Vingt mille Lieues Sous Les Mers — Complete by Jules Verne (simple ebook reader .txt) 📕
Read free book «Vingt mille Lieues Sous Les Mers — Complete by Jules Verne (simple ebook reader .txt) 📕» - read online or download for free at americanlibrarybooks.com
- Author: Jules Verne
Read book online «Vingt mille Lieues Sous Les Mers — Complete by Jules Verne (simple ebook reader .txt) 📕». Author - Jules Verne
Autre effet à noter. C'était le passage de nuages épais qui se formaient et s'évanouissaient rapidement ; mais en réfléchissant, je compris que ces prétendus nuages n'étaient dus qu'à l'épaisseur variable des longues lames de fond, et j'apercevais même les « moutons » écumeux que leur crête brisée multipliait sur les eaux. Il n'était pas jusqu'à l'ombre des grands oiseaux qui passaient sur nos têtes, dont je ne surprisse le rapide effleurement à la surface de la mer.
En cette occasion, je fus témoin de l'un des plus beaux coups de fusil qui ait jamais fait tressaillir les fibres d'un chasseur. Un grand oiseau, à large envergure, très nettement visible, s'approchait en planant. Le compagnon du capitaine Nemo le mit en joue et le tira, lorsqu'il fut à quelques mètres seulement au-dessus des flots. L'animal tomba foudroyé, et sa chute l'entraîna jusqu'à la portée de l'adroit chasseur qui s'en empara. C'était un albatros de la plus belle espèce, admirable spécimen des oiseaux pélagiens.
Notre marche n'avait pas été interrompue par cet incident. Pendant deux heures, nous suivîmes tantôt des plaines sableuses, tantôt des prairies de varechs, fort pénibles à traverser. Franchement, je n'en pouvais plus, quand j'aperçus une vague lueur qui rompait, à un demi mille, l'obscurité des eaux. C'était le fanal du Nautilus. Avant vingt minutes, nous devions être à bord, et là , je respirerais à l'aise, car il me semblait que mon réservoir ne fournissait plus qu'un air très pauvre en oxygène. Mais je comptais sans une rencontre qui retarda quelque peu notre arrivée.
J'étais resté d'une vingtaine de pas en arrière, lorsque je vis le capitaine Nemo revenir brusquement vers moi. De sa main vigoureuse, il me courba à terre, tandis que son compagnon en faisait autant de Conseil. Tout d'abord, je ne sus trop que penser de cette brusque attaque, mais je me rassurai en observant que le capitaine se couchait près de moi et demeurait immobile.
J'étais donc étendu sur le sol, et précisément à l'abri d'un buisson de varechs, quand, relevant la tête, j'aperçus d'énormes masses passer bruyamment en jetant des lueurs phosphorescentes.
Mon sang se glaça dans mes veines ! J'avais reconnu les formidables squales qui nous menaçaient. C'était un couple de tintoréas, requins terribles, à la queue énorme, au regard terne et vitreux, qui distillent une matière phosphorescente par des trous percés autour de leur museau. Monstrueuses mouches à feu, qui broient un homme tout entier dans leurs mâchoires de fer ! Je ne sais si Conseil s'occupait à les classer, mais pour mon compte, j'observais leur ventre argenté, leur gueule formidable, hérissée de dents, à un point de vue peu scientifique, et plutôt en victime qu'en naturaliste.
Très heureusement, ces voraces animaux y voient mal. Ils passèrent sans nous apercevoir, nous effleurant de leurs nageoires brunâtres, et nous échappâmes, comme par miracle, à ce danger plus grand, à coup sûr, que la rencontre d'un tigre en pleine forêt.
Une demi-heure après, guidés par la traînée électrique, nous atteignions le Nautilus. La porte extérieure était restée ouverte, et le capitaine Nemo la referma, dès que nous fûmes rentrés dans la première cellule. Puis, il pressa un bouton. J'entendis manœuvrer les pompes au dedans du navire, je sentis l'eau baisser autour de moi et, en quelques instants, la cellule fut entièrement vidée. La porte intérieure s'ouvrit alors, et nous passâmes dans le vestiaire.
Là , nos habits de scaphandre furent retirés, non sans peine, et, très harassé, tombant d'inanition et de sommeil, je regagnai ma chambre, tout émerveillé de cette surprenante excursion au fond des mers.
