Le Vingtième Siècle: La Vie Électrique by Albert Robida (reading fiction txt) 📕
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- Author: Albert Robida
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C'�tait une chambre au mobilier tr�s simple, une petite chambre aux boiseries claires, meubl�e seulement de quelques chaises et d'une table charg�e de livres et de cahiers, avec une corbeille � ouvrage devant la chemin�e. R�fugi�e dans un angle, presque agenouill�e, une jeune fille semblait encore en proie � la plus profonde terreur. Elle avait les mains sur les yeux et ne les retirait que pour les porter sur ses oreilles dans un geste d'affolement.
Georges Lorris ne vit d'abord qu'une taille svelte et gracieuse, de jolies mains d�licates et de beaux cheveux blonds, un peu en d�sordre. Il parla tout de suite pour tirer l'inconnue de sa prostration:
�Mademoiselle! mademoiselle!� fit-il assez doucement.
Mais la jeune fille, les mains sur les oreilles et la t�te pleine encore des terribles rumeurs qui venaient � peine de cesser, ne sembla point entendre.
�Mademoiselle!� cria Georges d'une voix forte.
La jeune fille, tournant la t�te sans baisser ses mains et sans bouger, regarda, d'un air effar�, vers le T�l� de sa chambre.
�Le danger est pass�, mademoiselle; remettez-vous, reprit doucement Georges; m'entendez-vous?�
Elle fit un signe de t�te sans r�pondre autrement.
�Vous n'avez plus rien � craindre, la tournade est pass�e...
—Vous �tes s�r que cela ne va pas revenir? fit la jeune fille d'une voix si tremblante que Georges Lorris comprit � peine.
—C'est tout � fait fini, tout est rentr� dans l'ordre, on n'entend plus rien de ce fracas de tout � l'heure qui semble vous avoir si fort �pouvant�e...
—Ah! monsieur, comme j'ai eu peur, s'�cria la jeune fille, osant � peine se redresser; comme j'ai eu peur!
—Mais vous n'aviez pas vos pantoufles isolatrices! dit Georges, qui, dans le mouvement que fit la jeune fille, s'aper�ut qu'elle �tait chauss�e seulement de petits souliers.
—Non, r�pondit-elle, mes isolatrices sont dans une pi�ce au-dessous; je n'ai pas os� aller les chercher...
—Malheureuse enfant, mais vous pouviez �tre foudroy�e si votre maison s'�tait trouv�e sur le passage direct du courant fou; ne commettez jamais pareille imprudence! Les accidents aussi s�rieux que cette tournade sont rares, mais enfin il faut se tenir constamment sur ses gardes et conserver � notre port�e, contre les accidents, petits ou grands, qui se peuvent produire, les pr�servatifs que la science nous met entre les mains... ou aux pieds, contre les dangers qu'elle a cr��s!...
Des sons apport�s de partout remplirent les maisons.
Image plus grande—Elle e�t mieux fait, la science, de ne pas tant multiplier les causes de danger, fit la jeune fille avec une petite moue.
—Je vous avouerai que c'est mon avis! fit Georges Lorris en souriant. Je vois, mademoiselle, que vous commencez � vous rassurer; allez, je vous en prie, prendre vos pantoufles isolatrices.
—Il y a donc encore du danger?
—Non, mais cette bourrasque �lectrique a jet� partout un tel d�sordre qu'il peut s'ensuivre quelques petits accidents cons�cutifs: fils avari�s, poches ou d�p�ts d'�lectricit� laiss�s par la tournade sur quelques points, se vidant tout � coup, etc... La prudence est indispensable pendant une heure ou deux encore...
—Je cours chercher mes isolatrices!� s'�cria la jeune fille.
La jeune fille revint, au bout de deux minutes, chauss�e de ses pantoufles protectrices par-dessus ses petits souliers. Son premier regard, en rentrant dans sa chambre, fut pour la plaque du T�l�; elle parut surprise d'y revoir encore Georges Lorris.
�Mademoiselle, dit celui-ci, qui comprit son �tonnement, je dois vous pr�venir que la tournade a quelque peu embrouill� les T�l�s; au poste central, pendant que l'on recherche les fuites, qu'on r�tablit les fils perdus, on a donn� � tous les appareils, pendant les travaux, une communication quelconque; ce ne sera pas bien long, tranquillisez-vous... Permettez-moi de me pr�senter: Georges Lorris, de Paris..., ing�nieur comme tout le monde...
—Estelle Lacombe, de Lauterbrunnen-Station (Suisse), ing�nieure aussi, ou du moins presque, car mon p�re, inspecteur des Phares alpins, me destine � entrer dans son administration...
—Je suis heureux, mademoiselle, de cette communication de hasard qui m'a permis au moins de vous rassurer un peu, car vous avez eu grand'peur, n'est-ce pas?
LE PHARE DE LAUTERBRUNNEN.
