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Read book online «Vingt Mille Lieues Sous Les Mers — Part 1 by Jules Verne (read ebook pdf .TXT) 📕».   Author   -   Jules Verne



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véritablement, je désespérais de les atteindre, lorsque Conseil, qui marchait en avant, se baissa soudain, poussa un cri de triomphe, et revint à moi, rapportant un magnifique paradisier.

« Ah ! bravo ! Conseil, m'Ă©criai-je.

— Monsieur est bien bon, répondit Conseil.

— Mais non, mon garçon. Tu as fait lĂ  un coup de maĂ®tre. Prendre un de ces oiseaux vivants, et le prendre Ă  la main !

— Si monsieur veut l'examiner de près, il verra que je n'ai pas eu grand mérite.

— Et pourquoi, Conseil ?

— Parce que cet oiseau est ivre comme une caille.

— Ivre ?

— Oui, monsieur, ivre des muscades qu'il dĂ©vorait sous le muscadier oĂą je l'ai pris. Voyez, ami Ned, voyez les monstrueux effets de l'intempĂ©rance !

— Mille diables ! riposta le Canadien, pour ce que j'ai bu de gin depuis deux mois, ce n'est pas la peine de me le reprocher ! Â»

Cependant, j'examinais le curieux oiseau. Conseil ne se trompait pas. Le paradisier, enivré par le suc capiteux, était réduit à l'impuissance. Il ne pouvait voler. Il marchait à peine. Mais cela m'inquiéta peu, et je le laissai cuver ses muscades.

Cet oiseau appartenait Ă  la plus belle des huit espèces que l'on compte en Papouasie et dans les Ă®les voisines. C'Ă©tait le paradisier « grand-Ă©meraude Â», l'un des plus rares. Il mesurait trois dĂ©cimètres de longueur. Sa tĂŞte Ă©tait relativement petite, ses yeux placĂ©s près de l'ouverture du bec, et petits aussi. Mais il offrait une admirable rĂ©union de nuances. Ă©tant jaune de bec, brun de pieds et d'ongles, noisette aux ailes empourprĂ©es Ă  leurs extrĂ©mitĂ©s, jaune pâle Ă  la tĂŞte et sur le derrière du cou, couleur d'Ă©meraude Ă  la gorge, brun marron au ventre et Ă  la poitrine. Deux filets cornĂ©s et duveteux s'Ă©levaient au-dessus de sa queue, que prolongeaient de longues plumes très lĂ©gères, d'une finesse admirable, et ils complĂ©taient l'ensemble de ce merveilleux oiseau que les indigènes ont poĂ©tiquement appelĂ© 1'« oiseau du soleil Â».

Je souhaitais vivement de pouvoir ramener à Paris ce superbe spécimen des paradisiers, afin d'en faire don au Jardin des Plantes, qui n'en possède pas un seul vivant.

« C'est donc bien rare ? demanda le Canadien, du ton d'un chasseur qui estime fort peu le gibier au point de vue de l'art.

— Très rare, mon brave compagnon, et surtout très difficile à prendre vivant. Et même morts, ces oiseaux sont encore l'objet d'un important trafic. Aussi, les naturels ont-ils imaginé d'en fabriquer comme on fabrique des perles ou des diamants.

— Quoi ! s'Ă©cria Conseil, on fait de faux oiseaux de paradis ?

— Oui, Conseil.

— Et monsieur connaĂ®t-il le procĂ©dĂ© des indigènes ?

— Parfaitement. Les paradisiers, pendant la mousson d'est, perdent ces magnifiques plumes qui entourent leur queue, et que les naturalistes ont appelées plumes subalaires. Ce sont ces plumes que recueillent les faux-monnayeurs en volatiles, et qu'ils adaptent adroitement à quelque pauvre perruche préalablement mutilée. Puis ils teignent la suture, ils vernissent l'oiseau, et ils expédient aux muséums et aux amateurs d'Europe ces produits de leur singulière industrie.

— Bon ! fit Ned Land, si ce n'est pas l'oiseau, ce sont toujours ses plumes, et tant que l'objet n'est pas destinĂ© Ă  ĂŞtre mangĂ©, je n'y vois pas grand mal ! Â»

Mais si mes dĂ©sirs Ă©taient satisfaits par la possession de ce paradisier, ceux du chasseur canadien ne l'Ă©taient pas encore. Heureusement, vers deux heures, Ned Land abattit un magnifique cochon des bois, de ceux que les naturels appellent « bari-outang Â». L'animal venait Ă  propos pour nous procurer de la vraie viande de quadrupède, et il fut bien reçu. Ned Land se montra très glorieux de son coup de fusil. Le cochon, touchĂ© par la balle Ă©lectrique, Ă©tait tombĂ© raide mort.

Le Canadien le dépouilla et le vida proprement, après en avoir retiré une demi-douzaine de côtelettes destinées à fournir une grillade pour le repas du soir. Puis, cette chasse fut reprise, qui devait encore être marquée par les exploits de Ned et de Conseil.

