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et les hurrah de Michel Ardan. Et pas un de ces fous audacieux ne se souvenait de cette question qu'ils avaient eux-m�mes r�solue n�gativement: Non! la Lune n'est pas habit�e. Non! la Lune n'est probablement pas habitable! Et cependant, ils allaient tout tenter pour l'atteindre!

Une seule question restait � r�soudre: A quel moment pr�cis le projectile aurait-il atteint ce point d'�gale attraction o� les voyageurs joueraient leur va-tout?

Pour calculer ce moment � quelques secondes pr�s, Barbicane n'avait qu'� se reporter � ses notes de voyage et � relever les diff�rentes hauteurs prises sur les parall�les lunaires. Ainsi, le temps employ� � parcourir la distance situ�e entre le point mort et le p�le sud devait �tre �gal � la distance qui s�parait le p�le nord du point mort. Les heures repr�sentant les temps parcourus �taient soigneusement not�es, et le calcul devenait facile.

Barbicane trouva que ce point serait atteint par le projectile � une heure du matin dans la nuit du 7 au 8 d�cembre. Or, il �tait en ce moment trois heures du matin, de la nuit du 6 au 7 d�cembre. Donc, si rien ne troublait sa marche, le projectile atteindrait le point voulu dans vingt-deux heures.

Les fus�es avaient �t� primitivement dispos�es pour ralentir la chute du boulet sur la Lune, et maintenant les audacieux allaient les employer � provoquer un effet absolument contraire. Quoi qu'il en soit, elles �taient pr�tes, et il n'y avait plus qu'� attendre le moment d'y mettre le feu.

�Puisqu'il n'y a rien � faire, dit Nicholl, je fais une proposition.

—Laquelle? demanda Barbicane.

—Je propose de dormir.

—Par exemple! s'�cria Michel Ardan.

—Voil� quarante heures que nous n'avons ferm� les yeux, dit Nicholl. Quelques heures de sommeil nous rendront toutes nos forces.

—Jamais, r�pliqua Michel.

—Bon, reprit Nicholl, que chacun agisse � sa guise! Moi je dors!�

Et s'�tendant sur un divan, Nicholl ne tarda pas � ronfler comme un boulet de quarante-huit.

�Ce Nicholl est plein de sens, dit bient�t Barbicane. Je vais l'imiter.�

Quelques instants apr�s, il soutenait de sa basse continue le baryton du capitaine.

�D�cid�ment, dit Michel Ardan, quand il se vit seul, ces gens pratiques ont quelquefois des id�es opportunes.�

Et, ses longues jambes allong�es, ses grands bras repli�s sous sa t�te, Michel s'endormit � son tour.

Mais ce sommeil ne pouvait �tre ni durable, ni paisible. Trop de pr�occupations roulaient dans l'esprit de ces trois hommes, et quelques heures apr�s, vers sept heures du matin, tous trois �taient sur pied au m�me instant.

Le projectile s'�loignait toujours de la Lune, inclinant de plus en plus vers elle sa partie conique. Ph�nom�ne inexplicable jusqu'ici, mais qui servait heureusement les desseins de Barbicane.

Encore dix-sept heures, et le moment d'agir serait venu.

Cette journ�e parut longue. Quelque audacieux qu'ils fussent, les voyageurs se sentaient vivement impressionn�s � l'approche de cet instant qui devait tout d�cider, ou leur chute vers la Lune, ou leur �ternel encha�nement dans un orbe immutable. Ils compt�rent donc les heures, trop lentes � leur gr�, Barbicane et Nicholl obstin�ment plong�s dans leurs calculs, Michel allant et venant entre ces parois �troites, et contemplant d'un œil avide cette Lune impassible.

