce bien intéressant ce que lit monsieur ?
— Très intéressant, répondis-je.
— Je le crois. C'est le livre de monsieur que lit monsieur !
— Mon livre ? »
En effet, je tenais à la main l'ouvrage des Grands Fonds sous-marins. Je ne m'en doutais même pas. Je fermai le livre et repris ma promenade. Ned et Conseil se levèrent pour se retirer.
« Restez, mes amis, dis-je en les retenant. Restons ensemble jusqu'au moment où nous serons sortis de cette impasse.
— Comme il plaira à monsieur », répondit Conseil.
Quelques heures s'écoulèrent. J'observais souvent les instruments suspendus à la paroi du salon. Le manomètre indiquait que le Nautilus se maintenait à une profondeur constante de trois cents mètres, la boussole, qu'il se dirigeait toujours au sud, le loch, qu'il marchait à une vitesse de vingt milles à l'heure, vitesse excessive dans un espace aussi resserré. Mais le capitaine Nemo savait qu'il ne pouvait trop se hâter, et qu'alors, les minutes valaient des siècles.
A huit heures vingt-cinq, un second choc eut lieu. A l'arrière, cette fois. Je pâlis. Mes compagnons s'étaient rapprochés de moi. J'avais saisi la main de Conseil. Nous nous interrogions du regard, et plus directement que si les mots eussent interprété notre pensée.
En ce moment, le capitaine entra dans le salon. J'allai Ă lui.
« La route est barrée au sud ? lui demandai-je.
— Oui, monsieur. L'iceberg en se retournant a fermé toute issue.
— Nous sommes bloqués ?
— Oui. »
XVI FAUTE D'AIRAinsi, autour du Nautilus, au-dessus, au-dessous, un impénétrable mur de glace. Nous étions prisonniers de la banquise ! Le Canadien avait frappé une table de son formidable poing. Conseil se taisait. Je regardai le capitaine. Sa figure avait repris son impassibilité habituelle. Il s'était croisé les bras. Il réfléchissait. Le Nautilus ne bougeait plus.
Le capitaine prit alors la parole :
« Messieurs, dit-il d'une voix calme, il y a deux manières de mourir dans les conditions où nous sommes. »
Cet inexplicable personnage avait l'air d'un professeur de mathématiques qui fait une démonstration à ses élèves.
« La première, reprit-il, c'est de mourir écrasés. La seconde, c'est de mourir asphyxiés. Je ne parle pas de la possibilité de mourir de faim, car les approvisionnements du Nautilus dureront certainement plus que nous. Préoccupons-nous donc des chances d'écrasement ou d'asphyxie.
— Quant à l'asphyxie, capitaine, répondis-je, elle n'est pas à craindre, car nos réservoirs sont pleins.
— Juste, reprit le capitaine Nemo, mais ils ne donneront que deux jours d'air. Or, voilà trente-six heures que nous sommes enfouis sous les eaux, et déjà l'atmosphère alourdie du Nautilus demande à être renouvelée. Dans quarante-huit heures, notre réserve sera épuisée.
— Eh bien, capitaine, soyons délivrés avant quarante-huit heures !
— Nous le tenterons, du moins, en perçant la muraille qui nous entoure.
— De quel côté ? demandai-je.
— C'est ce que la sonde nous apprendra. Je vais échouer le Nautilus sur le banc inférieur, et mes hommes, revêtus de scaphandres, attaqueront l'iceberg par sa paroi la moins épaisse.
— Peut-on ouvrir les panneaux du salon ?
— Sans inconvénient. Nous ne marchons plus. »
Le capitaine Nemo sortit. Bientôt des sifflements m'apprirent que l'eau s'introduisait dans les réservoirs. Le Nautilus s'abaissa lentement et reposa sur le fond de glace par une profondeur de trois cent cinquante mètres, profondeur à laquelle était immergé le banc de glace inférieur.
« Mes amis, dis-je, la situation est grave, mais je compte sur votre courage et sur votre énergie.
— Monsieur, me répondit le Canadien, ce n'est pas dans ce moment que je vous ennuierai de mes récriminations. Je suis prêt à tout faire pour le salut commun.