XVIII QUATRE MILLE LIEUES SOUS LE PACIFIQUELe lendemain matin, 18 novembre, j'étais parfaitement remis de mes fatigues de la veille, et je montai sur la plate-forme, au moment ou le second du Nautilus prononçait sa phrase quotidienne. Il me vint alors à l'esprit qu'elle se rapportait à l'état de la mer, ou plutôt qu'elle signifiait : « Nous n'avons rien en vue. »
Et en effet, l'Océan était désert. Pas une voile à l'horizon. Les hauteurs de l'île Crespo avaient disparu pendant la nuit. La mer, absorbant les couleurs du prisme, à l'exception des rayons bleus, réfléchissait ceux-ci dans toutes les directions et revêtait une admirable teinte d'indigo. Une moire, à larges raies, se dessinait régulièrement sur les flots onduleux.
J'admirais ce magnifique aspect de l'Océan, quand le capitaine Nemo apparut. Il ne sembla pas s'apercevoir de ma présence, et commença une série d'observations astronomiques. Puis, son opération terminée, il alla s'accouder sur la cage du fanal, et ses regards se perdirent à la surface de l'Océan.
Cependant, une vingtaine de matelots du Nautilus, tous gens vigoureux et bien constitues, étaient montés sur la plate-forme. Ils venaient retirer les filets qui avaient été mis à la traîne pendant la nuit. Ces marins appartenaient évidemment à des nations différentes, bien que le type européen fût indiqué chez tous. Je reconnus, à ne pas me tromper, des Irlandais, des Français, quelques Slaves, un Grec ou un Candiote. Du reste, ces hommes étaient sobres de paroles, et n'employaient entre eux que ce bizarre idiome dont je ne pouvais pas même soupçonner l'origine. Aussi, je dus renoncer à les interroger.
Les filets furent halés à bord. C'étaient des espèces de chaluts, semblables à ceux des côtes normandes, vastes poches qu'une vergue flottante et une chaîne transfilée dans les mailles inférieures tiennent entr'ouvertes. Ces poches, ainsi traînées sur leurs gantiers de fer, balayaient le fond de l'Océan et ramassaient tous ses produits sur leur passage. Ce jour-là , ils ramenèrent de curieux échantillons de ces parages poissonneux, des lophies, auxquels leurs mouvements comiques ont valu le qualificatif d'histrions, des commerçons noirs, munis de leurs antennes, des balistes ondulés, entourés de bandelettes rouges, des tétrodons-croissants, dont le venin est extrêmement subtil, quelques lamproies olivâtres, des macrorhinques, couverts d'écailles argentées, des trichiures, dont la puissance électrique est égale à celle du gymnote et de la torpille, des notoptères écailleux, à bandes brunes et transversales, des gades verdâtres, plusieurs variétés de gobies, etc., enfin, quelques poissons de proportions plus vastes, un caranx à tête proéminente, long d'un mètre, plusieurs beaux scombres bonites, chamarrés de couleurs bleues et argentées, et trois magnifiques thons que la rapidité de leur marche n'avait pu sauver du chalut.
J'estimai que ce coup de filet rapportait plus de mille livres de poissons. C'était une belle pêche, mais non surprenante. En effet, ces filets restent à la traîne pendant plusieurs heures et enserrent dans leur prison de fil tout un monde aquatique. Nous ne devions donc pas manquer de vivres d'une excellente qualité, que la rapidité du Nautilus et l'attraction de sa lumière électrique pouvaient renouveler sans cesse.
Ces divers produits de la mer furent immédiatement affalés par le panneau vers les cambuses, destinés, les uns à être mangés frais, les autres à être conservés.
La pêche finie, la provision d'air renouvelée, je pensais que le Nautilus allait reprendre son excursion sous-marine, et je me préparais à regagner ma chambre, quand, se tournant vers moi, le capitaine Nemo me dit sans autre préambule :
« Voyez cet océan, monsieur le professeur, n'est-il pas doué d'une vie réelle ? N'a-t-il pas ses colères et ses tendresses ? Hier, il s'est endormi comme nous, et le voilà qui se réveille après une nuit paisible ! »
Ni bonjour, ni bonsoir ! N'eût-on pas dit que cet étrange personnage continuait avec moi une conversation déjà commencée ?
« Regardez, reprit-il, il s'éveille sous les caresses du soleil ! Il va revivre de son existence diurne ! C'est une intéressante étude que de suivre le jeu de son organisme. Il possède un pouls, des artères, il a ses spasmes, et je donne raison à ce savant Maury, qui a découvert en lui une circulation aussi réelle que la circulation sanguine chez les animaux. »
Il est certain que le capitaine Nemo n'attendait de moi aucune réponse, et il me parut inutile de lui prodiguer les « Evidemment », les « A coup sûr », et les « Vous avez raison ». Il se parlait plutôt à lui-même, prenant de longs temps entre chaque phrase. C'était une méditation à voix haute.
