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Read book online «Vingt Mille Lieues Sous Les Mers — Part 1 by Jules Verne (read ebook pdf .TXT) 📕».   Author   -   Jules Verne



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qui pressa activement l'armement de sa frégate.

PrĂ©cisĂ©ment, et ainsi que cela arrive toujours, du moment que l'on se fut dĂ©cidĂ© Ă  poursuivre le monstre, le monstre ne reparut plus. Pendant deux mois, personne n'en entendit parler. Aucun navire ne le rencontra. Il semblait que cette Licorne eĂ»t connaissance des complots qui se tramaient contre elle. On en avait tant causĂ©, et mĂŞme par le câble transatlantique ! Aussi les plaisants prĂ©tendaient-ils que cette fine mouche avait arrĂŞtĂ© au passage quelque tĂ©lĂ©gramme dont elle faisait maintenant son profit.

Donc, la frégate armée pour une campagne lointaine et pourvue de formidables engins de pêche, on ne savait plus où la diriger. Et l'impatience allait croissant, quand, le 2 juillet, on apprit qu'un steamer de la ligne de San Francisco de Californie à Shangaï avait revu l'animal, trois semaines auparavant, dans les mers septentrionales du Pacifique.

L'Ă©motion causĂ©e par cette nouvelle fut extrĂŞme. On n'accorda pas vingt-quatre heures de rĂ©pit au commandant Farragut. Ses vivres Ă©taient embarques. Ses soutes regorgeaient de charbon. Pas un homme ne manquait Ă  son rĂ´le d'Ă©quipage. Il n'avait qu'Ă  allumer ses fourneaux, Ă  chauffer, Ă  dĂ©marrer ! On ne lui eĂ»t pas pardonnĂ© une demi-journĂ©e de retard ! D'ailleurs, le commandant Farragut ne demandait qu'Ă  partir.

Trois heures avant que l'Abraham-Lincoln ne quittât la pier de Brooklyn, je reçus une lettre libellĂ©e en ces termes :

Monsieur Aronnax, professeur au Muséum de Paris, Fifth Avenue hotel.

New York.

« Monsieur,

Si vous voulez vous joindre à l'expédition de l'Abraham-Lincoln, le gouvernement de l'Union verra avec plaisir que la France soit représentée par vous dans cette entreprise. Le commandant Farragut tient une cabine à votre disposition.

Très cordialement, votre
J.-B. HOBSON,
SecrĂ©taire de la marine. Â»

III COMME IL PLAIRA À MONSIEUR

Trois secondes avant l'arrivée de la lettre de J.-B. Hobson, je ne songeais pas plus a poursuivre la Licorne qu'à tenter le passage du nord-ouest. Trois secondes après avoir lu la lettre de l'honorable secrétaire de la marine, je comprenais enfin que ma véritable vocation, l'unique but de ma vie, était de chasser ce monstre inquiétant et d'en purger le monde.

Cependant, je revenais d'un pĂ©nible voyage, fatiguĂ©, avide de repos. Je n'aspirais plus qu'Ă  revoir mon pays, mes amis, mon petit logement du Jardin des Plantes, mes chères et prĂ©cieuses collections ! Mais rien ne put me retenir. J'oubliai tout, fatigues, amis, collections, et j'acceptai sans plus de rĂ©flexions l'offre du gouvernement amĂ©ricain.

« D'ailleurs, pensai-je, tout chemin ramène en Europe, et la Licorne sera assez aimable pour m'entraĂ®ner vers les cĂ´tes de France ! Ce digne animal se laissera prendre dans les mers d'Europe — pour mon agrĂ©ment personnel — et je ne veux pas rapporter moins d'un demi mètre de sa hallebarde d'ivoire au MusĂ©um d'histoire naturelle. Â»

Mais, en attendant, il me fallait chercher ce narwal dans le nord de l'ocĂ©an Pacifique ; ce qui, pour revenir en France, Ă©tait prendre le chemin des antipodes.