Parfois, des souvenirs de la Terre traversaient rapidement leur esprit. Ils revoyaient leurs amis du Gun-Club, et le plus cher de tous, J.-T. Maston. En ce moment, l'honorable secr�taire devait occuper son poste dans les montagnes Rocheuses. S'il apercevait le projectile sur le miroir de son gigantesque t�lescope, que penserait-il? Apr�s l'avoir vu dispara�tre derri�re le p�le sud de la Lune, il le voyait r�appara�tre par le p�le nord! C'�tait donc le satellite d'un satellite! J.-T. Maston avait-il lanc� dans le monde cette nouvelle inattendue? Etait-ce donc l� le d�nouement de cette grande entreprise?...

Cependant, la journ�e se passa sans incident. Le minuit terrestre arriva. Le 8 d�cembre allait commencer. Une heure encore, et le point d'�gale attraction serait atteint. Quelle vitesse animait alors le projectile? On ne savait l'estimer. Mais aucune erreur ne pouvait entacher les calculs de Barbicane. A une heure du matin, cette vitesse devait �tre et serait nulle.

Un autre ph�nom�ne devait, d'ailleurs, marquer le point du projectile sur la ligne neutre. En cet endroit les deux attractions terrestres et lunaires seraient annul�es. Les objets ne �p�seraient� plus. Ce fait singulier, qui avait si curieusement surpris Barbicane et ses compagnons � l'aller, devait se reproduire au retour dans des conditions identiques. C'est � ce moment pr�cis qu'il faudrait agir.

D�j� le chapeau conique du projectile �tait sensiblement tourn� vers le disque lunaire. Le boulet se pr�sentait de mani�re � utiliser tout le recul produit par la pouss�e des appareils fusants. Les chances se pronon�aient donc pour les voyageurs. Si la vitesse du projectile �tait absolument annul�e sur ce point mort, un mouvement d�termin� vers la Lune suffirait, si l�ger qu'il f�t, pour d�terminer sa chute.

�Une heure moins cinq minutes, dit Nicholl.

—Tout est pr�t, r�pondit Michel Ardan en dirigeant une m�che pr�par�e vers la flamme du gaz.

—Attends�, dit Barbicane, tenant son chronom�tre � la main.

En ce moment, la pesanteur ne produisait plus aucun effet. Les voyageurs sentaient en eux-m�mes cette compl�te disparition. Ils �taient bien pr�s du point neutre, s'ils n'y touchaient pas!...

�Une heure!� dit Barbicane.

Michel Ardan approcha la m�che enflamm�e d'un artifice qui mettait les fus�es en communication instantan�e. Aucune d�tonation ne se fit entendre � l'int�rieur o� l'air manquait. Mais, par les hublots, Barbicane aper�ut un fusement prolong� dont la d�flagration s'�teignit aussit�t.

Le projectile �prouva une certaine secousse qui fut tr�s sensiblement ressentie � l'int�rieur.

Les trois amis regardaient, �coutaient sans parler, respirant � peine. On aurait entendu battre leur cœur au milieu de ce silence absolu.

�Tombons-nous? demanda enfin Michel Ardan.

—Non, r�pondit Nicholl, puisque le culot du projectile ne se retourne pas vers le disque lunaire!�

En ce moment, Barbicane, quittant la vitre des hublots, se retourna vers ses deux compagnons. Il �tait affreusement p�le, le front pliss�, les l�vres contract�es.

�Nous tombons! dit-il.

—Ah! s'�cria Michel Ardan, vers la Lune?

—Vers la Terre! r�pondit Barbicane.

Diable!� s'�cria Michel Ardan, et il ajouta philosophiquement: �Bon! en entrant dans ce boulet, nous nous doutions bien qu'il ne serait pas facile d'en sortir!�

En effet, cette chute �pouvantable commen�ait. La vitesse conserv�e par le projectile l'avait port� au-del� du point mort. L'explosion des fus�es n'avait pu l'enrayer. Cette vitesse, qui � l'aller avait entra�n� le projectile en dehors de la ligne neutre, l'entra�nait encore au retour. La physique voulait que, dans son orbe elliptique, il repass�t par tous les points par lesquels il avait d�j� pass� .

C'�tait une chute terrible, d'une hauteur de soixante-dix-huit mille lieues, et qu'aucun ressort ne pourrait amoindrir. D'apr�s les lois de la balistique, le projectile devait frapper la Terre avec une vitesse �gale � celle qui l'animait au sortir de la Columbiad, une vitesse de �seize mille m�tres dans la derni�re seconde�!