En effet, les deux amis, battant les buissons, firent lever une troupe de kangaroos, qui s'enfuirent en bondissant sur leurs pattes Ă©lastiques. Mais ces animaux ne s'enfuirent pas si rapidement que la capsule Ă©lectrique ne put les arrĂŞter dans leur course.

« Ah ! monsieur le professeur, s'Ă©cria Ned Land que la rage du chasseur prenait Ă  la tĂŞte, quel gibier excellent, cuit Ă  l'Ă©tuvĂ©e surtout ! Quel approvisionnement pour le Nautilus ! Deux ! trois ! cinq Ă  terre ! Et quand je pense que nous dĂ©vorerons toute cette chair, et que ces imbĂ©ciles du bord n'en auront pas miette ! Â»

Je crois que, dans l'excès de sa joie, le Canadien, s'il n'avait pas tant parlĂ©, aurait massacrĂ© toute la bande ! Mais il se contenta d'une douzaine de ces intĂ©ressants marsupiaux, qui forment le premier ordre des mammifères aplacentaires - nous dit Conseil.

Ces animaux Ă©taient de petite taille. C'Ă©tait une espèce de ces « kangaroos-lapins Â», qui gĂ®tent habituellement dans le creux des arbres, et dont la vĂ©locitĂ© est extrĂŞme ; mais s'ils sont de mĂ©diocre grosseur, ils fournissent, du moins, la chair la plus estimĂ©e.

Nous étions très satisfaits des résultats de notre chasse. Le joyeux Ned se proposait de revenir le lendemain à cette île enchantée, qu'il voulait dépeupler de tous ses quadrupèdes comestibles. Mais il comptait sans les événements.

A six heures du soir, nous avions regagné la plage. Notre canot était échoué à sa place habituelle. Le Nautilus, semblable à un long écueil, émergeait des flots à deux milles du rivage.

Ned Land, sans plus tarder, s'occupa de la grande affaire du dĂ®ner. Il s'entendait admirablement Ă  toute cette cuisine. Les cĂ´telettes de « bari-outang Â», grillĂ©es sur des charbons, rĂ©pandirent bientĂ´t une dĂ©licieuse odeur qui parfuma l'atmosphère !...

Mais je m'aperçois que je marche sur les traces du Canadien. Me voici en extase devant une grillade de porc frais ! Que l'on me pardonne, comme j'ai pardonnĂ© Ă  maĂ®tre Land, et pour les mĂŞmes motifs !

Enfin, le dîner fut excellent. Deux ramiers complétèrent ce menu extraordinaire. La pâte de sagou, le pain de l'artocarpus, quelques mangues, une demi-douzaine d'ananas, et la liqueur fermentée de certaines noix de cocos, nous mirent en joie. Je crois même que les idées de mes dignes compagnons n'avaient pas toute la netteté désirable.

« Si nous ne retournions pas ce soir au Nautilus ? dit Conseil.

Si nous n'y retournions jamais ? Â» ajouta Ned Land.

En ce moment une pierre vint tomber Ă  nos pieds, et coupa court Ă  la proposition du harponneur.

XXII LA FOUDRE DU CAPITAINE NEMO

Nous avions regardé du côté de la forêt, sans nous lever, ma main s'arrêtant dans son mouvement vers ma bouche, celle de Ned Land achevant son office.

« Une pierre ne tombe pas du ciel, dit Conseil, ou bien elle mĂ©rite le nom d'aĂ©rolithe. Â»

Une seconde pierre, soigneusement arrondie, qui enleva de la main de Conseil une savoureuse cuisse de ramier, donna encore plus de poids Ă  son observation.

Levés tous les trois, le fusil à l'épaule, nous étions prêts à répondre à toute attaque.

« Sont-ce des singes ? s'Ă©cria Ned Land.

— A peu près, répondit Conseil, ce sont des sauvages.

— Au canot ! Â» dis-je en me dirigeant vers la mer.

Il fallait, en effet, battre en retraite, car une vingtaine de naturels, armés d'arcs et de frondes, apparaissaient sur la lisière d'un taillis, qui masquait l'horizon de droite, à cent pas à peine.

Notre canot était échoué à dix toises de nous.

Les sauvages s'approchaient, sans courir, mais ils prodiguaient les démonstrations les plus hostiles. Les pierres et les flèches pleuvaient.

Ned Land n'avait pas voulu abandonner ses provisions, et malgré l'imminence du danger, son cochon d'un côté, ses kangaroos de l'autre, il détalait avec une certaine rapidité.

En deux minutes, nous étions sur la grève. Charger le canot des provisions et des armes, le pousser à la mer, armer les deux avirons, ce fut l'affaire d'un instant. Nous n'avions pas gagné deux encablures, que cent sauvages, hurlant et gesticulant, entrèrent dans l'eau jusqu'à la ceinture. Je regardais si leur apparition attirerait sur la plate-forme quelques hommes du Nautilus. Mais non. L'énorme engin, couché au large, demeurait absolument désert.

Vingt minutes plus tard, nous montions à bord. Les panneaux étaient ouverts. Après avoir amarré le canot, nous rentrâmes à l'intérieur du Nautilus.

