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pari. Il s'agissait, en effet, de charger la Columbiad et d'y introduire les quatre cent mille livres de fulmi-coton. Nicholl avait pens�, non sans raison peut-�tre, que la manipulation d'une aussi formidable quantit� de pyroxyle entra�nerait de graves catastrophes, et qu'en tout cas cette masse �minemment explosive s'enflammerait d'elle-m�me sous la pression du projectile.

Il y avait l� de graves dangers encore accrus par l'insouciance et la l�g�ret� des Am�ricains, qui ne se g�naient pas, pendant la guerre f�d�rale, pour charger leurs bombes le cigare � la bouche. Mais Barbicane avait � cœur de r�ussir et de ne pas �chouer au port; il choisit donc ses meilleurs ouvriers, il les fit op�rer sous ses yeux, il ne les quitta pas un moment du regard, et, � force de prudence et de pr�cautions, il sut mettre de son c�t� toutes les chances de succ�s.

Et d'abord il se garda bien d'amener tout son chargement � l'enceinte de Stone's-Hill. Il le fit venir peu � peu dans des caissons parfaitement clos. Les quatre cent mille livres de pyroxyle avaient �t� divis�es en paquets de cinq cents livres, ce qui faisait huit cents grosses gargousses confectionn�es avec soin par les plus habiles artificiers de Pensacola. Chaque caisson pouvait en contenir dix et arrivait l'un apr�s l'autre par le rail-road de Tampa-Town; de cette fa�on il n'y avait jamais plus de cinq mille livres de pyroxyle � la fois dans l'enceinte. Aussit�t arriv�, chaque caisson �tait d�charg� par des ouvriers marchant pieds nus, et chaque gargousse transport�e � l'orifice de la Columbiad, dans laquelle on la descendait au moyen de grues manœuvr�es � bras d'hommes. Toute machine � vapeur avait �t� �cart�e, et les moindres feux �teints � deux milles � la ronde. C'�tait d�j� trop d'avoir � pr�server ces masses de fulmi-coton contre les ardeurs du soleil, m�me en novembre. Aussi travaillait-on de pr�f�rence pendant la nuit, sous l'�clat d'une lumi�re produite dans le vide et qui, au moyen des appareils de Ruhmkorff, cr�ait un jour artificiel jusqu'au fond de la Columbiad. L�, les gargousses �taient rang�es avec une parfaite r�gularit� et reli�es entre elles au moyen d'un fil m�tallique destin� � porter simultan�ment l'�tincelle �lectrique au centre de chacune d'elles.

En effet, c'est au moyen de la pile que le feu devait �tre communiqu� � cette masse de fulmi-coton. Tous ces fils, entour�s d'une mati�re isolante, venaient se r�unir en un seul � une �troite lumi�re perc�e � la hauteur o� devait �tre maintenu le projectile, l� ils traversaient l'�paisse paroi de fonte et remontaient jusqu'au sol par un des �vents du rev�tement de pierre conserv� dans ce but. Une fois arriv� au sommet de Stone's-Hill, le fil, support� sur des poteaux pendant une longueur de deux milles, rejoignait une puissante pile de Bunzen en passant par un appareil interrupteur. Il suffisait donc de presser du doigt le bouton de l'appareil pour que le courant f�t instantan�ment r�tabli et m�t le feu aux quatre cent mille livres de fulmi-coton. Il va sans dire que la pile ne devait entrer en activit� qu'au dernier moment.

Le 28 novembre, les huit cents gargousses �taient dispos�es au fond de la Columbiad. Cette partie de l'op�ration avait r�ussi. Mais que de tracas, que d'inqui�tudes, de luttes, avait subis le pr�sident Barbicane! Vainement il avait d�fendu l'entr�e de Stone's-Hill; chaque jour les curieux escaladaient les palissades, et quelques-uns, poussant l'imprudence jusqu'� la folie, venaient fumer au milieu des balles de fulmi-coton. Barbicane se mettait dans des fureurs quotidiennes. J.-T. Maston le secondait de son mieux, faisant la chasse aux intrus avec une grande vigueur et ramassant les bouts de cigares encore allum�s que les Yankees jetaient �� et l�. Rude t�che, car plus de trois cent mille personnes se pressaient autour des palissades. Michel Ardan s'�tait bien offert pour escorter les caissons jusqu'� la bouche de la Columbiad; mais, l'ayant surpris lui-m�me un �norme cigare � la bouche, tandis qu'il pourchassait les imprudents auxquels il donnait ce funeste exemple, le pr�sident du Gun-Club vit bien qu'il ne pouvait pas compter sur cet intr�pide fumeur, et il fut r�duit � le faire surveiller tout sp�cialement.

Enfin, comme il y a un Dieu pour les artilleurs, rien ne sauta, et le chargement fut men� � bonne fin. Le troisi�me pari du capitaine Nicholl �tait donc fort aventur�. Restait � introduire le projectile dans la Columbiad et � le placer sur l'�paisse couche de fulmi-coton.