« Oui, dit-il, l'Océan possède une circulation véritable, et, pour la provoquer, il a suffi au Créateur de toutes choses de multiplier en lui le calorique, le sel et les animalcules. Le calorique, en effet, crée des densités différentes, qui amènent les courants et les contre-courants. L'évaporation, nulle aux régions hyperboréennes, très active dans les zones équatoriales, constitue un échange permanent des eaux tropicales et des eaux polaires. En outre, j'ai surpris ces courants de haut en bas et de bas en haut, qui forment la vraie respiration de l'Océan. J'ai vu la molécule d'eau de mer, échauffée à la surface, redescendre vers les profondeurs, atteindre son maximum de densité à deux degrés au-dessous de zéro, puis se refroidissant encore, devenir plus légère et remonter. Vous verrez, aux pôles, les conséquences de ce phénomène, et vous comprendrez pourquoi, par cette loi de la prévoyante nature, la congélation ne peut jamais se produire qu'à la surface des eaux ! »
Pendant que le capitaine Nemo achevait sa phrase, je me disais : « Le pôle ! Est-ce que cet audacieux personnage prétend nous conduire jusque-là ! »
Cependant, le capitaine s'était tu, et regardait cet élément si complètement, si incessamment étudié par lui. Puis reprenant :
« Les sels, dit-il, sont en quantité considérable dans la mer, monsieur le professeur, et si vous enleviez tous ceux qu'elle contient en dissolution, vous en feriez une masse de quatre millions et demi de lieues cubes, qui, étalée sur le globe, formerait une couche de plus de dix mètres de hauteur. Et ne croyez pas que la présence de ces sels ne soit due qu'à un caprice de la nature. Non. Ils rendent les eaux marines moins évaporables, et empêchent les vents de leur enlever une trop grande quantité de vapeurs, qui, en se résolvant, submergeraient les zones tempérées. Rôle immense, rôle de pondérateur dans l'économie générale du globe ! »
Le capitaine Nemo s'arrĂŞta, se leva mĂŞme, fit quelques pas sur la plate-forme, et revint vers moi :
« Quant aux infusoires, reprit-il, quant à ces milliards d'animalcules, qui existent par millions dans une gouttelette, et dont il faut huit cent mille pour peser un milligramme, leur rôle n'est pas moins important. Ils absorbent les sels marins, ils s'assimilent les éléments solides de l'eau, et, véritables faiseurs de continents calcaires, ils fabriquent des coraux et des madrépores ! Et alors la goutte d'eau, privée de son aliment minéral, s'allège, remonte à la surface, y absorbe les sels abandonnés par l'évaporation, s'alourdit, redescend, et rapporte aux animalcules de nouveaux éléments à absorber. De là , un double courant ascendant et descendant, et toujours le mouvement, toujours la vie ! La vie, plus intense que sur les continents, plus exubérante, plus infinie, s'épanouissant dans toutes les parties de cet océan, élément de mort pour l'homme, a-t-on dit, élément de vie pour des myriades d'animaux et pour moi ! »
Quand le capitaine Nemo parlait ainsi, il se transfigurait et provoquait en moi une extraordinaire Ă©motion.
« Aussi, ajouta-t-il, là est la vraie existence ! Et je concevrais la fondation de villes nautiques, d'agglomérations de maisons sous-marines, qui, comme le Nautilus reviendraient respirer chaque matin à la surface des mers, villes libres, s'il en fut, cités indépendantes ! Et encore, qui sait si quelque despote... »
Le capitaine Nemo acheva sa phrase par un geste violent. Puis, s'adressant directement à moi, comme pour chasser une pensée funeste :
« Monsieur Aronnax, me demanda-t-il, savez-vous quelle est la profondeur de l'Océan ?
— Je sais, du moins, capitaine, ce que les principaux sondages nous ont appris.
— Pourriez-vous me les citer, afin que je les contrôle au besoin ?
— En voici quelques-uns, répondis-je, qui me reviennent à la mémoire. Si je ne me trompe, on a trouvé une profondeur moyenne de huit mille deux cents mètres dans l'Atlantique nord, et de deux mille cinq cents mètres dans la Méditerranée. Les plus remarquables sondes ont été faites dans l'Atlantique sud, près du trente-cinquième degré, et elles ont donné douze mille mètres, quatorze mille quatre-vingt-onze mètres, et quinze mille cent quarante-neuf mètres. En somme,
Comments (0)