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alors que c'est moi qui les ramasse ? Est-ce pour moi, selon vous, que je me donne la peine de recueillir ces trĂ©sors ? Qui vous dit que je n'en fais pas un bon usage ? Croyez-vous que j'ignore qu'il existe des ĂŞtres souffrants, des races opprimĂ©es sur cette terre, des misĂ©rables Ă  soulager, des victimes Ă  venger ? Ne comprenez-vous pas ?... Â»

Le capitaine Nemo s'arrĂŞta sur ces dernières paroles, regrettant peut-ĂŞtre d'avoir trop parlĂ©. Mais j'avais devinĂ©. Quels que fussent les motifs qui l'avaient forcĂ© Ă  chercher l'indĂ©pendance sous les mers, avant tout il Ă©tait restĂ© un homme ! Son cĹ“ur palpitait encore aux souffrances de l'humanitĂ©, et son immense charitĂ© s'adressait aux races asservies comme aux individus !

Et je compris alors Ă  qui Ă©taient destinĂ©s ces millions expĂ©diĂ©s par le capitaine Nemo, lorsque le Nautilus naviguait dans les eaux de la Crète insurgĂ©e !

IX UN CONTINENT DISPARU

Le lendemain matin, 19 février, je vis entrer le Canadien dans ma chambre. J'attendais sa visite. Il avait l'air très désappointé.

« Eh bien, monsieur ? me dit-il.

— Oui ! il a fallu que ce damnĂ© capitaine s'arrĂŞtât prĂ©cisĂ©ment Ă  l'heure ou nous allions fuir son bateau.

— Oui, Ned, il avait affaire chez son banquier.

— Son banquier !

— Ou plutĂ´t sa maison de banque. J'entends par lĂ  cet OcĂ©an oĂą ses richesses sont plus en sĂ»retĂ© qu'elles ne le seraient dans les caisses d'un État. Â»

Je racontai alors au Canadien les incidents de la veille, dans le secret espoir de le ramener Ă  l'idĂ©e de ne point abandonner le capitaine ; mais mon rĂ©cit n'eut d'autre rĂ©sultat que le regret Ă©nergiquement exprimĂ© par Ned de n'avoir pu faire pour son compte une promenade sur le champ de bataille de Vigo.

« Enfin, dit-il, tout n'est pas fini ! Ce n'est qu'un coup de harpon perdu ! Une autre fois nous rĂ©ussirons, et dès ce soir s'il le faut...

— Quelle est la direction du Nautilus ? demandai-je.

— Je l'ignore, répondit Ned.

— Eh bien ! Ă  midi, nous verrons le point. Â»

Le Canadien retourna près de Conseil. Dès que je fus habillé, je passai dans le salon. Le compas n'était pas rassurant. La route du Nautilus était sud-sud-ouest. Nous tournions le dos à l'Europe.

J'attendis avec une certaine impatience que le point fut reporté sur la carte. Vers onze heures et demie, les réservoirs se vidèrent, et notre appareil remonta à la surface de l'Océan. Je m'élançai vers la plate-forme. Ned Land m'y avait précédé.

Plus de terres en vue. Rien que la mer immense. Quelques voiles à l'horizon, de celles sans doute qui vont chercher jusqu'au cap San-Roque les vents favorables pour doubler le cap de Bonne-Espérance. Le temps était couvert. Un coup de vent se préparait.

Ned rageant, essayait de percer l'horizon brumeux. Il espérait encore que, derrière tout ce brouillard, s'étendait cette terre si désirée.

A midi, le soleil se montra un instant. Le second profita de cette éclaircie pour prendre sa hauteur. Puis, la mer devenant plus houleuse, nous redescendîmes, et le panneau fut refermé.

Une heure après, lorsque je consultai la carte, je vis que la position du Nautilus était indiquée par 16°17' de longitude et 33°22' de latitude, à cent cinquante lieues de la côte la plus rapprochée. Il n'y avait pas moyen de songer à fuir, et je laisse à penser quelles furent les colères du Canadien, quand je lui fis connaître notre situation.

Pour mon compte, je ne me désolai pas outre mesure. Je me sentis comme soulagé du poids qui m'oppressait, et je pus reprendre avec une sorte de calme relatif mes travaux habituels.

Le soir, vers onze heures, je reçus la visite très inattendue du capitaine Nemo. Il me demanda fort gracieusement si je me sentais fatigué d'avoir veillé la nuit précédente. Je répondis négativement.

« Alors, monsieur Aronnax, je vous proposerai une curieuse excursion.

— Proposez, capitaine.

— Vous n'avez encore visitĂ© les fonds sous-marins que le jour et sous la clartĂ© du soleil. Vous conviendrait-il de les voir par une nuit obscure ?

— Très volontiers.

— Cette promenade sera fatigante, je vous en préviens. Il faudra marcher longtemps et gravir une montagne. Les chemins ne sont pas très bien entretenus.

— Ce que vous me dites là, capitaine, redouble ma curiosité. Je suis prêt à vous suivre.

