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Read book online «De la terre à la lune, trajet direct en 97 heures 20 minutes by Jules Verne (i read book txt) 📕».   Author   -   Jules Verne



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�changeait avec eux des signaux de reconnaissance. Aussit�t le nom de l'Atlanta fut exp�di� � Tampa-Town. A quatre heures, le navire anglais donnait dans la rade d'Espiritu-Santo. A cinq, il franchissait les passes de la rade Hillisboro � toute vapeur. A six, il mouillait dans le port de Tampa.

L'ancre n'avait pas encore mordu le fond de sable, que cinq cents embarcations 103 entouraient l'Atlanta, et le steamer �tait pris d'assaut. Barbicane, le premier, franchit les bastingages, et d'une voix dont il voulait en vain contenir l'�motion:

�Michel Ardan! s'�cria-t-il.

—Pr�sent!� r�pondit un individu mont� sur la dunette.

Barbicane, les bras crois�s, l'œil interrogateur, la bouche muette, regarda fixement le passager de l'Atlanta.

C'�tait un homme de quarante-deux ans, grand, mais un peu vo�t� d�j�, comme ces cariatides qui portent des balcons sur leurs �paules. Sa t�te forte, v�ritable hure de lion, secouait par instants une chevelure ardente qui lui faisait une v�ritable crini�re. Une face courte, large aux tempes, agr�ment�e d'une moustache h�riss�e comme les barbes d'un chat et de petits bouquets de poils jaun�tres pouss�s en pleines joues, des yeux ronds un peu �gar�s, un regard de myope, compl�taient cette physionomie �minemment f�line. Mais le nez �tait d'un dessin hardi, la bouche particuli�rement humaine, le front haut, intelligent et sillonn� comme un champ qui ne reste jamais en friche. Enfin un torse fortement d�velopp� et pos� d'aplomb sur de longues jambes, des bras musculeux, leviers puissants et bien attach�s, une allure d�cid�e, faisaient de cet Europ�en un gaillard solidement b�ti, �plut�t forg� que fondu,� pour emprunter une de ses expressions � l'art m�tallurgique.

Les disciples de Lavater ou de Gratiolet eussent d�chiffr� sans peine sur le cr�ne et la physionomie de ce personnage les signes indiscutables de la combativit�, c'est-�-dire du courage dans le danger et de la tendance � briser les obstacles; ceux de la bienveillance et ceux de la merveillosit�, instinct qui porte certains temp�raments � se passionner pour les choses surhumaines; mais, en revanche, les bosses de l'acquisivit�, ce besoin de poss�der et d'acqu�rir, manquaient absolument.

Pour achever le type physique du passager de l'Atlanta, il convient de signaler ses v�tements larges de forme, faciles d'entournures, son pantalon et son paletot d'une ampleur d'�toffe telle que Michel Ardan se surnommait lui-m�me �la mort au drap,� sa cravate l�che, son col de chemise lib�ralement ouvert, d'o� sortait un cou robuste, et ses manchettes invariablement d�boutonn�es, � travers lesquelles s'�chappaient des mains f�briles. On sentait que, m�me au plus fort des hivers et des dangers, cet homme-l� n'avait jamais froid,—pas m�me aux yeux.

D'ailleurs, sur le pont du steamer, au milieu de la foule, il allait, venait, ne restant jamais en place, �chassant sur ses ancres,� comme disaient les matelots, gesticulant, tutoyant tout le monde et rongeant ses ongles avec une avidit� nerveuse. C'�tait un de ces originaux que le Cr�ateur invente 104 dans un moment de fantaisie et dont il brise aussit�t le moule.

Le pr�sident Barbicane � sa fen�tre (p. 101).

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En effet, la personnalit� morale de Michel Ardan offrait un large champ aux observations de l'analyste. Cet homme �tonnant vivait dans une perp�tuelle disposition � l'hyperbole et n'avait pas encore d�pass� l'�ge des superlatifs; les objets se peignaient sur la r�tine de son œil avec des dimensions d�mesur�es; de l� une association d'id�es gigantesques; il voyait tout en grand, sauf les difficult�s et les hommes.

C'�tait d'ailleurs une luxuriante nature, un artiste d'instinct, un gar�on spirituel, qui ne faisait pas un feu roulant de bons mots, mais s'escrimait plut�t en tirailleur. Dans les discussions, peu soucieux de la logique, rebelle au syllogisme, qu'il n'e�t jamais invent�, il avait des coups � lui. 105 V�ritable casseur de vitres, il lan�ait en pleine poitrine des arguments ad hominem d'un effet s�r, et il aimait � d�fendre du bec et des pattes les causes d�sesp�r�es.

Michel Ardan (p. 103).