« Conseil ! Â» criai-je d'une voix impatiente.

Conseil Ă©tait mon domestique. Un garçon dĂ©vouĂ© qui m'accompagnait dans tous mes voyages ; un brave Flamand que j'aimais et qui me le rendait bien, un ĂŞtre phlegmatique par nature, rĂ©gulier par principe, zĂ©lĂ© par habitude, s'Ă©tonnant peu des surprises de la vie, très adroit de ses mains, apte Ă  tout service, et, en dĂ©pit de son nom, ne donnant jamais de conseils — mĂŞme quand on ne lui en demandait pas.

A se frotter aux savants de notre petit monde du Jardin des Plantes, Conseil en Ă©tait venu Ă  savoir quelque chose. J'avais en lui un spĂ©cialiste, très ferrĂ© sur la classification en histoire naturelle, parcourant avec une agilitĂ© d'acrobate toute l'Ă©chelle des embranchements des groupes, des classes, des sous-classes, des ordres, des familles, des genres, des sous-genres, des espèces et des variĂ©tĂ©s. Mais sa science s'arrĂŞtait lĂ . Classer, c'Ă©tait sa vie, et il n'en savait pas davantage. Très versĂ© dans la thĂ©orie de la classification, peu dans la pratique, il n'eĂ»t pas distinguĂ©, je crois, un cachalot d'une baleine ! Et cependant, quel brave et digne garçon !

Conseil, jusqu'ici et depuis dix ans, m'avait suivi partout oĂą m'entraĂ®nait la science. Jamais une rĂ©flexion de lui sur la longueur ou la fatigue d'un voyage. Nulle objection Ă  boucler sa valise pour un pays quelconque, Chine ou Congo, si Ă©loignĂ© qu'il fĂ»t. Il allait lĂ  comme ici, sans en demander davantage. D'ailleurs d'une belle santĂ© qui dĂ©fiait toutes les maladies ; des muscles solides, mais pas de nerfs, pas l'apparence de nerfs au moral, s'entend.

Ce garçon avait trente ans, et son âge était à celui de son maître comme quinze est à vingt. Qu'on m'excuse de dire ainsi que j'avais quarante ans.

Seulement, Conseil avait un défaut. Formaliste enragé il ne me parlait jamais qu'à la troisième personne — au point d'en être agaçant.

« Conseil ! Â» rĂ©pĂ©tai-je, tout en commençant d'une main fĂ©brile mes prĂ©paratifs de dĂ©part.

Certainement, j'Ă©tais sĂ»r de ce garçon si dĂ©vouĂ©. D'ordinaire, je ne lui demandais jamais s'il lui convenait ou non de me suivre dans mes voyages, mais cette fois, il s'agissait d'une expĂ©dition qui pouvait indĂ©finiment se prolonger, d'une entreprise hasardeuse, Ă  la poursuite d'un animal capable de couler une frĂ©gate comme une coque de noix ! Il y avait lĂ  matière Ă  rĂ©flexion, mĂŞme pour l'homme le plus impassible du monde ! Qu'allait dire Conseil ?

« Conseil ! Â» criai-je une troisième fois.

Conseil parut.

« Monsieur m'appelle ? dit-il en entrant.

— Oui, mon garçon. Prépare-moi, prépare-toi. Nous partons dans deux heures.

— Comme il plaira à monsieur, répondit tranquillement Conseil.

— Pas un instant Ă  perdre. Serre dans ma malle tous mes ustensiles de voyage, des habits, des chemises, des chaussettes, sans compter, mais le plus que tu pourras, et hâte-toi !

— Et les collections de monsieur ? fit observer Conseil.

— On s'en occupera plus tard.

— Quoi ! les archiotherium, les hyracotherium, les orĂ©odons, les chĂ©ropotamus et autres carcasses de monsieur ?

— On les gardera à l'hôtel.

— Et le babiroussa vivant de monsieur ?

