Autour de la Lune by Jules Verne (brene brown rising strong .TXT) 📕
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- Author: Jules Verne
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Hyperbole ou parabole
On s'�tonnera peut-�tre de voir Barbicane et ses compagnons si peu soucieux de l'avenir que leur r�servait cette prison de m�tal emport�e dans les infinis de l'�ther. Au lieu de se demander o� ils allaient ainsi, ils passaient leur temps � faire des exp�riences, comme s'ils eussent �t� tranquillement install�s dans leur cabinet de travail.
On pourrait r�pondre que des hommes si fortement tremp�s �taient au-dessus de pareils soucis, qu'ils ne s'inqui�taient pas de si peu, et qu'ils avaient autre chose � faire que de se pr�occuper de leur sort futur.
La v�rit� est qu'ils n'�taient pas ma�tres de leur projectile, qu'ils ne pouvaient ni enrayer sa marche ni modifier sa direction. Un marin change � son gr� le cap de son navire; un a�ronaute peut imprimer � son ballon des mouvements verticaux. Eux, au contraire, ils n'avaient aucune action sur leur v�hicule. Toute manœuvre leur �tait interdite. De l� cette disposition � laisser faire, � �laisser courir�, suivant l'expression maritime.
O� se trouvaient-ils en ce moment, � huit heures du matin, pendant cette journ�e qui s'appelait le 6 d�cembre sur la Terre? Tr�s certainement dans le voisinage de la Lune, et m�me assez pr�s pour qu'elle leur par�t comme un immense �cran noir d�velopp� sur le firmament. Quant � la distance qui les en s�parait, il �tait impossible de l'�valuer. Le projectile, maintenu par des forces inexplicables, avait ras� le p�le nord du satellite � moins de cinquante kilom�tres. Mais, depuis deux heures qu'il �tait entr� dans le c�ne d'ombre, cette distance, l'avait-il accrue ou diminu�e? Tout point de rep�re manquait pour estimer et la direction et la vitesse du projectile. Peut-�tre s'�loignait-il rapidement du disque, de mani�re � bient�t sortir de l'ombre pure. Peut-�tre, au contraire, s'en rapprochait-il sensiblement, au point de heurter avant peu quelque pic �lev� de l'h�misph�re invisible: ce qui e�t termin� le voyage, sans doute au d�triment des voyageurs.
Une discussion s'�leva � ce sujet, et Michel Ardan, toujours riche d'explications, �mit cette opinion que le boulet, retenu par l'attraction lunaire, finirait par y tomber comme tombe un a�rolithe � la surface du globe terrestre.
�D'abord, mon camarade, lui r�pondit Barbicane, tous les a�rolithes ne tombent pas sur la Terre; c'est le petit nombre. Donc, de ce que nous serions pass�s � l'�tat d'a�rolithe, il ne s'ensuivrait pas que nous dussions atteindre n�cessairement la surface de la Lune.
—Cependant, r�pondit Michel, si nous en approchons assez pr�s...
—Erreur, r�pliqua Barbicane. N'as-tu pas vu des �toiles filantes rayer le ciel par milliers � certaines �poques?
—Oui.
—Eh bien, ces �toiles, ou plut�t ces corpuscules, ne brillent qu'� la condition de s'�chauffer en glissant sur les couches atmosph�riques. Or, s'ils traversent l'atmosph�re, ils passent � moins de seize lieues du globe, et cependant ils y tombent rarement. De m�me pour notre projectile. Il peut s'approcher tr�s pr�s de la Lune, et cependant n'y point tomber.
—Mais alors, demanda Michel, je serais assez curieux de savoir comment notre v�hicule errant se comportera dans l'espace.
—Je ne vois que deux hypoth�ses, r�pondit Barbicane apr�s quelques instants de r�flexion.
—Lesquelles?
—Le projectile a le choix entre deux courbes math�matiques, et il suivra l'une ou l'autre, suivant la vitesse dont il sera anim�, et que je ne saurais �valuer en ce moment.