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Entre autres manies, il se proclamait �un ignorant sublime,� comme Shakspeare, et faisait profession de m�priser les savants: �des gens, disait-il, qui ne font que marquer les points quand nous jouons la partie.� C'�tait, en somme, un boh�mien du pays des monts et merveilles, aventureux, mais non pas aventurier, un casse-cou, un Pha�ton menant � fond de train le char du soleil, un Icare avec des ailes de rechange. Du reste, il payait de sa personne et payait bien, il se jetait t�te lev�e dans les entreprises folles, il br�lait ses vaisseaux avec plus d'entrain qu'Agathocl�s, et, 106 pr�t � se faire casser les reins � toute heure, il finissait invariablement par retomber sur ses pieds, comme ces petits cabotins en moelle de sureau dont les enfants s'amusent.

En deux mots, sa devise �tait: Quand m�me! et l'amour de l'impossible sa �ruling passion[84],� suivant la belle expression de Pope.

Mais aussi, comme ce gaillard entreprenant avait bien les d�fauts de ses qualit�s! Qui ne risque rien n'a rien, dit-on. Ardan risqua souvent et n'avait pas davantage! C'�tait un bourreau d'argent, un tonneau des Dana�des. Homme parfaitement d�sint�ress�, d'ailleurs, il faisait autant de coups de cœur que de coups de t�te; secourable, chevaleresque, il n'e�t pas sign� le �bon � pendre� de son plus cruel ennemi, et se serait vendu comme esclave pour racheter un n�gre.

En France, en Europe, tout le monde le connaissait, ce personnage brillant et bruyant. Ne faisait-il pas sans cesse parler de lui par les cent voix de la Renomm�e enrou�es � son service? Ne vivait-il pas dans une maison de verre, prenant l'univers entier pour confident de ses plus intimes secrets? Mais aussi poss�dait-il une admirable collection d'ennemis, parmi ceux qu'il avait plus ou moins froiss�s, bless�s, culbut�s sans merci, en jouant des coudes pour faire sa trou�e dans la foule.

Cependant on l'aimait g�n�ralement, on le traitait en enfant g�t�. C'�tait, suivant l'expression populaire, �un homme � prendre ou � laisser,� et on le prenait. Chacun s'int�ressait � ses hardies entreprises et le suivait d'un regard inquiet. On le savait si imprudemment audacieux! Lorsque quelque ami voulait l'arr�ter en lui pr�disant une catastrophe prochaine:—�La for�t n'est br�l�e que par ses propres arbres,�—r�pondait-il avec un aimable sourire, et sans se douter qu'il citait le plus joli de tous les proverbes arabes.

Tel �tait ce passager de l'Atlanta, toujours agit�, toujours bouillant sous l'action d'un feu int�rieur, toujours �mu, non de ce qu'il venait faire en Am�rique,—il n'y pensait m�me pas,—mais par l'effet de son organisation fi�vreuse. Si jamais individus offrirent un contraste frappant, ce furent bien le Fran�ais Michel Ardan et le Yankee Barbicane, tous les deux, cependant, entreprenants, hardis, audacieux � leur mani�re.

La contemplation � laquelle s'abandonnait le pr�sident du Gun-Club en pr�sence de ce rival qui venait le rel�guer au second plan fut vite interrompue par les hurrahs et les vivats de la foule. Ces cris devinrent m�me si fr�n�tiques, et l'enthousiasme prit des formes tellement personnelles, que Michel Ardan, apr�s avoir serr� un millier de mains dans lesquelles il faillit laisser ses dix doigts, dut se r�fugier dans sa cabine.

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Barbicane le suivit sans avoir prononc� une parole.

�Vous �tes Barbicane? lui demanda Michel Ardan, d�s qu'ils furent seuls et du ton dont il e�t parl� � un ami de vingt ans.

—Oui, r�pondit le pr�sident du Gun-Club.

—Eh bien, bonjour, Barbicane. Comment cela va-t-il? Tr�s-bien? Allons, tant mieux! tant mieux!

—Ainsi, dit Barbicane, sans autre entr�e en mati�re, vous �tes d�cid� � partir?

—Absolument d�cid�.

—Rien ne vous arr�tera?

—Rien. Avez-vous modifi� votre projectile ainsi que l'indiquait ma d�p�che?

—J'attendais votre arriv�e. Mais, demanda Barbicane en insistant de nouveau, vous avez bien r�fl�chi?...

—R�fl�chi! Est-ce que j'ai du temps � perdre? Je trouve l'occasion d'aller faire un tour dans la Lune, j'en profite, et voil� tout. Il me semble que cela ne m�rite pas tant de r�flexions.�

Barbicane d�vorait du regard cet homme qui parlait de son projet de voyage avec une l�g�ret�, une insouciance si compl�te et une si parfaite absence d'inqui�tudes.

�Mais au moins, lui dit-il, vous avez un plan, des moyens d'ex�cution?

—Excellents, mon cher Barbicane. Mais permettez-moi de vous faire une observation: j'aime autant raconter mon histoire une bonne fois, � tout le monde, et qu'il n'en soit plus question. Cela �vitera des redites. Donc, sauf meilleur avis, convoquez vos amis, vos coll�gues, toute la ville, toute la Floride, toute l'Am�rique, si vous voulez, et demain je serai pr�t � d�velopper mes moyens comme � r�pondre aux objections quelles qu'elles soient. Soyez tranquille, je les attendrai de pied ferme. Cela vous va-t-il?

