L'île mystérieuse by Jules Verne (100 books to read txt) 📕
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- Author: Jules Verne
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«Ayrton, arrivé à Melbourne, remit la lettre au second, Tom Austin, qui en prit connaissance et appareilla aussitôt; mais que l'on juge du désappointement et de la colère d'Ayrton, quand, le lendemain de l'appareillage, il apprit que le second conduisait le navire, non sur la côte est de l'Australie, à la baie de Twofold, mais bien sur la côte est de la Nouvelle-Zélande. Il voulut s'y opposer, Austin lui montra la lettre!... Et, en effet, par une erreur providentielle du géographe français qui avait rédigé cette lettre, la côte est de la Nouvelle-Zélande était indiquée comme lieu de destination.
«Tous les plans d'Ayrton échouaient! Il voulut se révolter. On l'enferma. Il fut donc emmené sur la côte de la Nouvelle-Zélande, ne sachant plus ni ce que deviendraient ses complices, ni ce que deviendrait lord Glenarvan.
«Le Duncan resta à croiser sur cette côte jusqu'au 3 mars. Ce jour-là, Ayrton entendit des détonations. C'étaient les caronades du Duncan qui faisaient feu, et, bientôt, lord Glenarvan et tous les siens arrivaient à bord.
«Voici ce qui s'était passé.
«Après mille fatigues, mille dangers, lord Glenarvan avait pu achever son voyage et arriver à la côte est de l'Australie, sur la baie de Twofold. Pas de Duncan! il télégraphia à Melbourne. On lui répondit: «Duncan parti depuis le 18 courant pour une destination inconnue.»
«Lord Glenarvan ne put plus penser qu'une chose: c'est que l'honnête yacht était tombé aux mains de Ben Joyce et qu'il était devenu un navire de pirates!
«Cependant lord Glenarvan ne voulut pas abandonner la partie. C'était un homme intrépide et généreux. Il s'embarqua sur un navire marchand, se fit conduire à la côte ouest de la Nouvelle-Zélande, la traversa sur le trente-septième parallèle, sans rencontrer aucune trace du capitaine Grant; mais, sur l'autre côte, à sa grande surprise, et par la volonté du ciel, il retrouva le Duncan, sous les ordres du second, qui l'attendait depuis cinq semaines!
«On était au 3 mars 1855. Lord Glenarvan était donc à bord du Duncan, mais Ayrton y était aussi. Il comparut devant le lord, qui voulut tirer de lui tout ce que le bandit pouvait savoir au sujet du capitaine Grant. Ayrton refusa de parler. Lord Glenarvan lui dit alors qu'à la première relâche, on le remettrait aux autorités anglaises. Ayrton resta muet.
«Le Duncan reprit la route du trente-septième parallèle. Cependant, lady Glenarvan entreprit de vaincre la résistance du bandit. Enfin, son influence l'emporta, et Ayrton, en échange de ce qu'il pourrait dire, proposa à lord Glenarvan de l'abandonner sur une des îles du Pacifique, au lieu de le livrer aux autorités anglaises. Lord Glenarvan, décidé à tout pour apprendre ce qui concernait le capitaine Grant, y consentit.
«Ayrton raconta alors toute sa vie, et il fut constant qu'il ne savait rien depuis le jour où le capitaine Grant l'avait débarqué sur la côte australienne.
«Néanmoins, lord Glenarvan tint la parole qu'il avait donnée. Le Duncan continua sa route et arriva à l'île Tabor. C'était là qu'Ayrton devait être déposé, et ce fut là aussi que, par un vrai miracle, on retrouva le capitaine Grant et ses deux hommes, précisément sur ce trente-septième parallèle. Le convict allait donc les remplacer sur cet îlot désert, et voici, au moment où il quitta le yacht, les paroles que prononça lord Glenarvan: «— Ici, Ayrton, vous serez éloigné de toute terre et sans communication possible avec vos semblables. Vous ne pourrez fuir cet îlot où le Duncan vous laisse. Vous serez seul, sous l'œil d'un dieu qui lit au plus profond des cœurs, mais vous ne serez ni perdu, ni ignoré comme le fut le capitaine Grant. Si indigne que vous soyez du souvenir des hommes, les hommes se souviendront de vous. Je sais où vous êtes, Ayrton, et je sais où vous trouver. Je ne l'oublierai jamais!»
«Et le Duncan, appareillant, disparut bientôt.
«On était au 18 mars 1855.
«Ayrton était seul, mais ni les munitions, ni les armes, ni les outils, ni les graines ne lui manquaient. À lui, le convict, à sa disposition était la maison construite par l'honnête capitaine Grant. Il n'avait qu'à se laisser vivre et à expier dans l'isolement les crimes qu'il avait commis.
«Messieurs, il se repentit, il eut honte de ses crimes et il fut bien malheureux! Il se dit que si les hommes venaient le rechercher un jour sur cet îlot, il fallait qu'il fût digne de retourner parmi eux! Comme il souffrit, le misérable! Comme il travailla pour se refaire par le travail! Comme il pria pour se régénérer par la prière!