—Oui, dit Nicholl, il s'en ira suivant une parabole ou suivant une hyperbole.
—En effet, r�pondit Barbicane. Avec une certaine vitesse il prendra la parabole, et l'hyperbole avec une vitesse plus consid�rable.
—J'aime ces grands mots, s'�cria Michel Ardan. On sait tout de suite ce que cela veut dire. Et qu'est-ce que c'est que votre parabole, s'il vous pla�t?
—Mon ami, r�pondit le capitaine, la parabole est une courbe du second ordre qui r�sulte de la section d'un c�ne coup� par un plan, parall�lement � l'un de ses c�t�s.
—Ah! ah! fit Michel d'un ton satisfait.
—C'est � peu pr�s, reprit Nicholl, la trajectoire que d�crit une bombe lanc�e par un mortier.
—Parfait. Et l'hyperbole? demanda Michel.
—L'hyperbole, Michel, est une courbe du second ordre, produite par l'intersection d'une surface conique et d'un plan parall�le � son axe, et qui constitue deux branches s�par�es l'une de l'autre et s'�tendant ind�finiment dans les deux sens.
—Est-il possible! s'�cria Michel Ardan du ton le plus s�rieux, comme si on lui e�t appris un �v�nement grave. Alors retiens bien ceci, capitaine Nicholl. Ce que j'aime dans ta d�finition de l'hyperbole—j'allais dire de l'hyperblague—c'est qu'elle est encore moins claire que le mot que tu pr�tends d�finir!�
Nicholl et Barbicane se souciaient peu des plaisanteries de Michel Ardan. Ils s'�taient lanc�s dans une discussion scientifique. Quelle serait la courbe suivie par le projectile, voil� ce qui les passionnait. L'un tenait pour l'hyperbole, l'autre pour la parabole. Ils se donnaient des raisons h�riss�es d'x . Leurs arguments �taient pr�sent�s dans un langage qui faisait bondir Michel. La discussion �tait vive, et aucun des adversaires ne voulait sacrifier � l'autre sa courbe de pr�dilection.
Cette scientifique dispute, se prolongeant, finit par impatienter Michel, qui dit:
�Ah ��! messieurs du cosinus, cesserez-vous enfin de vous jeter des paraboles et des hyperboles � la t�te? Je veux savoir, moi, la seule chose int�ressante dans cette affaire. Nous suivrons l'une ou l'autre de vos courbes. Bien. Mais o� nous ram�neront-elles?
—Nulle part, r�pondit Nicholl.
—Comment, nulle part!
—�videmment, dit Barbicane. Ce sont des courbes non ferm�es, qui se prolongent � l'infini!
—Ah! savants! s'�cria Michel, je vous porte dans mon cœur! Eh! que nous importent la parabole ou l'hyperbole, du moment o� l'une et l'autre nous entra�nent �galement � l'infini dans l'espace!�
Barbicane et Nicholl ne purent s'emp�cher de sourire. Ils venaient de faire �de l'art pour l'art!� Jamais question plus oiseuse n'avait �t� trait�e dans un moment plus inopportun. La sinistre v�rit�, c'�tait que le projectile, hyperboliquement ou paraboliquement emport�, ne devait plus jamais rencontrer ni la Terre ni la Lune.
Or, qu'arriverait-il � ces hardis voyageurs dans un avenir tr�s prochain? S'ils ne mouraient pas de faim, s'ils ne mouraient pas de soif, c'est que, dans quelques jours, lorsque le gaz leur manquerait, ils seraient morts faute d'air, si le froid ne les avait pas tu�s auparavant!
Cependant, si important qu'il f�t d'�conomiser le gaz, l'abaissement excessif de la temp�rature ambiante les obligea d'en consommer une certaine quantit�. Rigoureusement, ils pouvaient se passer de sa lumi�re, non de sa chaleur. Fort heureusement, le calorique d�velopp� par l'appareil Reiset et Regnaut �levait un peu la temp�rature int�rieure du projectile, et, sans grande d�pense, on put la maintenir � un degr� supportable.