— On le nourrira pendant notre absence. D'ailleurs, je donnerai l'ordre de nous expédier en France notre ménagerie.

— Nous ne retournons donc pas Ă  Paris ? demanda Conseil.

— Si... certainement... répondis-je évasivement, mais en faisant un crochet.

— Le crochet qui plaira à monsieur.

— Oh ! ce sera peu de chose ! Un chemin un peu moins direct, voilĂ  tout. Nous prenons passage sur l'Abraham-Lincoln...

— Comme il conviendra à monsieur, répondit paisiblement Conseil.

— Tu sais, mon ami, il s'agit du monstre... du fameux narwal... Nous allons en purger les mers !... L'auteur d'un ouvrage in-quarto en deux volumes sur les Mystères des grands fonds sous-marins ne peut se dispenser de s'embarquer avec le commandant Farragut. Mission glorieuse, mais... dangereuse aussi ! On ne sait pas oĂą l'on va ! Ces bĂŞtes-lĂ  peuvent ĂŞtre très capricieuses ! Mais nous irons quand mĂŞme ! Nous avons un commandant qui n'a pas froid aux yeux !...

— Comme fera monsieur, je ferai, répondit Conseil.

— Et songes-y bien ! car je ne veux rien te cacher. C'est lĂ  un de ces voyages dont on ne revient pas toujours !

— Comme il plaira Ă  monsieur. Â»

Un quart d'heure après, nos malles étaient prêtes. Conseil avait fait en un tour de main, et j'étais sûr que rien ne manquait, car ce garçon classait les chemises et les habits aussi bien que les oiseaux ou les mammifères.

L'ascenseur de l'hôtel nous déposa au grand vestibule de l'entresol. Je descendis les quelques marches qui conduisaient au rez-de-chaussée. Je réglai ma note à ce vaste comptoir toujours assiégé par une foule considérable. Je donnai l'ordre d'expédier pour Paris (France) mes ballots d'animaux empaillés et de plantes desséchées. Je fis ouvrir un crédit suffisant au babiroussa, et, Conseil me suivant, je sautai dans une voiture.

Le véhicule à vingt francs la course descendit Broadway jusqu'à Union-square, suivit Fourth-avenue jusqu'à sa jonction avec Bowery-street, prit Katrin-street et s'arrêta à la trente-quatrième pier. Là, le Katrinferryboat nous transporta, hommes, chevaux et voiture, à Brooklyn, la grande annexe de New York, située sur la rive gauche de la rivière de l'Est, et en quelques minutes, nous arrivions au quai près duquel l'Abraham-Lincoln vomissait par ses deux cheminées des torrents de fumée noire.

Nos bagages furent immédiatement transbordés sur le pont de la frégate. Je me précipitai à bord. Je demandai le commandant Farragut. Un des matelots me conduisit sur la dunette, où je me trouvai en présence d'un officier de bonne mine qui me tendit la main.

« Monsieur Pierre Aronnax ? me dit-il.

— Lui-mĂŞme, rĂ©pondis-je. Le commandant Farragut ?

— En personne. Soyez le bienvenu, monsieur le professeur. Votre cabine vous attend. Â»

Je saluai, et laissant le commandant aux soins de son appareillage, je me fis conduire à la cabine qui m'était destinée.

L'Abraham-Lincoln avait été parfaitement choisi et aménagé pour sa destination nouvelle. C'était une frégate de grande marche, munie d'appareils surchauffeurs, qui permettaient de porter à sept atmosphères la tension de sa vapeur. Sous cette pression, l'Abraham-Lincoln atteignait une vitesse moyenne de dix-huit milles et trois dixièmes à l'heure, vitesse considérable, mais cependant insuffisante pour lutter avec le gigantesque cétacé.

Les aménagements intérieurs de la frégate répondaient à ses qualités nautiques. Je fus très satisfait de ma cabine, située à l'arrière, qui s'ouvrait sur le carré des officiers.