— Bien, Ned, dis-je en tendant la main au Canadien.
— J'ajouterai, reprit-il, qu'habile à manier le pic comme le harpon, si je puis être utile au capitaine, il peut disposer de moi.
— Il ne refusera pas votre aide. Venez, Ned. »
Je conduisis le Canadien à la chambre ou les hommes du Nautilus revêtaient leurs scaphandres. Je fis part au capitaine de la proposition de Ned, qui fut acceptée. Le Canadien endossa son costume de mer et fut aussitôt prêt que ses compagnons de travail. Chacun d'eux portait sur son dos l'appareil Rouquayrol auquel les réservoirs avaient fourni un large continent d'air pur. Emprunt considérable, mais nécessaire, fait à la réserve du Nautilus. Quant aux lampes Ruhmkorff, elles devenaient inutiles au milieu de ces eaux lumineuses et saturées de rayons électriques.
Lorsque Ned fut habillé, je rentrai dans le salon dont les vitres étaient découvertes, et, posté près de Conseil, j'examinai les couches ambiantes qui supportaient le Nautilus.
Quelques instants après, nous voyions une douzaine d'hommes de l'équipage prendre pied sur le banc de glace, et parmi eux Ned Land, reconnaissable à sa haute taille. Le capitaine Nemo était avec eux.
Avant de procéder au creusement des murailles, il fit pratiquer des sondages qui devaient assurer la bonne direction des travaux. De longues sondes furent enfoncées dans les parois latérales ; mais après quinze mètres, elles étaient encore arrêtées par l'épaisse muraille. Il était inutile de s'attaquer à la surface plafonnante, puisque c'était la banquise elle-même qui mesurait plus de quatre cents mètres de hauteur. Le capitaine Nemo fit alors sonder la surface inférieure. Là dix mètres de parois nous séparaient de l'eau. Telle était l'épaisseur de cet ice-field. Dès lors, il s'agissait d'en découper un morceau égal en superficie à la ligne de flottaison du Nautilus. C'était environ six mille cinq cents mètres cubes à détacher, afin de creuser un trou par lequel nous descendrions au-dessous du champ de glace.
Le travail fut immédiatement commencé et conduit avec une infatigable opiniâtreté. Au lieu de creuser autour du Nautilus, ce qui eût entraîné de plus grandes difficultés, le capitaine Nemo fit dessiner l'immense fosse à huit mètres de sa hanche de bâbord. Puis ses hommes la taraudèrent simultanément sur plusieurs points de sa circonférence. Bientôt. Le pic attaqua vigoureusement cette matière compacte, et de gros blocs furent détachés de la masse. Par un curieux effet de pesanteur spécifique, ces blocs, moins lourds que l'eau, s'envolaient pour ainsi dire à la voûte du tunnel, qui s'épaississait par le haut de ce dont il diminuait vers le bas. Mais peu importait, du moment que la paroi inférieure s'amincissait d'autant.
Après deux heures d'un travail énergique, Ned Land rentra épuisé. Ses compagnons et lui furent remplacés par de nouveaux travailleurs auxquels nous nous joignîmes, Conseil et moi. Le second du Nautilus nous dirigeait.
L'eau me parut singulièrement froide, mais je me réchauffai promptement en maniant le pic. Mes mouvements étaient très libres, bien qu'ils se produisissent sous une pression de trente atmosphères.
Quand je rentrai, après deux heures de travail, pour prendre quelque nourriture et quelque repos, je trouvai une notable différence entre le fluide pur que me fournissait l'appareil Rouquayrol et l'atmosphère du Nautilus, déjà chargé d'acide carbonique. L'air n'avait pas été renouvelé depuis quarante-huit heures, et ses qualités vivifiantes étaient considérablement affaiblies. Cependant, en un laps de douze heures, nous n'avions enlevé qu'une tranche de glace épaisse d'un mètre sur la superficie dessinée, soit environ six cents mètres cubes. En admettant que le même travail fût accompli par douze heures, il fallait encore cinq nuits et quatre jours pour mener à bonne fin cette entreprise.