Et, pour donner un chiffre de comparaison, on a calcul� qu'un objet lanc� du haut des tours de Notre-Dame, dont l'altitude n'est que de deux cents pieds, arrive au pav� avec une vitesse de cent vingt lieues � l'heure. Ici, le projectile devait frapper la Terre avec une vitesse de cinquante-sept mille six cents lieues � l'heure .

�Nous sommes perdus, dit froidement Nicholl.

—Eh bien, si nous mourons, r�pondit Barbicane avec une sorte d'enthousiasme religieux, le r�sultat de notre voyage sera magnifiquement �largi! C'est son secret lui-m�me que Dieu nous dira! Dans l'autre vie, l'�me n'aura besoin, pour savoir, ni de machines ni d'engins! Elle s'identifiera avec l'�ternelle sagesse!

—Au fait, r�pliqua Michel Ardan, l'autre monde tout entier peut bien nous consoler de cet astre infime qui s'appelle la Lune!

Barbicane croisa ses bras sur sa poitrine par un mouvement de sublime r�signation.

�A la volont� du Ciel!� dit-il

XX

Les sondages de la susquehanna

�Eh bien, lieutenant, et ce sondage?

—Je crois, monsieur, que l'op�ration touche � sa fin, r�pondit le lieutenant Bronsfield. Mais qui se serait attendu � trouver une telle profondeur si pr�s de terre, � une centaine de lieues seulement de la c�te am�ricaine?

—En effet, Bronsfield, c'est une forte d�pression, dit le capitaine Blomsberry. Il existe en cet endroit une vall�e sous-marine creus�e par le courant de Humboldt qui prolonge les c�tes de l'Am�rique jusqu'au d�troit de Magellan.

—Ces grandes profondeurs, reprit le lieutenant, sont peu favorables � la pose des c�bles t�l�graphiques. Mieux vaut un plateau uni, tel que celui qui supporte le c�ble am�ricain entre Valentia et Terre-Neuve.

—J'en conviens, Bronsfield. Et, avec votre permission, lieutenant, o� en sommes-nous maintenant?

—Monsieur, r�pondit Bronsfield, nous avons en ce moment, vingt et un mille cinq cents pieds de ligne dehors, et le boulet qui entra�ne la sonde n'a pas encore touch� le fond, car la sonde serait remont�e d'elle-m�me.

—Un ing�nieux appareil que cet appareil Brook, dit le capitaine Blomsberry. Il permet d'obtenir des sondages d'une grande exactitude.

—Touche!� cria en ce moment un des timoniers de l'avant qui surveillait l'op�ration.

Le capitaine et le lieutenant se rendirent sur le gaillard.

�Quelle profondeur avons-nous? demanda le capitaine.

—Vingt et un mille sept cent soixante-deux pieds, r�pondit le lieutenant en inscrivant ce nombre sur son carnet.

—Bien, Bronsfield, dit le capitaine, je vais porter ce r�sultat sur ma carte. Maintenant, faites haler la sonde � bord. C'est un travail de plusieurs heures. Pendant cet instant, l'ing�nieur allumera ses fourneaux, et nous serons pr�ts � partir d�s que vous aurez termin�. Il est dix heures du soir, et, avec votre permission, lieutenant, je vais aller me coucher.

Faites donc, monsieur, faites donc!� r�pondit obligeamment le lieutenant Bronsfield.

Le capitaine de la Susquehanna , un brave homme s'il en fut, le tr�s humble serviteur de ses officiers, regagna sa cabine, prit un grog au brandy qui valut d'interminables t�moignages de satisfaction � son ma�tre d'h�tel, se coucha non sans avoir compliment� son domestique sur sa mani�re de faire les lits, et s'endormit d'un paisible sommeil.

Il �tait alors dix heures du soir. La onzi�me journ�e du mois de d�cembre allait s'achever dans une nuit magnifique.