Cependant, les observations �taient devenues tr�s difficiles � travers les hublots. L'humidit� int�rieure du boulet se condensait sur les vitres et s'y congelait imm�diatement. Il fallait d�truire cette opacit� du verre par des frottements r�it�r�s. Toutefois, on put constater certains ph�nom�nes du plus haut int�r�t.
En effet, si ce disque invisible �tait pourvu d'une atmosph�re, ne devait-on pas voir des �toiles filantes la rayer de leurs trajectoires? Si le projectile lui-m�me traversait ces couches fluides, ne pourrait-on surprendre quelque bruit r�percut� par les �chos lunaires, les grondements d'un orage, par exemple, les fracas d'une avalanche, les d�tonations d'un volcan en activit�? Et si quelque montagne ignivome se panachait d'�clairs n'en reconna�trait-on pas les intenses fulgurations? De tels faits, soigneusement constat�s, eussent singuli�rement �lucid� cette obscure question de la constitution lunaire. Aussi Barbicane, Nicholl, post�s � leur hublot comme des astronomes, observaient-ils avec une scrupuleuse patience.
Mais jusqu'alors, le disque demeurait muet et sombre. Il ne r�pondait pas aux interrogations multiples que lui posaient ces esprits ardents.
Ce qui provoqua cette r�flexion de Michel, assez juste en apparence:
�Si jamais nous recommen�ons ce voyage, nous ferons bien de choisir l'�poque o� la Lune est nouvelle.
—En effet, r�pondit Nicholl, cette circonstance serait plus favorable. Je conviens que la Lune, noy�e dans les rayons solaires, ne serait pas visible pendant le trajet, mais en revanche, on apercevrait la Terre qui serait pleine. De plus, si nous �tions entra�n�s autour de la Lune, comme cela arrive en ce moment, nous aurions au moins l'avantage d'en voir le disque invisible magnifiquement �clair�!
—Bien dit, Nicholl, r�pliqua Michel Ardan. Qu'en penses-tu, Barbicane?
—Je pense ceci, r�pondit le grave pr�sident: Si jamais nous recommen�ons ce voyage, nous partirons � la m�me �poque et dans les m�mes conditions. Supposez que nous eussions atteint notre but, n'e�t-il pas mieux valu trouver des continents en pleine lumi�re au lieu d'une contr�e plong�e dans une nuit obscure? Notre premi�re installation ne se f�t-elle pas faite dans des circonstances meilleures? Oui, �videmment. Quant � ce c�t� invisible, nous l'eussions visit� pendant nos voyages de reconnaissance sur le globe lunaire. Donc, cette �poque de la Pleine-Lune �tait heureusement choisie. Mais il fallait arriver au but, et pour y arriver, ne pas �tre d�vi� de sa route.
—A cela, rien � r�pondre, dit Michel Ardan. Voil� pourtant une belle occasion manqu�e d'observer l'autre c�t� de la Lune! Qui sait si les habitants des autres plan�tes ne sont pas plus avanc�s que les savants de la Terre au sujet de leurs satellites?�
On aurait pu facilement, � cette remarque de Michel Ardan, faire la r�ponse suivante: Oui, d'autres satellites, par leur plus grande proximit�, ont rendu leur �tude plus facile. Les habitants de Saturne, de Jupiter et d'Uranus, s'ils existent, ont pu �tablir avec leurs Lunes des communications plus ais�es. Les quatre satellites de Jupiter gravitent � une distance de cent huit mille deux cent soixante lieues, cent soixante-douze mille deux cents lieues, deux cent soixante-quatorze mille sept cents lieues, et quatre cent quatre-vingt mille cent trente lieues. Mais ces distances sont compt�es du centre de la plan�te, et, en retranchant la longueur du rayon qui est de dix-sept � dix-huit mille lieues, on voit que le premier satellite est moins �loign� de la surface de Jupiter que la Lune ne l'est de la surface de la Terre. Sur les huit Lunes de Saturne, quatre sont �galement plus rapproch�es; Diane est � quatre-vingt-quatre mille six cents lieues, Th�tys � soixante-deux mille neuf cent soixante-six lieues; Encelade � quarante-huit mille cent quatre-vingt-onze lieues, et enfin Mimas � une distance moyenne de trente-quatre mille cinq cents lieues seulement. Des huit satellites d'Uranus, le premier, Ariel, n'est qu'� cinquante et un mille cinq cent vingt lieues de la plan�te.
