L'île mystérieuse by Jules Verne (100 books to read txt) 📕
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- Author: Jules Verne
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«Mais êtes-vous sûr d'avoir bien vu? N'était-ce pas une éruption partielle du volcan, un météore quelconque?
— Non, Cyrus, répondit le reporter, c'était certainement un feu allumé de main d'homme. Du reste, interrogez Pencroff et Harbert. Ils ont vu comme j'ai vu moi-même, et ils confirmeront mes paroles.»
Il s'ensuivit donc que, quelques jours après, le 25 avril, pendant la soirée, au moment où tous les colons étaient réunis sur le plateau de Grande-vue, Cyrus Smith prit la parole en disant:
«Mes amis, je crois devoir appeler votre attention sur certains faits qui se sont passés dans l'île, et au sujet desquels je serais bien aise d'avoir votre avis. Ces faits sont pour ainsi dire surnaturels...
— Surnaturels! s'écria le marin en lançant une bouffée de tabac. Se pourrait-il que notre île fût surnaturelle?
— Non, Pencroff, mais mystérieuse, à coup sûr, répondit l'ingénieur, à moins que vous ne puissiez nous expliquer ce que, Spilett et moi, nous n'avons pu comprendre jusqu'ici.
— Parlez, Monsieur Cyrus, répondit le marin.
— Eh bien! Avez-vous compris, dit alors l'ingénieur, comment il a pu se faire qu'après être tombé à la mer, j'aie été retrouvé à un quart de mille à l'intérieur de l'île, et cela sans que j'aie eu conscience de ce déplacement?
— À moins que, étant évanoui... dit Pencroff.
— Ce n'est pas admissible, répondit l'ingénieur. Mais passons. Avez-vous compris comment Top a pu découvrir votre retraite, à cinq milles de la grotte où j'étais couché?
— L'instinct du chien... répondit Harbert.
— Singulier instinct! fit observer le reporter, puisque, malgré la pluie et le vent qui faisaient rage pendant cette nuit, Top arriva aux cheminées sec et sans une tache de boue!
— Passons, reprit l'ingénieur. Avez-vous compris comment notre chien fut si étrangement rejeté hors des eaux du lac, après sa lutte avec le dugong?
— Non! Pas trop, je l'avoue, répondit Pencroff, et la blessure que le dugong avait au flanc, blessure qui semblait avoir été faite par un instrument tranchant, ne se comprend pas davantage.
— Passons encore, reprit Cyrus Smith. Avez-vous compris, mes amis, comment ce grain de plomb s'est trouvé dans le corps du jeune pécari, comment cette caisse s'est si heureusement échouée, sans qu'il y ait eu trace de naufrage, comment cette bouteille renfermant le document s'est offerte si à propos, lors de notre première excursion en mer, comment notre canot, ayant rompu son amarre, est venu par le courant de la Mercy nous rejoindre précisément au moment où nous en avions besoin, comment, après l'invasion des singes, l'échelle a été si opportunément renvoyée des hauteurs de Granite-House, comment, enfin, le document qu'Ayrton prétend n'avoir jamais écrit est tombé entre nos mains?»
Cyrus Smith venait d'énumérer, sans en oublier un seul, les faits étranges qui s'étaient accomplis dans l'île. Harbert, Pencroff et Nab se regardèrent, ne sachant que répondre, car la succession de ces incidents, ainsi groupés pour la première fois, ne laissa pas de les surprendre au plus haut point.
«Sur ma foi, dit enfin Pencroff, vous avez raison, Monsieur Cyrus, et il est difficile d'expliquer ces choses-là!
— Eh bien, mes amis, reprit l'ingénieur, un dernier fait est venu s'ajouter à ceux-là, et il est non moins incompréhensible que les autres!
— Lequel, Monsieur Cyrus? demanda vivement Harbert.
— Quand vous êtes revenu de l'île Tabor, Pencroff, reprit l'ingénieur, vous dites qu'un feu vous est apparu sur l'île Lincoln?
— Certainement, répondit le marin.
— Et vous êtes bien certain de l'avoir vu, ce feu?
— Comme je vous vois.
— Toi aussi, Harbert?
— Ah! Monsieur Cyrus, s'écria Harbert, ce feu brillait comme une étoile de première grandeur!
— Mais n'était-ce point une étoile? demanda l'ingénieur en insistant.
— Non, répondit Pencroff, car le ciel était couvert de gros nuages, et une étoile, en tout cas, n'aurait pas été si basse sur l'horizon. Mais M Spilett l'a vu comme nous, et il peut confirmer nos paroles!
— J'ajouterai, dit le reporter, que ce feu était très vif et qu'il projetait comme une nappe électrique.
— Oui! Oui! Parfaitement... répondit Harbert, et il était certainement placé sur les hauteurs de Granite-House.