«Pendant deux ans, trois ans, ce fut ainsi; mais Ayrton, abattu par l'isolement, regardant toujours si quelque navire ne paraîtrait pas à l'horizon de son île, se demandant si le temps d'expiation était bientôt complet, souffrait comme on n'a jamais souffert! Ah! quelle est dure cette solitude, pour une âme que rongent les remords!
«Mais sans doute le ciel ne le trouvait pas assez puni, le malheureux, car il sentit peu à peu qu'il devenait un sauvage! Il sentit peu à peu l'abrutissement le gagner! Il ne peut vous dire si ce fut après deux ou quatre ans d'abandon, mais enfin, il devint le misérable que vous avez trouvé!
«Je n'ai pas besoin de vous dire, messieurs, que Ayrton ou Ben Joyce et moi, nous ne faisons qu'un!»
Cyrus Smith et ses compagnons s'étaient levés à la fin de ce récit. Il est difficile de dire à quel point ils étaient émus! Tant de misère, tant de douleurs et de désespoir étalés à nu devant eux!
«Ayrton, dit alors Cyrus Smith, vous avez été un grand criminel, mais le ciel doit certainement trouver que vous avez expié vos crimes! Il l'a prouvé en vous ramenant parmi vos semblables. Ayrton, vous êtes pardonné! Et maintenant, voulez-vous être notre compagnon?»
Ayrton s'était reculé.
«Voici ma main!» dit l'ingénieur.
Ayrton se précipita sur cette main que lui tendait Cyrus Smith, et de grosses larmes coulèrent de ses yeux.
«Voulez-vous vivre avec nous? demanda Cyrus Smith.
— Monsieur Smith, laissez-moi quelque temps encore, répondit Ayrton, laissez-moi seul dans cette habitation du corral!
— Comme vous le voudrez, Ayrton», répondit Cyrus Smith.
Ayrton allait se retirer, quand l'ingénieur lui adressa une dernière question:
«Un mot encore, mon ami. Puisque votre dessein était de vivre isolé, pourquoi avez-vous donc jeté à la mer ce document qui nous a mis sur vos traces?
— Un document? répondit Ayrton, qui paraissait ne pas savoir ce dont on lui parlait.
— Oui, ce document enfermé dans une bouteille que nous avons trouvé, et qui donnait la situation exacte de l'île Tabor!»
Ayrton passa sa main sur son front. Puis, après avoir réfléchi:
«Je n'ai jamais jeté de document à la mer! répondit-il.
— Jamais? s'écria Pencroff.
— Jamais!»
Et Ayrton, s'inclinant, regagna la porte et partit.
CHAPITRE XVIII«Le pauvre homme!» dit Harbert, qui, après s'être élancé vers la porte, revint, après avoir vu Ayrton glisser par la corde de l'ascenseur et disparaître au milieu de l'obscurité.
«Il reviendra, dit Cyrus Smith.
— Ah çà, Monsieur Cyrus, s'écria Pencroff, qu'est-ce que cela veut dire? Comment! Ce n'est pas Ayrton qui a jeté cette bouteille à la mer? Mais qui donc alors?»
À coup sûr, si jamais question dut être faite, c'était bien celle-là!
«C'est lui, répondit Nab, seulement le malheureux était déjà à demi fou.
— Oui! dit Harbert, et il n'avait plus conscience de ce qu'il faisait.
— Cela ne peut s'expliquer qu'ainsi, mes amis, répondit vivement Cyrus Smith, et je comprends maintenant qu'Ayrton ait pu indiquer exactement la situation de l'île Tabor, puisque les événements même qui avaient précédé son abandon dans l'île la lui faisaient connaître.
— Cependant, fit observer Pencroff, s'il n'était pas encore une brute au moment où il rédigeait son document, et s'il y a sept ou huit ans qu'il l'a jeté à la mer, comment ce papier n'a-t-il pas été altéré par l'humidité?
— Cela prouve, répondit Cyrus Smith, qu'Ayrton n'a été privé d'intelligence qu'à une époque beaucoup plus récente qu'il ne le croit.
— Il faut bien qu'il en soit ainsi, répondit Pencroff; sans quoi, la chose serait inexplicable.
— Inexplicable, en effet, répondit l'ingénieur, qui semblait ne pas vouloir prolonger cette conversation.
— Mais Ayrton a-t-il dit la vérité? demanda le marin.
— Oui, répondit le reporter. L'histoire qu'il a racontée est vraie de tous points. Je me rappelle fort bien que les journaux ont rapporté la tentative faite par lord Glenarvan et le résultat qu'il avait obtenu.
— Ayrton a dit la vérité, ajouta Cyrus Smith, n'en doutez pas, Pencroff, car elle était assez cruelle pour lui. On dit vrai quand on s'accuse ainsi!»