Donc, � la surface de ces trois astres, une exp�rience analogue � celle du pr�sident Barbicane e�t pr�sent� des difficult�s moindres. Si donc leurs habitants ont tent� l'aventure, ils ont peut-�tre reconnu la constitution de la moiti� de ce disque, que leur satellite d�robe �ternellement � leurs yeux.[Herschel, en effet, a constat� que, pour les satellites, le mouvement de rotation sur leur axe est toujours �gal au mouvement de r�volution autour de la plan�te. Par cons�quent, ils lui pr�sentent toujours la m�me face. Seul, le monde d'Uranus offre une diff�rence assez marqu�e: les mouvements de ses Lunes s'effectuent dans une direction presque perpendiculaire au plan de l'orbite, et la direction de ses mouvements est r�trograde, c'est-�-dire que ses satellites se meuvent en sens inverse des autres astres du monde solaire.] Mais s'ils n'ont jamais quitt� leur plan�te, ils ne sont pas plus avanc�s que les astronomes de la Terre.
Cependant, le boulet d�crivait dans l'ombre cette incalculable trajectoire qu'aucun point de rep�re ne permettait de relever. Sa direction s'�tait-elle modifi�e, soit sous l'influence de l'attraction lunaire, soit sous l'action d'un astre inconnu? Barbicane ne pouvait le dire. Mais un changement avait eu lieu dans la position relative du v�hicule, et Barbicane le constata vers quatre heures du matin.
Ce changement consistait en ceci, que le culot du projectile s'�tait tourn� vers la surface de la Lune et se maintenait suivant une perpendiculaire passant par son axe. L'attraction, c'est-�-dire la pesanteur, avait amen� cette modification. La partie la plus lourde du boulet inclinait vers le disque invisible, exactement comme s'il f�t tomb� vers lui.
Tombait-il donc? Les voyageurs allaient-ils enfin atteindre ce but tant d�sir�? Non. Et l'observation d'un point de rep�re, assez inexplicable du reste, vint d�montrer � Barbicane que son projectile ne se rapprochait pas de la Lune, et qu'il se d�pla�ait en suivant une courbe � peu pr�s concentrique.
Ce point de rep�re fut un �clat lumineux que Nicholl signala tout � coup sur la limite de l'horizon form� par le disque noir. Ce point ne pouvait �tre confondu avec une �toile. C'�tait une incandescence rouge�tre qui grossissait peu � peu, preuve incontestable que le projectile se d�pla�ait vers lui et ne tombait pas normalement � la surface de l'astre.
�Un volcan! c'est un volcan en activit�! s'�cria Nicholl, un �panchement des feux int�rieurs de la Lune! Ce monde n'est donc pas encore tout � fait �teint.
—Oui! une �ruption, r�pondit Barbicane, qui �tudiait soigneusement le ph�nom�ne avec sa lunette de nuit. Que serait-ce en effet si ce n'�tait un volcan?
—Mais alors, dit Michel Ardan, pour entretenir cette combustion, il faut de l'air. Donc, une atmosph�re enveloppe cette partie de la Lune.
—Peut-�tre, r�pondit Barbicane, mais non pas n�cessairement. Le volcan, par la d�composition de certaines mati�res, peut se fournir � lui-m�me son oxyg�ne et jeter ainsi des flammes dans le vide. Il me semble m�me que cette d�flagration a l'intensit� et l'�clat des objets dont la combustion se produit dans l'oxyg�ne pur. Ne nous h�tons donc pas
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