— Eh bien, mes amis, répondit Cyrus Smith, pendant cette nuit du 19 au 20 octobre, ni Nab, ni moi, nous n'avons allumé un feu sur la côte.
— Vous n'avez pas?... s'écria Pencroff, au comble de l'étonnement, et qui ne put même achever sa phrase.
— Nous n'avons pas quitté Granite-House, répondit Cyrus Smith, et si un feu a paru sur la côte, c'est une autre main que la nôtre qui l'a allumé!»
Pencroff, Harbert et Nab étaient stupéfaits. Il n'y avait pas eu d'illusion possible, et un feu avait bien réellement frappé leurs yeux pendant cette nuit du 19 au 20 octobre!
Oui! Ils durent en convenir, un mystère existait! Une influence inexplicable, évidemment favorable aux colons, mais fort irritante pour leur curiosité, se faisait sentir et comme à point nommé sur l'île Lincoln. Y avait-il donc quelque être caché dans ses plus profondes retraites? C'est ce qu'il faudrait savoir à tout prix!
Cyrus Smith rappela également à ses compagnons la singulière attitude de Top et de Jup, quand ils rôdaient à l'orifice du puits qui mettait Granite-House en communication avec la mer, et il leur dit qu'il avait exploré ce puits sans y découvrir rien de suspect. Enfin, la conclusion de cette conversation fut une détermination prise par tous les membres de la colonie de fouiller entièrement l'île, dès que la belle saison serait revenue.
Mais depuis ce jour, Pencroff parut être soucieux.
Cette île dont il faisait sa propriété personnelle, il lui sembla qu'elle ne lui appartenait plus tout entière et qu'il la partageait avec un autre maître, auquel, bon gré, mal gré, il se sentait soumis.
Nab et lui causaient souvent de ces inexplicables choses, et tous deux, très portés au merveilleux par leur nature même, n'étaient pas éloignés de croire que l'île Lincoln fût subordonnée à quelque puissance surnaturelle.
Cependant les mauvais jours étaient venus avec le mois de mai, — novembre des zones boréales. L'hiver semblait devoir être rude et précoce. Aussi les travaux d'hivernage furent-ils entrepris sans retard.
Du reste, les colons étaient bien préparés à recevoir cet hiver, si dur qu'il dût être. Les vêtements de feutre ne manquaient pas, et les mouflons, nombreux alors, avaient abondamment fourni la laine nécessaire à la fabrication de cette chaude étoffe.
Il va sans dire qu'Ayrton avait été pourvu de ces confortables vêtements. Cyrus Smith lui offrit de venir passer la mauvaise saison à Granite-House, où il serait mieux logé qu'au corral, et Ayrton promit de le faire, dès que les derniers travaux du corral seraient terminés. Ce qu'il fit vers la mi-avril. Depuis ce temps-là, Ayrton partagea la vie commune et se rendit utile en toute occasion; mais, toujours humble et triste, il ne prenait jamais part aux plaisirs de ses compagnons!
Pendant la plus grande partie de ce troisième hiver que les colons passaient à l'île Lincoln, ils demeurèrent confinés dans Granite-House. Il y eut de très grandes tempêtes et des bourrasques terribles, qui semblaient ébranler les roches jusque sur leur base. D'immenses raz de marée menacèrent de couvrir l'île en grand, et, certainement, tout navire mouillé sur les atterrages s'y fût perdu corps et biens. Deux fois, pendant une de ces tourmentes, la Mercy grossit au point de donner lieu de craindre que le pont et les ponceaux ne fussent emportés, et il fallut même consolider ceux de la grève, qui disparaissaient sous les couches d'eau, quand la mer battait le littoral.
On pense bien que de tels coups de vent, comparables à des trombes, où se mélangeaient la pluie et la neige, causèrent des dégâts sur le plateau de Grande-vue. Le moulin et la basse-cour eurent particulièrement à souffrir. Les colons durent souvent y faire des réparations urgentes, sans quoi l'existence des volatiles eût été sérieusement menacée.
Par ces grands mauvais temps, quelques couples de jaguars et des bandes de quadrumanes s'aventuraient jusqu'à la lisière du plateau, et il était toujours à craindre que les plus souples et les plus audacieux, poussés par la faim, ne parvinssent à franchir le ruisseau, qui, d'ailleurs, lorsqu'il était gelé, leur offrait un passage facile. Plantations et animaux domestiques eussent été infailliblement détruits alors sans une surveillance continuelle, et souvent il fallut faire le coup de feu pour tenir à respectueuse distance ces dangereux visiteurs. Aussi la besogne ne manqua-t-elle pas aux hiverneurs, car, sans compter les soins du dehors, il y avait toujours mille travaux d'aménagement à Granite-House.