« Cinq nuits et quatre jours ! dis-je à mes compagnons, et nous n'avons que pour deux jours d'air dans les réservoirs.
— Sans compter, répliqua Ned, qu'une fois sortis de cette damnée prison, nous serons encore emprisonnés sous la banquise et sans communication possible avec l'atmosphère ! »
Réflexion juste. Qui pouvait alors prévoir le minimum de temps nécessaire à notre délivrance ? L'asphyxie ne nous aurait-elle pas étouffés avant que le Nautilus eût pu revenir à la surface des flots ? Était-il destiné à périr dans ce tombeau de glace avec tous ceux qu'il renfermait ? La situation paraissait terrible. Mais chacun l'avait envisagée en face, et tous étaient décidés à faire leur devoir jusqu'au bout.
Suivant mes prévisions, pendant la nuit, une nouvelle tranche d'un mètre fut enlevée à l'immense alvéole. Mais, le matin, quand, revêtu de mon scaphandre, je parcourus la masse liquide par une température de six à sept degrés au-dessous de zéro, je remarquai que les murailles latérales se rapprochaient peu à peu. Les couches d'eau éloignées de la fosse, que n'échauffaient pas le travail des hommes et le jeu des outils, marquaient une tendance à se solidifier. En présence de ce nouveau et imminent danger, que devenaient nos chances de salut, et comment empêcher la solidification de ce milieu liquide, qui eût fait éclater comme du verre les parois du Nautilus ?
Je ne fis point connaître ce nouveau danger à mes deux compagnons. A quoi bon risquer d'abattre cette énergie qu'ils employaient au pénible travail du sauvetage ? Mais, lorsque je fus revenu à bord ? je fis observer au capitaine Nemo cette grave complication.
« Je le sais, me dit-il de ce ton calme que ne pouvaient modifier les plus terribles conjonctures. C'est un danger de plus, mais je ne vois aucun moyen d'y parer. La seule chance de salut, c'est d'aller plus vite que la solidification. Il s'agit d'arriver premiers. Voilà tout. »
Arriver premiers ! Enfin, j'aurais dû être habitué à ces façons de parler !
Cette journée, pendant plusieurs heures, je maniai le pic avec opiniâtreté. Ce travail me soutenait. D'ailleurs, travailler, c'était quitter le Nautilus, c'était respirer directement cet air pur emprunté aux réservoirs et fourni par les appareils, c'était abandonner une atmosphère appauvrie et viciée.
Vers le soir, la fosse s'était encore creusée d'un mètre. Quand je rentrai à bord, je faillis être asphyxié par l'acide carbonique dont l'air était saturé. Ah ! que n'avions-nous les moyens chimiques qui eussent permis de chasser ce gaz délétère ! L'oxygène ne nous manquait pas. Toute cette eau en contenait une quantité considérable et en la décomposant par nos puissantes piles, elle nous eût restitué le fluide vivifiant. J'y avais bien songé, mais à quoi bon, puisque l'acide carbonique, produit de notre respiration, avait envahi toutes les parties du navire. Pour l'absorber, il eût fallu remplir des récipients de potasse caustique et les agiter incessamment. Or, cette matière manquait à bord, et rien ne la pouvait remplacer
Ce soir-là , le capitaine Nemo dut ouvrir les robinets de ses réservoirs, et lancer quelques colonnes d'air pur à l'intérieur du Nautilus. Sans cette précaution, nous ne nous serions pas réveillés.
Le lendemain, 26 mars, je repris mon travail de mineur en entamant le cinquième mètre. Les parois latérales et la surface inférieure de la banquise s'épaississaient visiblement. Il était évident qu'elles se rejoindraient avant que le Nautilus fût parvenu à se dégager. Le désespoir me prit un instant. Mon pic fut près de s'échapper de mes mains. A quoi bon creuser, si je devais périr étouffé, écrasé par cette eau qui se faisait pierre, un supplice que la férocité des sauvages n'eût pas même inventé. Il me semblait que j'étais entre les formidables mâchoires d'un
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