Je descendis au salon, d'où s'échappaient quelques accords. Le capitaine Nemo était là, courbé sur son orgue et plongé dans une extase musicale.

« Capitaine ! Â» lui dis-je.

Il ne m'entendit pas.

« Capitaine ! Â» repris-je en le touchant de la main.

Il frissonna, et se retournant :

« Ah ! c'est vous, monsieur le professeur ? me dit-il. Eh bien ! avez-vous fait bonne chasse, avez-vous herborisĂ© avec succès ?

— Oui, capitaine, répondis-je, mais nous avons malheureusement ramené une troupe de bipèdes dont le voisinage me paraît inquiétant.

— Quels bipèdes ?

— Des sauvages.

— Des sauvages ! rĂ©pondit le capitaine Nemo d'un ton ironique. Et vous vous Ă©tonnez, monsieur le professeur, qu'ayant mis le pied sur une des terres de ce globe, vous y trouviez des sauvages ? Des sauvages, oĂą n'y en a-t-il pas ? Et d'ailleurs, sont-ils pires que les autres, ceux que vous appelez des sauvages ?

— Mais, capitaine...

— Pour mon compte, monsieur, j'en ai rencontré partout.

— Eh bien, répondis-je, si vous ne voulez pas en recevoir à bord du Nautilus, vous ferez bien de prendre quelques précautions.

— Tranquillisez-vous, monsieur le professeur, il n'y a pas là de quoi se préoccuper.

— Mais ces naturels sont nombreux.

— Combien en avez-vous comptĂ© ?

— Une centaine, au moins.

— Monsieur Aronnax, rĂ©pondit le capitaine Nemo, dont les doigts s'Ă©taient replacĂ©s sur les touches de l'orgue, quand tous les indigènes de la Papouasie seraient rĂ©unis sur cette plage, le Nautilus n'aurait rien Ă  craindre de leurs attaques ! Â»

Les doigts du capitaine couraient alors sur le clavier de l'instrument, et je remarquai qu'il n'en frappait que les touches noires, ce qui donnait à ses mélodies une couleur essentiellement écossaise. Bientôt, il eut oublié ma présence, et fut plongé dans une rêverie que je ne cherchai plus à dissiper.

Je remontai sur la plate-forme. La nuit était déjà venue, car, sous cette basse latitude, le soleil se couche rapidement et sans crépuscule. Je n'aperçus plus que confusément l'Ile Gueboroar. Mais des feux nombreux, allumés sur la plage, attestaient que les naturels ne songeaient pas à la quitter.

Je restai seul ainsi pendant plusieurs heures, tantôt songeant ces indigènes mais sans les redouter autrement, car l'imperturbable confiance du capitaine me gagnait - tantôt les oubliant, pour admirer les splendeurs de cette nuit des tropiques. Mon souvenir s'envolait vers la France, à la suite de ces étoiles zodiacales qui devaient l'éclairer dans quelques heures. La lune resplendissait au milieu des constellations du zénith. Je pensai alors que ce fidèle et complaisant satellite reviendrait après-demain, à cette même place, pour soulever ces ondes et arracher le Nautilus à son lit de coraux. Vers minuit, voyant que tout était tranquille sur les flots assombris aussi bien que sous les arbres du rivage, je regagnai ma cabine, et je m'endormis paisiblement.

La nuit s'écoula sans mésaventure. Les Papouas s'effrayaient, sans doute, à la seule vue du monstre échoué dans la baie, car, les panneaux, restés ouverts, leur eussent offert un accès facile à l'intérieur du Nautilus.

A six heures du matin - 8 janvier je remontai sur la plate-forme. Les ombres du matin se levaient. L'île montra bientôt, à travers les brumes dissipées, ses plages d'abord, ses sommets ensuite.

Les indigènes étaient toujours là, plus nombreux que la veille - cinq ou six cents peut-être. Quelques-uns, profitant de la marée basse, s'étaient avancés sur les têtes de coraux, à moins de deux encablures du Nautilus. Je les distinguai facilement. C'étaient bien de véritables Papouas, à taille athlétique, hommes de belle race, au front large et élevé, au nez gros mais non épaté, aux dents blanches. Leur chevelure laineuse, teinte en rouge, tranchait sur un corps, noir et luisant comme celui des Nubiens. Au lobe de leur oreille, coupé et distendu, pendaient des chapelets en os. Ces sauvages étaient généralement nus. Parmi eux, je remarquai quelques femmes, habillées, des hanches au genou, d'une véritable crinoline d'herbes que soutenait une ceinture végétale. Certains chefs avaient orné leur cou d'un croissant et de colliers de verroteries rouges et blanches. Presque tous, armés d'arcs, de flèches et de boucliers, portaient à leur épaule une sorte de filet contenant ces pierres arrondies que leur fronde lance avec adresse.

Un de ces chefs, assez rapprochĂ© du Nautilus, l'examinait avec attention. Ce devait ĂŞtre un « mado Â» de haut rang, car il se drapait

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