« Nous serons bien ici, dis-je Ă  Conseil.

— Aussi bien, n'en dĂ©plaise Ă  monsieur, rĂ©pondit Conseil, qu'un bernard-l'ermite dans la coquille d'un buccin. Â»

Je laissai Conseil arrimer convenablement nos malles, et je remontai sur le pont afin de suivre les préparatifs de l'appareillage.

A ce moment, le commandant Farragut faisait larguer les dernières amarres qui retenaient l'Abraham-Lincoln à la pier de Brooklyn. Ainsi donc, un quart d'heure de retard, moins même, et la frégate partait sans moi, et je manquais cette expédition extraordinaire, surnaturelle, invraisemblable, dont le récit véridique pourra bien trouver cependant quelques incrédules.

Mais le commandant Farragut ne voulait perdre ni un jour, ni une heure pour rallier les mers dans lesquelles l'animal venait d'être signalé. Il fit venir son ingénieur.

« Sommes-nous en pression ? lui demanda-t-il.

— Oui, monsieur, répondit l'ingénieur.

— Go ahead Â», cria le commandant Farragut.

A cet ordre, qui fut transmis à la machine au moyen d'appareils à air comprimé, les mécaniciens firent agir la roue de la mise en train. La vapeur siffla en se précipitant dans les tiroirs entr'ouverts. Les longs pistons horizontaux gémirent et poussèrent les bielles de l'arbre. Les branches de l'hélice battirent les flots avec une rapidité croissante, et l'Abraham-lincoln s'avança majestueusement au milieu d'une centaine de ferry-boats et de tenders chargés de spectateurs, qui lui faisaient cortège.

Les quais de Brooklyn et toute la partie de New York qui borde la rivière de l'Est étaient couverts de curieux. Trois hurrahs, partis de cinq cent mille poitrines. éclatèrent successivement. Des milliers de mouchoirs s'agitèrent au-dessus de la masse compacte et saluèrent l'Abraham-Lincoln jusqu'à son arrivée dans les eaux de l'Hudson, à la pointe de cette presqu'île allongée qui forme la ville de New York.

Alors, la frĂ©gate, suivant du cĂ´tĂ© de New-Jersey l'admirable rive droite du fleuve toute chargĂ©e de villas, passa entre les forts qui la saluèrent de leurs plus gros canons. L'Abraham-Lincoln rĂ©pondit en amenant et en hissant trois fois le pavillon amĂ©ricain, dont les trente-neuf Ă©toiles resplendissaient Ă  sa corne d'artimon ; puis, modifiant sa marche pour prendre le chenal balisĂ© qui s'arrondit dans la baie intĂ©rieure formĂ©e par la pointe de Sandy-Hook, il rasa cette langue sablonneuse oĂą quelques milliers de spectateurs l'acclamèrent encore une fois.

Le cortège des boats et des tenders suivait toujours la frégate, et il ne la quitta qu'à la hauteur du light-boat dont les deux feux marquent l'entrée des passes de New York.

Trois heures sonnaient alors. Le pilote descendit dans son canot, et rejoignit la petite goĂ©lette qui l'attendait sous le vent. Les feux furent poussĂ©s ; l'hĂ©lice battit plus rapidement les flots ; la frĂ©gate longea la cĂ´te jaune et basse de Long-lsland, et, Ă  huit heures du soir, après avoir perdu dans le nord-ouest les feux de Fire-lsland, elle courut Ă  toute vapeur sur les sombres eaux de l'Atlantique.

IV NED LAND

Le commandant Farragut était un bon marin, digne de la frégate qu'il commandait. Son navire et lui ne faisaient qu'un. Il en était l'âme. Sur la question du cétacé, aucun doute ne s'élevait dans son esprit, et il ne permettait pas que l'existence de l'animal fût discutée à son bord. Il y croyait comme certaines bonnes femmes croient au Léviathan par foi, non par raison. Le monstre existait, il en délivrerait

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