— Venez donc, monsieur le professeur, nous allons revĂŞtir nos scaphandres. Â»

Arrivé au vestiaire, je vis que ni mes compagnons ni aucun homme de l'équipage ne devait nous suivre pendant cette excursion. Le capitaine Nemo ne m'avait pas même proposé d'emmener Ned ou Conseil.

En quelques instants, nous eûmes revêtu nos appareils. On plaça sur notre dos les réservoirs abondamment chargés d'air, mais les lampes électriques n'étaient pas préparées. Je le fis observer au capitaine.

« Elles nous seraient inutiles Â», rĂ©pondit-il.

Je crus avoir mal entendu, mais je ne pus réitérer mon observation, car la tête du capitaine avait déjà disparu dans son enveloppe métallique. J'achevai de me harnacher, je sentis qu'on me plaçait dans la main un bâton ferré, et quelques minutes plus tard, après la manœuvre habituelle, nous prenions pied sur le fond de l'Atlantique, à une profondeur de trois cents mètres.

Minuit approchait. Les eaux étaient profondément obscures, mais le capitaine Nemo me montra dans le lointain un point rougeâtre, une sorte de large lueur, qui brillait à deux milles environ du Nautilus. Ce qu'était ce feu, quelles matières l'alimentaient, pourquoi et comment il se revivifiait dans la masse liquide, je n'aurais pu le dire. En tout cas, il nous éclairait, vaguement il est vrai, mais je m'accoutumai bientôt à ces ténèbres particulières, et je compris, dans cette circonstance, l'inutilité des appareils Ruhmkorff.

Le capitaine Nemo et moi, nous marchions l'un près de l'autre, directement sur le feu signalĂ©. Le sol plat montait insensiblement. Nous faisions de larges enjambĂ©es, nous aidant du bâton ; mais notre marche Ă©tait lente, en somme, car nos pieds s'enfonçaient souvent dans une sorte de vase pĂ©trie avec des algues et semĂ©e de pierres plates.

Tout en avançant, j'entendais une sorte de grĂ©sillement au-dessus de ma tĂŞte. Ce bruit redoublait parfois et produisait comme un pĂ©tillement continu. J'en compris bientĂ´t la cause. C'Ă©tait la pluie qui tombait violemment en crĂ©pitant Ă  la surface des flots. Instinctivement, la pensĂ©e me vint que j'allais ĂŞtre trempĂ© ! Par l'eau, au milieu de l'eau ! Je ne pus m'empĂŞcher de rire Ă  cette idĂ©e baroque. Mais pour tout dire, sous l'Ă©pais habit du scaphandre, on ne sent plus le liquide Ă©lĂ©ment, et l'on se croit au milieu d'une atmosphère un peu plus dense que l'atmosphère terrestre, voilĂ  tout.

Après une demi-heure de marche, le sol devint rocailleux. Les méduses, les crustacés microscopiques, les pennatules l'éclairaient légèrement de lueurs phosphorescentes. J'entrevoyais des monceaux de pierres que couvraient quelques millions de zoophytes et des fouillis d'algues. Le pied me glissait souvent sur ces visqueux tapis de varech, et sans mon bâton ferré, je serais tombé plus d'une fois. En me retournant, je voyais toujours le fanal blanchâtre du Nautilus qui commençait à pâlir dans l'éloignement.

Ces amoncellements pierreux dont je viens de parler Ă©taient disposĂ©s sur le fond ocĂ©anique suivant une certaine rĂ©gularitĂ© que je ne m'expliquais pas. J'apercevais de gigantesques sillons qui se perdaient dans l'obscuritĂ© lointaine et dont la longueur Ă©chappait Ă  toute Ă©valuation. D'autres particularitĂ©s se prĂ©sentaient aussi, que je ne savais admettre. Il me semblait que mes lourdes semelles de plomb Ă©crasaient une litière d'ossements qui craquaient avec un bruit sec. Qu'Ă©tait donc cette vaste plaine que je parcourais ainsi ? J'aurais voulu interroger le capitaine, mais son langage par signes, qui lui permettait de causer avec ses compagnons, lorsqu'ils le suivaient dans ses excursions sous-marines, Ă©tait encore incomprĂ©hensible pour moi.

Cependant, la clartĂ© rougeâtre qui nous guidait, s'accroissait et enflammait l'horizon. La prĂ©sence de ce foyer sous les eaux m'intriguait au plus haut degrĂ©. Était-ce quelque effluence Ă©lectrique qui se manifestait ? Allais-je vers un phĂ©nomène naturel encore inconnu des savants de la terre ? Ou mĂŞme — car cette pensĂ©e traversa mon cerveau — la main de l'homme intervenait-elle dans cet embrasement ? Soufflait-elle cet incendie ? Devais-je rencontrer sous ces couches profondes, des compagnons, des amis du capitaine Nemo, vivant comme lui de cette existence Ă©trange, et auxquels il allait rendre visite ? Trouverais-je lĂ -bas toute une colonie d'exilĂ©s, qui, las des misères de la terre, avaient cherchĂ© et trouvĂ© l'indĂ©pendance au plus profond de l'OcĂ©an ? Toutes ces idĂ©es folles, inadmissibles, me poursuivaient, et dans cette disposition d'esprit, surexcitĂ© sans cesse par la sĂ©rie de merveilles qui passaient sous mes yeux, je n'aurais pas Ă©tĂ© surpris de rencontrer, au fond de cette mer, une de ces villes sous-marines que rĂŞvait le capitaine Nemo !