Il y eut aussi quelques belles chasses, qui furent faites par les grands froids dans les vastes marais des tadornes. Gédéon Spilett et Harbert, aidés de Jup et de Top, ne perdaient pas un coup au milieu de ces myriades de canards, de bécassines, de sarcelles, de pilets et de vanneaux. L'accès de ce giboyeux territoire était facile, d'ailleurs, soit que l'on s'y rendît par la route du port ballon, après avoir passé le pont de la Mercy, soit en tournant les roches de la pointe de l'épave, et les chasseurs ne s'éloignaient jamais de Granite-House au delà de deux ou trois milles.
Ainsi se passèrent les quatre mois d'hiver, qui furent réellement rigoureux, c'est-à-dire juin, juillet, août et septembre. Mais, en somme, Granite-House ne souffrit pas trop des inclémences du temps, et il en fut de même au corral, qui, moins exposé que le plateau et couvert en grande partie par le mont Franklin, ne recevait que les restes des coups de vent déjà brisés par les forêts et les hautes roches du littoral. Les dégâts y furent donc peu importants, et la main active et habile d'Ayrton suffit à les réparer promptement, quand, dans la seconde quinzaine d'octobre, il retourna passer quelques jours au corral.
Pendant cet hiver, il ne se produisit aucun nouvel incident inexplicable. Rien d'étrange n'arriva, bien que Pencroff et Nab fussent à l'affût des faits les plus insignifiants qu'ils eussent pu rattacher à une cause mystérieuse. Top et Jup eux-mêmes ne rôdaient plus autour du puits et ne donnaient aucun signe d'inquiétude. Il semblait donc que la série des incidents surnaturels fût interrompue, bien qu'on en causât souvent pendant les veillées de Granite-House, et qu'il demeurât bien convenu que l'île serait fouillée jusque dans ses parties les plus difficiles à explorer. Mais un événement de la plus haute gravité, et dont les conséquences pouvaient être funestes, vint momentanément détourner de leurs projets Cyrus Smith et ses compagnons.
On était au mois d'octobre. La belle saison revenait à grands pas. La nature se renouvelait sous les rayons du soleil, et, au milieu du feuillage persistant des conifères qui formaient la lisière du bois, apparaissait déjà le feuillage nouveau des micocouliers, des banksias et des deodars.
On se rappelle que Gédéon Spilett et Harbert avaient pris, à plusieurs reprises, des vues photographiques de l'île Lincoln.
Or, le 17 de ce mois d'octobre, vers trois heures du soir, Harbert, séduit par la pureté du ciel, eut la pensée de reproduire toute la baie de l'union qui faisait face au plateau de Grande-vue, depuis le cap mandibule jusqu'au cap griffe.
L'horizon était admirablement dessiné, et la mer, ondulant sous une brise molle, présentait à son arrière-plan l'immobilité des eaux d'un lac, piquetées çà et là de paillons lumineux.
L'objectif avait été placé à l'une des fenêtres de la grande salle de Granite-House, et par conséquent, il dominait la grève et la baie. Harbert procéda comme il avait l'habitude de le faire, et, le cliché obtenu, il alla le fixer au moyen des substances qui étaient déposées dans un réduit obscur de Granite-House.
Revenu en pleine lumière, en l'examinant bien, Harbert aperçut sur son cliché un petit point presque imperceptible qui tachait l'horizon de mer.
Il essaya de le faire disparaître par un lavage réitéré, mais il ne put y parvenir.
«C'est un défaut qui se trouve dans le verre», pensa-t-il.
Et alors il eut la curiosité d'examiner ce défaut avec une forte lentille qu'il dévissa de l'une des lunettes.
Mais, à peine eut-il regardé, qu'il poussa un cri et que le cliché faillit lui échapper des mains.
Courant aussitôt à la chambre où se tenait Cyrus Smith, il tendit le cliché et la lentille à l'ingénieur, en lui indiquant la petite tache.
Cyrus Smith examina ce point; puis, saisissant sa longue-vue, il se précipita vers la fenêtre.
La longue-vue, après avoir parcouru lentement l'horizon, s'arrêta enfin sur le point suspect, et Cyrus Smith, l'abaissant, ne prononça que ce mot: «navire!»
Et, en effet, un navire était en vue de l'île Lincoln!
LE SECRET DE L'ÎLE CHAPITRE I
Depuis deux ans et demi, les naufragés du ballon avaient été jetés sur l'île Lincoln, et jusqu'alors aucune communication n'avait pu s'établir entre eux et leurs semblables. Une fois, le reporter avait tenté de se mettre en rapport avec le monde habité, en confiant à un oiseau cette notice qui contenait le secret de leur situation, mais c'était là une chance sur laquelle il était impossible de compter sérieusement. Seul, Ayrton, et dans les circonstances que
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