—Cela me va,� r�pondit Barbicane.

Sur ce, le pr�sident sortit de la cabine et fit part � la foule de la proposition de Michel Ardan. Ses paroles furent accueillies avec des tr�pignements et des grognements de joie. Cela coupait court � toute difficult�. Le lendemain chacun pourrait contempler � son aise le h�ros europ�en. Cependant certains spectateurs des plus ent�t�s ne voulurent pas quitter le pont de l'Atlanta; ils pass�rent la nuit � bord. Entre autres, J.-T. Maston avait viss� son crochet dans la lisse de la dunette, et il aurait fallu un cabestan pour l'en arracher.

�C'est un h�ros! un h�ros! s'�criait-il sur tous les tons, et nous ne sommes que des femmelettes aupr�s de cet Europ�en-l�!�

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Quant au pr�sident, apr�s avoir convi� les visiteurs � se retirer, il rentra dans la cabine du passager, et il ne la quitta qu'au moment o� la cloche du steamer sonna le quart de minuit.

Mais alors les deux rivaux en popularit� se serraient chaleureusement la main, et Michel Ardan tutoyait le pr�sident Barbicane.

CHAPITRE XIX UN MEETING.

Le lendemain, l'astre du jour se leva bien tard au gr� de l'impatience publique. On le trouva paresseux, pour un soleil qui devait �clairer une semblable f�te. Barbicane, craignant les questions indiscr�tes pour Michel Ardan, aurait voulu r�duire ses auditeurs � un petit nombre d'adeptes, � ses coll�gues, par exemple. Mais autant essayer d'endiguer le Niagara. Il dut donc renoncer � ses projets et laisser son nouvel ami courir les chances d'une conf�rence publique. La nouvelle salle de la Bourse de Tampa-Town, malgr� ses dimensions colossales, fut jug�e insuffisante pour la c�r�monie, car la r�union projet�e prenait les proportions d'un v�ritable meeting.

Le lieu choisi fut une vaste plaine situ�e en dehors de la ville; en quelques heures on parvint � l'abriter contre les rayons du soleil; les navires du port, riches en voiles, en agr�s, en m�ts de rechange, en vergues, fournirent les accessoires n�cessaires � la construction d'une tente colossale. Bient�t un immense ciel de toile s'�tendit sur la prairie calcin�e et la d�fendit des ardeurs du jour. L� trois cent mille personnes trouv�rent place et brav�rent pendant plusieurs heures une temp�rature �touffante, en attendant l'arriv�e du Fran�ais. De cette foule de spectateurs, un premier tiers pouvait voir et entendre; un second tiers voyait mal et n'entendait pas; quant au troisi�me, il ne voyait rien et n'entendait pas davantage. Ce ne fut cependant pas le moins empress� � prodiguer ses applaudissements.

A trois heures, Michel Ardan fit son apparition, accompagn� des principaux membres du Gun-Club. Il donnait le bras droit au pr�sident Barbicane, et le bras gauche � J.-T. Maston, plus radieux que le soleil en plein midi, et presque aussi rutilant.

Ardan monta sur une estrade, du haut de laquelle ses regards s'�tendaient sur un oc�an de chapeaux noirs. Il ne paraissait aucunement embarrass�; 109 il ne posait pas; il �tait l� comme chez lui, gai, familier, aimable. Aux hurrahs qui l'accueillirent il r�pondit par un salut gracieux; puis, de la main, r�clamant le silence, il prit la parole en anglais, et s'exprima fort correctement en ces termes:

�Messieurs, dit-il, bien qu'il fasse tr�s-chaud, je vais abuser de vos moments pour vous donner quelques explications sur des projets qui ont paru vous int�resser. Je ne suis ni un orateur ni un savant, et je ne comptais point parler publiquement; mais mon ami Barbicane m'a dit que cela vous ferait plaisir, et je me suis d�vou�. Donc, �coutez-moi avec vos six cent mille oreilles, et veuillez excuser les fautes de l'auteur.�

Ce d�but sans fa�on fut fort go�t� des assistants, qui exprim�rent leur contentement par un immense murmure de satisfaction.

�Messieurs, dit-il, aucune marque d'approbation ou d'improbation n'est interdite. Ceci convenu, je commence. Et d'abord, ne l'oubliez pas, vous avez affaire � un ignorant, mais son ignorance va si loin qu'il ignore m�me les difficult�s. Il lui a donc paru que c'�tait chose simple, naturelle, facile, de prendre passage dans un projectile et de partir pour la Lune. Ce voyage-l� devait se faire t�t ou tard, et quant au mode de locomotion adopt�, il suit tout simplement la loi du progr�s. L'homme a commenc� par voyager � quatre pattes, puis, un beau jour, sur deux pieds, puis en charrette, puis en coche, puis en patache, puis en diligence, puis en chemin de fer; eh bien! le projectile est la voiture de l'avenir, et, � vrai dire, les plan�tes ne sont que des projectiles, de simples boulets de canon lanc�s par la

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