Notre route s'éclairait de plus en plus. La lueur blanchissante rayonnait au sommet d'une montagne haute de huit cents pieds environ. Mais ce que j'apercevais n'était qu'une simple réverbération développée par le cristal des couches d'eau. Le foyer, source de cette inexplicable darté, occupait le versant opposé de la montagne.

Au milieu des dédales pierreux qui sillonnaient le fond de l'Atlantique, le capitaine Nemo s'avançait sans hésitation. Il connaissait cette sombre route. Il l'avait souvent parcourue, sans doute, et ne pouvait s'y perdre. Je le suivais avec une confiance inébranlable. Il m'apparaissait comme un des génies de la mer, et quand il marchait devant moi, j'admirais sa haute stature qui se découpait en noir sur le fond lumineux de l'horizon.

Il était une heure du matin. Nous étions arrivés aux premières rampes de la montagne. Mais pour les aborder, il fallut s'aventurer par les sentiers difficiles d'un vaste taillis.

Oui ! un taillis d'arbres morts, sans feuilles, sans sève, arbres minĂ©ralisĂ©s sous l'action des eaux, et que dominaient çà et lĂ  des pins gigantesques. C'Ă©tait comme une houillère encore debout, tenant par ses racines au sol effondrĂ©, et dont la ramure, Ă  la manière des fines dĂ©coupures de papier noir, se dessinait nettement sur le plafond des eaux. Que l'on se figure une forĂŞt du Hartz, accrochĂ©e aux flancs d'une montagne, mais une forĂŞt engloutie. Les sentiers Ă©taient encombrĂ©s d'algues et de fucus, entre lesquels grouillait un monde de crustacĂ©s. J'allais, gravissant les rocs, enjambant les troncs Ă©tendus, brisant les lianes de mer qui se balançaient d'un arbre Ă  l'autre, effarouchant les poissons qui volaient de branche en branche. EntraĂ®nĂ©, je ne sentais plus la fatigue. Je suivais mon guide qui ne se fatiguait pas.

Quel spectacle ! Comment le rendre ? Comment peindre l'aspect de ces bois et de ces rochers dans ce milieu liquide, leurs dessous sombres et farouches, leurs dessus colorĂ©s de tons rouges sous cette clartĂ© que doublait la puissance rĂ©verbĂ©rante des eaux ? Nous gravissions des rocs qui s'Ă©boulaient ensuite par pans Ă©normes avec un sourd grondement d'avalanche. A droite, Ă  gauche, se creusaient de tĂ©nĂ©breuses galeries oĂą se perdait le regard. Ici s'ouvraient de vastes clairières, que la main de l'homme semblait avoir dĂ©gagĂ©es, et je me demandais parfois si quelque habitant de ces rĂ©gions sous-marines n'allait pas tout Ă  coup m'apparaĂ®tre.

Mais le capitaine Nemo montait toujours. Je ne voulais pas rester en arrière. Je le suivais hardiment. Mon bâton me prĂŞtait un utile secours. Un faux pas eĂ»t Ă©tĂ© dangereux sur ces Ă©troites passes Ă©vidĂ©es aux flancs des gouffres ; mais j'y marchais d'un pied ferme et sans ressentir l'ivresse du vertige. TantĂ´t je sautais une crevasse dont la profondeur m'eĂ»t fait reculer au milieu des glaciers de la terre ; tantĂ´t je m'aventurais sur le tronc vacillant des arbres jetĂ©s d'un abĂ®me Ă  l'autre, sans regarder sous mes pieds, n'ayant des yeux que pour admirer les sites sauvages de cette rĂ©gion. LĂ , des rocs monumentaux, penchant sur leurs bases irrĂ©gulièrement dĂ©coupĂ©es, semblaient dĂ©fier les lois de l'Ă©quilibre. Entre leurs genoux de pierre, des arbres poussaient comme un jet sous une pression formidable, et soutenaient ceux qui les soutenaient eux-mĂŞmes. Puis, des tours naturelles, de larges pans taillĂ©s Ă  pic comme des courtines, s'inclinaient sous un angle que les lois de la gravitation n'eussent pas autorisĂ© Ă  la surface des rĂ©gions terrestres.

Et moi-mĂŞme ne sentais-je pas cette diffĂ©rence due Ă  la puissante densitĂ© de l'eau, quand, malgrĂ© mes lourds vĂŞtements, ma tĂŞte de cuivre, mes semelles de mĂ©tal, je m'Ă©levais sur des pentes d'une impraticable raideur, les franchissant pour ainsi dire avec la lĂ©gèretĂ© d'un isard ou d'un chamois !

Au récit que je fais de cette excursion sous les eaux, je sens bien

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