La Susquehanna , corvette de cinq cents chevaux, de la marine nationale des �tats-Unis, s'occupait d'op�rer des sondages dans le Pacifique, � cent lieues environ de la c�te am�ricaine, par le travers de cette presqu'�le allong�e qui se dessine sur la c�te du Nouveau-Mexique.

Le vent avait peu � peu molli. Pas une agitation ne troublait les couches de l'air. La flamme de la corvette, immobile, inerte, pendait sur le m�t de perroquet.

Le capitaine Jonathan Blomsberry—cousin germain du colonel Blomsberry, l'un des plus ardents du Gun-Club, qui avait �pous� une Horschbidden, tante du capitaine et fille d'un honorable n�gociant du Kentucky—le capitaine Blomsberry n'aurait pu souhaiter un temps meilleur pour mener � bonne fin ses d�licates op�rations de sondage. Sa corvette n'avait m�me rien ressenti de cette vaste temp�te qui, balayant les nuages amoncel�s sur les montagnes Rocheuses, devait permettre d'observer la marche du fameux projectile. Tout allait � son gr�, et il n'oubliait point d'en remercier le ciel avec la ferveur d'un presbyt�rien.

La s�rie de sondages ex�cut�s par la Susquehanna avait pour but de reconna�tre les fonds les plus favorables � l'�tablissement d'un c�ble sous-marin qui devait relier les �les Hawa� � la c�te am�ricaine.

C'�tait un vaste projet d� � l'initiative d'une compagnie puissante. Son directeur, l'intelligent Cyrus Field, pr�tendait m�me couvrir toutes les �les de l'Oc�anie d'un vaste r�seau �lectrique, entreprise immense et digne du g�nie am�ricain.

C'�tait � la corvette la Susquehanna qu'avaient �t� confi�es les premi�res op�rations de sondage. Pendant cette nuit du 11 au 12 d�cembre, elle se trouvait exactement par 27� 7' de latitude nord, et 41� 37' de longitude � l'ouest du m�ridien de Washington.[Exactement 119� 55' de longitude � l'ouest du m�ridien de Paris.]

La Lune, alors dans son dernier quartier, commen�ait � se montrer au-dessus de l'horizon.

Apr�s le d�part du capitane Blomsberry, le lieutenant Bronsfield et quelques officiers s'�taient r�unis sur la dunette. A l'apparition de la Lune, leurs pens�es se port�rent vers cet astre que les yeux de tout un h�misph�re contemplaient alors. Les meilleures lunettes marines n'auraient pu d�couvrir le projectile errant autour de son demi-globe, et cependant toutes se braqu�rent vers son disque �tincelant que des millions de regards lorgnaient au m�me moment.

�Ils sont partis depuis dix jours, dit alors le lieutenant Bronsfield. Que sont-ils devenus?

—Ils sont arriv�s, mon lieutenant, s'�cria un jeune midshipman, et ils font ce que fait tout voyageur arriv� dans un pays nouveau, ils se prom�nent!

—J'en suis certain, puisque vous me le dites, mon jeune ami, r�pondit en souriant le lieutenant Bronsfield.

—Cependant, reprit un autre officier, on ne peut mettre leur arriv�e en doute. Le projectile a d� atteindre la Lune au moment o� elle �tait pleine, le 5 � minuit. Nous voici au 11 d�cembre, ce qui fait six jours. Or, en six fois vingt-quatre heures, sans obscurit�, on a le temps de s'installer confortablement. Il me semble que je les vois, nos braves compatriotes, camp�s au fond d'une vall�e, sur le bord d'un ruisseau s�l�nite, pr�s du projectile � demi enfonc� par sa chute au milieu des d�bris volcaniques, le capitaine Nicholl commen�ant ses op�rations de nivellement, le pr�sident Barbicane mettant au net ses notes de voyage, Michel Ardan embaumant les solitudes lunaires du parfum de ses londr�s...

—Oui, cela doit �tre ainsi, c'est ainsi! s'�cria le jeune midshipman, enthousiasm� par la description id�ale de

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