Image plus grande—Oh oui! Je suis seule � la maison, avec Grettly, notre bonne, encore plus peureuse que moi... Elle est depuis deux heures dans un coin de la cuisine, la t�te sous un ch�le, et ne veut pas bouger... Mon p�re est en tourn�e d'inspection et ma m�re est partie par le tube de midi quinze pour quelques achats � Paris... Pourvu, mon Dieu, qu'il ne leur soit pas arriv� d'accident! Ma m�re devait rentrer � cinq heures dix-sept, et il est d�j� sept heures trente-cinq...
—Mademoiselle, les tubes ont supprim� tout d�part pendant l'ouragan �lectrique; mais les trains en retard vont partir, et madame votre m�re ne sera certainement pas bien longtemps � rentrer...�
Image plus grande
Mlle Estelle Lacombe semblait encore � peine rassur�e, le moindre bruit la faisait tressaillir, et de temps en temps elle allait regarder le ciel avec inqui�tude � une fen�tre qui semblait donner sur une profonde vall�e alpestre. Georges Lorris, pour la tranquilliser, entra dans de grandes explications sur les tournades, sur leurs causes, sur les accidents qu'elles produisent, analogues parfois � ceux des tremblements de terre naturels. Comme elle ne r�pondait rien et restait toujours p�le et agit�e, il parla longtemps et lui fit une v�ritable conf�rence, lui d�montrant que ces tournades devenaient de moins en moins fr�quentes, en raison des pr�cautions minutieuses prises par le personnel �lectricien, et de moins en moins terribles en leurs effets, gr�ce aux progr�s de la science, aux perfectionnements apport�s tous les jours aux appareils de captation des fuites de fluide.
�Mais vous savez cela tout aussi bien que moi, puisque vous �tes ing�nieure comme moi, fit-il, s'arr�tant enfin dans ses discours, qui lui semblaient quelque peu entach�s de p�danterie.
—Mais non, monsieur, j'ai encore un dernier examen � passer avant d'obtenir mon brevet et... faut-il vous l'avouer, j'ai d�j� �t� retoqu�e deux fois. Je continue � suivre par phonographe les cours de l'Universit� de Zurich, je me pr�pare � me repr�senter une troisi�me fois, et je travaille, et je p�lis sur mes cahiers, mais sans avancer beaucoup, il me semble... H�las! je ne mords pas tr�s facilement � tout cela, et il me faut mon grade pour entrer dans l'administration des Phares alpins, comme mon p�re... C'est ma carri�re qui est en jeu!... Pourtant, j'ai tr�s bien compris ce que vous m'avez dit; je vais prendre quelques notes, pendant que c'est encore frais, car demain tout sera un peu brouill� dans ma t�te!�
Pendant que la jeune fille, un peu rassur�e, cherchait dans l'amoncellement de livres, de cahiers, de clich�s phonographiques qui couvrait sa table de travail et griffonnait quelques lignes sur un carnet, Georges Lorris la regardait et ne pouvait s'emp�cher de remarquer la gr�ce de ses attitudes et l'�l�gance naturelle de toute sa personne, dans sa toilette d'un go�t simple et modeste. Quand elle relevait la t�te, il admirait la d�licatesse et la r�gularit� de ses traits, la courbure gracieuse du nez, les yeux profonds et purs, et le front large sur lequel de magnifiques torsades blondes faisaient comme un casque d'or.
Estelle Lacombe �tait la fille unique d'un fonctionnaire de l'administration des Phares alpins de la section helv�tique. Depuis le grand essor de la navigation a�rienne, il a fallu �clairer � des altitudes diff�rentes nos montagnes, nos alpes diverses et les signaler aux navigateurs de l'atmosph�re. Nos monts d'Auvergne, la cha�ne des Pyr�n�es, le massif des Alpes, ont ainsi � diff�rentes hauteurs des s�ries de phares et de feux. L'altitude de 500 m�tres est indiqu�e partout par des feux de couleur, espac�s de kilom�tre en kilom�tre; il en est de m�me pour les altitudes sup�rieures, de 500 m�tres en 500 m�tres; des phares tournants signalent les cols, les passages et les ouvertures de vall�es; enfin, plus haut, sur tous les pics et toutes les pointes �tincellent des phares de premi�re classe, brillantes �toiles perdues dans la p�le r�gion des neiges et que l'homme des plaines confond parmi les constellations c�lestes.
M. Lacombe, inspecteur r�gional des phares alpins, habitait depuis huit ans Lauterbrunnen-Station, un joli chalet �tabli au sommet de la mont�e de Lauterbrunnen, sur le c�t� du phare, � 1,000 m�tres au-dessus de la belle vall�e, juste en face de la cascade du Staubach. Ing�nieur d'un certain m�rite et fonctionnaire consciencieux, M. Lacombe �tait fort occup�. Toutes ses journ�es et souvent ses soir�es �taient prises par ses tourn�es d'inspection, ses rapports, ses surveillances de travaux aux phares de sa r�gion. Mme Lacombe, Parisienne de naissance, assez mondaine avant son mariage, se consid�rait comme en exil dans ce magnifique site de Lauterbrunnen-Station, o� s'�tait fond�, � 1,000 m�tres au-dessus de l'ancien Lauterbrunnen, un village neuf, avec annexe a�rienne pour les cures d'air, c'est-�-dire un casino ascendant � 700 ou 800 m�tres plus haut l'apr�s-midi et redescendant ensuite apr�s le coucher du soleil.