Le lendemain, — 21 décembre, — les colons étaient descendus à la grève, et, ayant gravi le plateau, ils n'y trouvèrent plus Ayrton. Ayrton avait gagné pendant la nuit sa maison du corral, et les colons jugèrent bon de ne point l'importuner de leur présence. Le temps ferait sans doute ce que les encouragements n'avaient pu faire.
Harbert, Pencroff et Nab reprirent alors leurs occupations accoutumées. Précisément, ce jour-là, les mêmes travaux réunirent Cyrus Smith et le reporter à l'atelier des cheminées.
«Savez-vous, mon cher Cyrus, dit Gédéon Spilett, que l'explication que vous avez donnée hier au sujet de cette bouteille ne m'a pas satisfait du tout! Comment admettre que ce malheureux ait pu écrire ce document et jeter cette bouteille à la mer, sans en avoir aucunement gardé le souvenir?
— Aussi n'est-ce pas lui qui l'a jetée, mon cher Spilett.
— Alors, vous croyez encore...
— Je ne crois rien, je ne sais rien! répondit Cyrus Smith, en interrompant le reporter. Je me contente de ranger cet incident parmi ceux que je n'ai pu expliquer jusqu'à ce jour!
— En vérité, Cyrus, dit Gédéon Spilett, ces choses sont incroyables! Votre sauvetage, la caisse échouée sur le sable, les aventures de Top, cette bouteille enfin... n'aurons-nous donc jamais le mot de ces énigmes?
— Si! répondit vivement l'ingénieur, si, quand je devrais fouiller cette île jusque dans ses entrailles!
— Le hasard nous donnera peut-être la clef de ce mystère!
— Le hasard! Spilett! Je ne crois guère au hasard, pas plus que je ne crois aux mystères en ce monde. Il y a une cause à tout ce qui se passe d'inexplicable ici, et cette cause, je la découvrirai. Mais en attendant, observons et travaillons.»
Le mois de janvier arriva. C'était l'année 1867 qui commençait. Les travaux d'été furent menés assidûment. Pendant les jours qui suivirent, Harbert et Gédéon Spilett étant allés du côté du corral, purent constater qu'Ayrton avait pris possession de la demeure qui lui avait été préparée. Il s'occupait du nombreux troupeau confié à ses soins, et il devait épargner à ses compagnons la fatigue de venir tous les deux ou trois jours visiter le corral.
Cependant, afin de ne plus laisser Ayrton trop longtemps isolé, les colons lui faisaient assez souvent visite.
Il n'était pas indifférent, non plus, — étant donnés certains soupçons que partageaient l'ingénieur et Gédéon Spilett, — que cette partie de l'île fût soumise à une certaine surveillance, et Ayrton, si quelque incident survenait, ne négligerait pas d'en informer les habitants de Granite-House.
Cependant il pouvait se faire que l'incident fût subit et exigeât d'être rapidement porté à la connaissance de l'ingénieur. En dehors même de tous faits se rapportant au mystère de l'île Lincoln, bien d'autres pouvaient se produire, qui eussent appelé une prompte intervention des colons, tels que l'apparition d'un navire passant au large et en vue de la côte occidentale, un naufrage sur les atterrages de l'ouest, l'arrivée possible de pirates, etc. Aussi Cyrus Smith résolut-il de mettre le corral en communication instantanée avec Granite-House.
Ce fut le 10 janvier qu'il fit part de son projet à ses compagnons.
«Ah çà! Comment allez-vous vous y prendre, Monsieur Cyrus? demanda Pencroff. Est-ce que, par hasard, vous songeriez à installer un télégraphe?
— Précisément, répondit l'ingénieur.
— Électrique? s'écria Harbert.
— Électrique, répondit Cyrus Smith. Nous avons tous les éléments nécessaires pour confectionner une pile, et le plus difficile sera d'étirer des fils de fer, mais au moyen d'une filière, je pense que nous en viendrons à bout.
— Eh bien, après cela, répliqua le marin, je ne désespère plus de nous voir un jour rouler en chemin de fer!»
On se mit donc à l'ouvrage, en commençant par le plus difficile, c'est-à-dire par la confection des fils, car si on eût échoué, il devenait inutile de fabriquer la pile et autres accessoires.
Le fer de l'île Lincoln, on le sait, était de qualité excellente, et, par conséquent, très propre à se laisser étirer. Cyrus Smith commença par fabriquer une filière, c'est-à-dire une plaque d'acier, qui fut percée de trous coniques de divers calibres qui devaient amener successivement le fil au degré de ténuité voulue. Cette pièce d'acier, après avoir été trempée, «de tout son dur», comme on dit en métallurgie, fut fixée d'une façon inébranlable sur un bâtis solidement enfoncé dans le sol, à quelques pieds seulement de la grande chute, dont l'ingénieur allait encore utiliser la force motrice. En effet, là était le moulin à foulon, qui ne fonctionnait pas alors, mais dont l'arbre de couche, mû avec une extrême puissance, pouvait servir à étirer le fil, en l'enroulant autour
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