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Read book online «Vingt mille Lieues Sous Les Mers — Complete by Jules Verne (simple ebook reader .txt) 📕».   Author   -   Jules Verne



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bon creuser, si je devais périr étouffé, écrasé par cette eau qui se faisait pierre, un supplice que la férocité des sauvages n'eût pas même inventé. Il me semblait que j'étais entre les formidables mâchoires d'un monstre qui se rapprochaient irrésistiblement.

En ce moment, le capitaine Nemo, dirigeant le travail, travaillant lui-même, passa près de moi. Je le touchai de la main et lui montrai les parois de notre prison. La muraille de tribord s'était avancée à moins de quatre mètres de la coque du Nautilus.

Le capitaine me comprit et me fit signe de le suivre. Nous rentrâmes à bord. Mon scaphandre ôté, je l'accompagnai dans le salon.

« Monsieur Aronnax, me dit-il, il faut tenter quelque héroïque moyen, ou nous allons être scellés dans cette eau solidifiée comme dans du ciment.

— Oui ! dis-je, mais que faire ?

— Ah ! s'écria-t-il, si mon Nautilus était assez fort pour supporter cette pression sans en être écrasé ?

— Eh bien ? demandai-je, ne saisissant pas l'idée du capitaine.

— Ne comprenez-vous pas, reprit-il, que cette congélation de l'eau nous viendrait en aide ! Ne voyez-vous pas que par sa solidification, elle ferait éclater ces champs de glace qui nous emprisonnent, comme elle fait, en se gelant, éclater les pierres les plus dures ! Ne sentez-vous pas qu'elle serait un agent de salut au lieu d'être un agent de destruction !

— Oui, capitaine, peut-être. Mais quelque résistance à l'écrasement que possède le Nautilus, il ne pourrait supporter cette épouvantable pression et s'aplatirait comme une feuille de tôle.

— Je le sais, monsieur. Il ne faut donc pas compter sur les secours de la nature, mais sur nous-mêmes. Il faut s'opposer à cette solidification. Il faut l'enrayer. Non seulement, les parois latérales se resserrent, mais il ne reste pas dix pieds d'eau à l'avant ou à l'arrière du Nautilus. La congélation nous gagne de tous les côtés.

— Combien de temps, demandai-je, l'air des réservoirs nous permettra-t-il de respirer à bord ? »

Le capitaine me regarda en face.

« Après-demain, dit-il, les réservoirs seront vides ! »

Une sueur froide m'envahit. Et cependant, devais-je m'étonner de cette réponse ? Le 22 mars, le Nautilus s'était plongé sous les eaux libres du pôle. Nous étions au 26. Depuis cinq jours, nous vivions sur les réserves du bord ! Et ce qui restait d'air respirable, il fallait le conserver aux travailleurs. Au moment où j'écris ces choses, mon impression est tellement vive encore, qu'une terreur involontaire s'empare de tout mon être, et que l'air semble manquer à mes poumons !

Cependant, le capitaine Nemo réfléchissait, silencieux, immobile. Visiblement, une idée lui traversait l'esprit. Mais il paraissait la repousser. Il se répondait négativement à lui-même. Enfin, ces mots s'échappèrent de ses lèvres !

« L'eau bouillante ! murmura-t-il.

— L'eau bouillante ? m'écriai-je.

— Oui, monsieur. Nous sommes renfermés dans un espace relativement restreint. Est-ce que des jets d'eau bouillante, constamment injectée par les pompes du Nautilus, n'élèveraient pas la température de ce milieu et ne retarderaient pas sa congélation ?

— Il faut l'essayer, dis-je résolument.

— Essayons, monsieur le professeur. »

Le thermomètre marquait alors moins sept degrés à l'extérieur. Le capitaine Nemo me conduisit aux cuisines où fonctionnaient de vastes appareils distillatoires qui fournissaient l'eau potable par évaporation. Ils se chargèrent d'eau, et toute la chaleur électrique des piles fut lancée à travers les serpentins baignés par le liquide. En quelques minutes, cette eau avait atteint cent degrés. Elle fut dirigée vers les pompes pendant qu'une eau nouvelle la remplaçait au fur et à mesure. La chaleur développée par les piles était telle que l'eau froide, puisée à la mer, après avoir seulement traversé les appareils, arrivait bouillante aux corps de pompe.

L'injection commença, et trois heures après, le thermomètre marquait extérieurement six degrés au-dessous de zéro. C'était un degré de gagné. Deux heures plus tard, le thermomètre n'en marquait que quatre.

« Nous réussirons, dis-je au capitaine, après avoir suivi et contrôlé par de nombreuses remarques les progrès de l'opération.