A Lauterbrunnen-Station, pendant l'�t�, dans ce chalet suspendu comme un balcon au flanc de la montagne, l'hiver dans un chalet aussi confortable en bas, � Interlaken, Mme Lacombe s'ennuyait et regrettait l'immense et tumultueux Paris.
Pourtant, les distractions ne manquaient pas. Il passait chaque jour un nombre consid�rable d'a�ronefs ou de yachts; le v�loce a�rien London-Roma-Cairo, passant quatre fois par vingt-quatre heures, d�posait toujours quelques voyageurs faisant leur petit tour d'Europe; de plus, le casino a�rien de Lauterbrunnen, tr�s fr�quent� pendant les mois d'�t�, donnait chaque semaine � ses malades une grande f�te et chaque soir un concert ou une repr�sentation dramatique par T�l�. Mme Lacombe s'ennuyait cependant et saisissait toutes les occasions et pr�textes possibles pour reprendre l'air de son cher Paris.
Fatigu�e de ne participer que par T�l� aux petites r�unions chez ses amies rest�es Parisiennes, elle prenait, de temps en temps, le train du tube �lectro-pneumatique ou le v�loce a�rien pour se retrouver une apr�s-midi dans le mouvement mondain, pour se montrer � quelques six o'clock �l�gants, o�, tout en prenant les anti-an�miques � la mode, on passe en revue tous les petits potins du jour, on s'impr�gne de toutes les m�disances et calomnies qui sont dans l'air. Ou bien Mme Lacombe s'en allait un peu boursicoter, t�cher de mettre � flot son budget trop souvent charg� d'exc�dents de d�penses, par quelques b�n�fices r�alis�s � la Bourse. L'agente de change qui la guidait se trompait souvent et le budget de m�nage s'�quilibrait � grand'peine. M. Lacombe n'avait pour tout revenu que ses appointements, 35,000 francs et le logement, juste de quoi vivoter � la campagne, en se contraignant � une s�v�re �conomie. Dure n�cessit�, d'autant plus que Mme Lacombe aimait aussi � magasiner, et qu'au lieu de se faire montrer par T�l�, sans se d�ranger, les �toffes ou les confections dont elle et sa fille pouvaient avoir besoin, elle pr�f�rait courir les grands magasins de Paris et vite filer en tube ou en v�loce a�rien pour la moindre occasion, pour une id�e de ruban qui lui passait par la t�te.
LES TUBES
(VUE PRISE EN AERONEF A 700 M�TRES).
Cette modeste situation se f�t am�lior�e si Mme Lacombe avait eu ses brevets. Par malheur, au temps de sa jeunesse, en 1930, les exigences de la vie �tant moindres, son �ducation avait �t� n�glig�e. Elle n'�tait pas ing�nieure; ne poss�dant que ses dipl�mes de bacheli�re �s lettres et �s sciences, elle n'avait pu entrer dans les Phares avec son mari.
LES COURS PAR T�L�PHONOSCOPE.
Image plus grandeTrop bien �clair� sur les difficult�s de la vie, M. Lacombe avait voulu pour sa fille une instruction compl�te. Il la destinait � l'administration. A vingt-quatre ans, lorsqu'elle aurait fini ses �tudes et serait pourvue de ses dipl�mes, elle entrerait comme ing�nieure surnum�raire � 6,000 francs, avec certitude d'arriver un jour, vers la quarantaine, � l'inspectorat. Alors, qu'elle rest�t c�libataire ou qu'elle �pous�t un fonctionnaire comme elle, sa vie �tait assur�e.
Estelle, depuis l'�ge de douze ans, suivait les cours de l'Institut de Zurich, sans quitter sa famille, uniquement par T�l�. Pr�cieux avantage pour les familles �loign�es de tout centre, qui ne sont plus forc�es d'interner leurs enfants dans les lyc�es ou coll�ges r�gionaux. Estelle avait donc fait toutes ses classes par T�l�, sans sortir de chez elle, sans bouger de Lauterbrunnen. Elle suivait aussi de la m�me fa�on les cours de l'�cole centrale d'�lectricit� de Paris et prenait, en outre, des r�p�titions par phonogrammes de quelques ma�tres renomm�s.
Par malheur, elle n'avait pu passer ses examens par T�l�, les r�glements surann�s s'y opposant, et, devant les ma�tres examinateurs, une timidit� qu'elle
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