Mais, avant de proc�der � cette op�ration, les objets n�cessaires au voyage furent dispos�s avec ordre dans le wagon-projectile. Ils �taient en assez grand nombre, et si l'on avait laiss� faire Michel Ardan, ils auraient bient�t occup� toute la place r�serv�e aux voyageurs. On ne se figure pas ce que cet aimable Fran�ais voulait emporter dans la Lune. Une v�ritable pacotille d'inutilit�s. Mais Barbicane intervint, et l'on dut se r�duire au strict n�cessaire.

Plusieurs thermom�tres, barom�tres et lunettes furent dispos�s dans le coffre aux instruments.

Les voyageurs �taient curieux d'examiner la Lune pendant le trajet, et, pour faciliter la reconnaissance de ce monde nouveau, ils emportaient une excellente carte de Beer et Moedler, la Mappa selenographica, publi�e en quatre planches, qui passe � bon droit pour un v�ritable chef-d'œuvre d'observation et de patience. Elle reproduisait avec une scrupuleuse exactitude les moindres d�tails de cette portion de l'astre tourn�e vers la Terre; montagnes, vall�es, cirques, crat�res, pitons, rainures s'y voyaient avec leurs dimensions exactes, leur orientation fid�le, leur d�nomination, depuis les monts Doerfel et Leibniz dont le haut sommet se dresse � la partie orientale du disque, jusqu'� la Mare frigoris, qui s'�tend dans les r�gions circumpolaires du Nord.

C'�tait donc un pr�cieux document pour les voyageurs, car ils pouvaient d�j� �tudier le pays avant d'y mettre le pied.

Ils emportaient aussi trois rifles et trois carabines de chasse � syst�me et � balles explosives; de plus, de la poudre et du plomb en tr�s grande quantit�.

�On ne sait pas � qui on aura affaire, disait Michel Ardan. Hommes ou b�tes peuvent trouver mauvais que nous allions leur rendre visite! Il faut donc prendre ses pr�cautions.

Du reste, les instruments de d�fense personnelle �taient accompagn�s de pics, de pioches, de scies � main et autres outils indispensables, sans parler des v�tements convenables � toutes les temp�ratures, depuis le froid des r�gions polaires jusqu'aux chaleurs de la zone torride.

Michel Ardan aurait voulu emmener dans son exp�dition un certain nombre d'animaux, non pas un couple de toutes les esp�ces, car il ne voyait pas la n�cessit� d'acclimater dans la Lune les serpents, les tigres, les alligators et autres b�tes malfaisantes.

�Non, disait-il � Barbicane, mais quelques b�tes de somme, bœuf ou vache, �ne ou cheval, feraient bien dans le paysage et nous seraient d'une grande utilit�.

—J'en conviens, mon cher Ardan, r�pondait le pr�sident du Gun-Club, mais notre wagon-projectile n'est pas l'arche de No�. Il n'en a ni la capacit� ni la destination. Ainsi restons dans les limites du possible.

Enfin, apr�s de longues discussions, il fut convenu que les voyageurs se contenteraient d'emmener une excellente chienne de chasse appartenant � Nicholl et un vigoureux terre-neuve d'une force prodigieuse. Plusieurs caisses des graines les plus utiles furent mises au nombre des objets indispensables. Si l'on e�t laiss� faire Michel Ardan, il aurait emport� aussi quelques sacs de terre pour les y semer. En tout cas, il prit une douzaine d'arbustes qui furent soigneusement envelopp�s d'un �tui de paille et plac�s dans un coin du projectile.

Restait alors l'importante question des vivres, car il fallait pr�voir le cas o� l'on accosterait une portion de la Lune absolument st�rile. Barbicane fit si bien qu'il parvint � en prendre pour une ann�e. Mais il faut ajouter, pour n'�tonner personne, que ces vivres consist�rent en conserves de viandes et de l�gumes r�duits � leur plus simple volume sous l'action de la presse hydraulique, et qu'ils renfermaient une grande quantit� d'�l�ments nutritifs; ils n'�taient pas tr�s vari�s, mais il ne fallait pas se montrer difficile dans une pareille exp�dition. Il y avait aussi une r�serve d'eau-de-vie pouvant s'�lever � cinquante gallons [Environ 200 litres.] et de l'eau pour deux mois seulement; en effet, � la suite des derni�res observations des astronomes, personne ne mettait en doute la pr�sence d'une certaine quantit� d'eau � la surface de la Lune. Quant aux vivres, il e�t �t� insens� de croire que des habitants de la Terre ne trouveraient pas � se nourrir l�-haut. Michel Ardan ne conservait aucun doute � cet �gard. S'il en avait eu, il ne se serait pas d�cid� � partir.

�D'ailleurs, dit-il un jour � ses amis, nous ne serons pas compl�tement abandonn�s de nos camarades de la Terre, et ils auront soin de ne pas nous oublier.

—Non, certes, r�pondit J.-T. Maston.