— Je le pense, me répondit-il. Nous ne serons pas écrasés. Nous n'avons plus que l'asphyxie à craindre. »

Pendant la nuit, la température de l'eau remonta a un degré au-dessous de zéro. Les injections ne purent la porter à un point plus élevé. Mais comme la congélation de l'eau de mer ne se produit qu'à moins deux degrés, je fus enfin rassuré contre les dangers de la solidification.

Le lendemain, 27 mars, six mètres de glace avaient été arrachés de l'alvéole. Quatre mètres seulement restaient à enlever. C'étaient encore quarante-huit heures de travail. L'air ne pouvait plus être renouvelé à l'intérieur du Nautilus. Aussi, cette journée alla-t-elle toujours en empirant.

Une lourdeur intolérable m'accabla. Vers trois heures du soir, ce sentiment d'angoisse fut porté en moi à un degré violent. Des bâillements me disloquaient les mâchoires. Mes poumons haletaient en cherchant ce fluide comburant, indispensable à la respiration, et qui se raréfiait de plus en plus. Une torpeur morale s'empara de moi. J'étais étendu sans force, presque sans connaissance. Mon brave Conseil, pris des mêmes symptômes, souffrant des mêmes souffrances, ne me quittait plus. Il me prenait la main, il m'encourageait, et je l'entendais encore murmurer :

« Ah ! si je pouvais ne pas respirer pour laisser plus d'air à monsieur ! »

Les larmes me venaient aux yeux de l'entendre parler ainsi.

Si notre situation, à tous, était intolérable à l'intérieur, avec quelle hâte, avec quel bonheur, nous revêtions nos scaphandres pour travailler à notre tour ! Les pics résonnaient sur la couche glacée. Les bras se fatiguaient, les mains s'écorchaient, mais qu'étaient ces fatigues, qu'importaient ces blessures ! L'air vital arrivait aux poumons ! On respirait ! On respirait !

Et cependant, personne ne prolongeait au-delà du temps voulu son travail sous les eaux. Sa tâche accomplie, chacun remettait à ses compagnons haletants le réservoir qui devait lui verser la vie. Le capitaine Nemo donnait l'exemple et se soumettait le premier à cette sévère discipline. L'heure arrivait, il cédait son appareil à un autre et rentrait dans l'atmosphère viciée du bord, toujours calme, sans une défaillance, sans un murmure.

Ce jour-là, le travail habituel fut accompli avec plus de vigueur encore. Deux mètres seulement restaient à enlever sur toute la superficie. Deux mètres seulement nous séparaient de la mer libre. Mais les réservoirs étaient presque vides d'air. Le peu qui restait devait être conservé aux travailleurs. Pas un atome pour le Nautilus !

Lorsque je rentrai à bord, je fus à demi suffoqué. Quelle nuit ! Je ne saurais la peindre. De telles souffrances ne peuvent être décrites. Le lendemain, ma respiration était oppressée. Aux douleurs de tête se mêlaient d'étourdissants vertiges qui faisaient de moi un homme ivre. Mes compagnons éprouvaient les mêmes symptômes. Quelques hommes de l'équipage râlaient.

Ce jour-là, le sixième de notre emprisonnement, le capitaine Nemo, trouvant trop lents la pioche et le pic, résolut d'écraser la couche de glaces qui nous séparait encore de la nappe liquide. Cet homme avait conservé son sang-froid et son énergie. Il domptait par sa force morale les douleurs physiques. Il pensait, il combinait, il agissait.

D'après son ordre, le bâtiment fut soulagé, c'est-à-dire soulevé de la couche glacée par un changement de pesanteur spécifique. Lorsqu'il flotta on le hala de manière à l'amener au-dessus de l'immense fosse dessinée suivant sa ligne de flottaison. Puis, ses réservoirs d'eau s'emplissant, il descendit et s'embotta dans l'alvéole.

En ce moment, tout l'équipage rentra à bord, et la double porte de communication fut fermée. Le Nautilus reposait alors sur la couche de glace qui n'avait pas un mètre d'épaisseur et que les sondes avaient trouée en mille endroits.

Les robinets des réservoirs furent alors ouverts en grand et cent mètres cubes d'eau s'y précipitèrent, accroissant de cent mille kilogrammes le poids du Nautilus.

Nous attendions, nous écoutions, oubliant nos souffrances, espérant encore. Nous jouions notre salut sur un dernier coup.

Malgré les bourdonnements qui emplissaient ma tête, j'entendis bientôt des frémissements sous la coque du Nautilus. Un dénivellement se produisit. La glace craqua avec un fracas singulier, pareil à celui du papier qui se déchire, et le Nautilus s'abaissa.

« Nous passons ! » murmura Conseil a mon oreille.

Je ne pus lui répondre. Je saisis sa main. Je la pressai dans une convulsion involontaire.

Tout à coup, emporté par son effroyable surcharge, le Nautilus s'enfonça comme un boulet sous les eaux, c'est-à-dire qu'il tomba comme il eût fait dans le vide !

Avec toute la force électrique fut mise sur les pompes qui aussitôt commencèrent à chasser l'eau des réservoirs. Après quelques minutes, notre chute fut enrayée. Bientôt même, le manomètre indiqua un mouvement ascensionnel. L'hélice, marchant à toute vitesse, fit tressaillir la coque de tôle jusque dans ses boulons, et nous entraîna vers le nord.

Mais que devait durer cette navigation sous la banquise jusqu'à la mer libre ? Un jour encore ? Je serais mort avant !

A demi étendu sur un divan de la bibliothèque, je suffoquais. Ma face était violette, mes lèvres bleues, mes facultés suspendues. Je ne voyais plus, je n'entendais plus. La notion du temps avait disparu de mon esprit. Mes muscles ne pouvaient se contracter.

Les heures qui s'écoulèrent ainsi, je ne saurais les évaluer. Mais j'eus la conscience de mon agonie qui commençait. Je compris que j'allais mourir...

Soudain je revins à moi. Quelques bouffées d'air pénétraient dans mes poumons. Étions-nous remontés à la surface des flots ? Avions-nous franchi la banquise ?

Non ! C'étaient Ned et Conseil, mes deux braves amis, qui se sacrifiaient pour me sauver. Quelques atomes d'air restaient encore au fond d'un appareil. Au lieu de le respirer, ils l'avaient consacré pour moi, et, tandis qu'ils suffoquaient, ils me versaient la vie goutte à goutte ! Je voulus repousser l'appareil. Ils me tinrent les mains, et pendant quelques instants, je respirai avec volupté.

Mes regards se portèrent vers l'horloge. Il était onze heures du matin. Nous devions être au 28 mars. Le Nautilus marchait avec une vitesse effrayante de quarante milles à l'heure. Il se tordait dans les eaux.

Où était le capitaine Nemo ? Avait-il succombé ? Ses compagnons étaient-ils morts avec lui ?

En ce moment, le manomètre indiqua que nous n'étions plus qu'à vingt pieds de la surface. Un simple champ de glace nous séparait de l'atmosphère. Ne pouvait-on le briser ?

Peut-être ! En tout cas, le Nautilus allait le tenter. Je sentis, en effet, qu'il prenait une position oblique, abaissant son arrière et relevant son éperon. Une introduction d'eau avait suffi pour rompre son équilibre. Puis, poussé par sa puissante hélice, il attaqua l'ice-field par en dessous comme un formidable bélier. Il le crevait peu à peu, se retirait, donnait à toute vitesse contre le champ qui se déchirait, et enfin, emporté par un élan suprême, il s'élança sur la surface glacée qu'il écrasa de son poids.

Le panneau fut ouvert, on pourrait dire arraché, et l'air pur s'introduisit à flots dans toutes les parties du Nautilus.

XVII DU CAP HORN À L'AMAZONE

Comment étais-je sur la plate-forme, je ne saurais le dire. Peut-être le Canadien m'y avait-il transporté. Mais je respirais, je humais l'air vivifiant de la mer. Mes deux compagnons s'enivraient près de moi de ces fraîches molécules. Les malheureux, trop longtemps privés de nourriture, ne peuvent se jeter inconsidérément sur les premiers aliments qu'on leur présente. Nous, au contraire, nous n'avions pas à nous modérer, nous pouvions aspirer à pleins poumons les atomes de cette atmosphère, et c'était la brise, la brise elle-même qui nous versait cette voluptueuse ivresse !

« Ah ! faisait Conseil, que c'est bon, l'oxygène ! Que monsieur ne craigne pas de respirer. Il y en a pour tout le monde. »

Quant à Ned Land, il ne parlait pas, mais il ouvrait des mâchoires à effrayer un requin. Et quelles puissantes aspirations ! Le Canadien « tirait » comme un poêle en pleine combustion.

Les forces nous revinrent promptement, et, lorsque je regardai autour de moi, je vis que nous étions seuls sur la plate-forme. Aucun homme de l'équipage. Pas même le capitaine Nemo. Les étranges marins du Nautilus se contentaient de l'air qui circulait à l'intérieur. Aucun n'était venu se délecter en pleine atmosphère.

Les premières paroles que je prononçai furent des paroles de remerciements et de gratitude pour mes deux compagnons. Ned et Conseil avaient prolongé mon existence pendant les dernières heures de cette longue agonie. Toute ma reconnaissance ne pouvait payer trop un tel dévouement.

« Bon ! monsieur le professeur, me répondit Ned Land, cela ne vaut pas la peine d'en parler ! Quel mérite avons-nous eu à cela ? Aucun. Ce n'était qu'une question d'arithmétique. Votre

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