—Comment l'entendez-vous? demanda Nicholl.

—Rien de plus simple, r�pondit Ardan. Est-ce que la Columbiad ne sera pas toujours l�? Eh bien! toutes les fois que la Lune se pr�sentera dans des conditions favorables de z�nith, sinon de p�rig�e, c'est-�-dire une fois par an � peu pr�s, ne pourra-t-on pas nous envoyer des obus charg�s de vivres, que nous attendrons � jour fixe?

—Hurrah! hurrah! s'�cria J.-T. Maston en homme qui avait son id�e; voil� qui est bien dit! Certainement, mes braves amis, nous ne vous oublierons pas!

—J'y compte! Ainsi, vous le voyez, nous aurons r�guli�rement des nouvelles du globe, et, pour notre compte, nous serons bien maladroits si nous ne trouvons pas moyen de communiquer avec nos bons amis de la Terre!

Ces paroles respiraient une telle confiance, que Michel Ardan, avec son air d�termin�, son aplomb superbe, e�t entra�n� tout le Gun-Club � sa suite. Ce qu'il disait paraissait simple, �l�mentaire, facile, d'un succ�s assur�, et il aurait fallu v�ritablement tenir d'une fa�on mesquine � ce mis�rable globe terraqu� pour ne pas suivre les trois voyageurs dans leur exp�dition lunaire.

Lorsque les divers objets eurent �t� dispos�s dans le projectile, l'eau destin�e � faire ressort fut introduite entre ses cloisons, et le gaz d'�clairage refoul� dans son r�cipient. Quant au chlorate de potasse et � la potasse caustique, Barbicane, craignant des retards impr�vus en route, en emporta une quantit� suffisante pour renouveler l'oxyg�ne et absorber l'acide carbonique pendant deux mois. Un appareil extr�mement ing�nieux et fonctionnant automatiquement se chargeait de rendre � l'air ses qualit�s vivifiantes et de le purifier d'une fa�on compl�te. Le projectile �tait donc pr�t, et il n'y avait plus qu'� le descendre dans la Columbiad. Op�ration, d'ailleurs, pleine de difficult�s et de p�rils.

L'�norme obus fut amen� au sommet de Stone's-Hill. L�, des grues puissantes le saisirent et le tinrent suspendu au-dessus du puits de m�tal.

Ce fut un moment palpitant. Que les cha�nes vinssent � casser sous ce poids �norme, et la chute d'une pareille masse e�t certainement d�termin� l'inflammation du fulmi-coton.

Heureusement il n'en fut rien, et quelques heures apr�s, le wagon-projectile, descendu doucement dans l'�me du canon, reposait sur sa couche de pyroxyle, un v�ritable �dredon fulminant. Sa pression n'eut d'autre effet que de bourrer plus fortement la charge de la Columbiad.

�J'ai perdu �, dit le capitaine en remettant au pr�sident Barbicane une somme de trois mille dollars.

Barbicane ne voulait pas recevoir cet argent de la part d'un compagnon de voyage; mais il dut c�der devant l'obstination de Nicholl, que tenait � remplir tous ses engagements avant de quitter la Terre.

�Alors, dit Michel Ardan, je n'ai plus qu'une chose � vous souhaiter, mon brave capitaine.

—Laquelle? demanda Nicholl.

—C'est que vous perdiez vos deux autres paris! De cette fa�on, nous serons s�rs de ne pas rester en route.

XXVI

FEU!

Le premier jour de d�cembre �tait arriv�, jour fatal, car si le d�part du projectile ne s'effectuait pas le soir m�me, � dix heures quarante-six minutes et quarante secondes du soir, plus de dix-huit ans s'�couleraient avant que la Lune se repr�sent�t dans ces m�mes conditions simultan�es de z�nith et de p�rig�e.

Le temps �tait magnifique; malgr� les approches de l'hiver, le soleil resplendissait et baignait de sa radieuse effluve cette Terre que trois de ses habitants allaient abandonner pour un nouveau monde.

Que de gens dormirent mal pendant la nuit qui pr�c�da ce jour si impatiemment d�sir�! Que de poitrines furent oppress�es par le pesant fardeau de l'attente! Tous les cœurs palpit�rent d'inqui�tude, sauf le cœur de Michel Ardan. Cet impassible personnage allait et venait avec son affairement habituel, mais rien ne d�non�ait en lui une pr�occupation inaccoutum�e. Son sommeil avait �t� paisible, le sommeil de Turenne, avant la bataille, sur l'aff�t d'un canon.

Depuis le matin une foule innombrable couvrait les prairies qui s'�tendent � perte de vue autour de Stone's-Hill. Tous les quarts d'heure, le rail-road de Tampa amenait de nouveaux curieux; cette immigration prit bient�t des proportions fabuleuses, et, suivant les relev�s du Tampa-Town Observer, pendant cette m�morable journ�e, cinq millions de spectateurs foul�rent du pied le sol de la Floride.

Depuis un mois la plus grande partie de cette foule bivouaquait

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