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Du Grand Monde, Aimable, Polie, Distinguée De

Manières Et De Goût, Mais Fort Tempérée D'idées, Et Sans Mouvement À

Cet Égard, Sans Initiative. Enfant De Ce Monde-Là, Pour Avoir Grandi Au

Milieu, Pour Y Être Né, Il En A Tout Naturellement Le Ton, La Légèreté,

La Causerie Sur Tout Sujet, Le Sentiment Du Ridicule; Mais Il Fait

Tout Bas Ses Réserves, Il A Ses Idées De _Derrière La Tête_ (Comme

Les Appelle Pascal), Et Il Ne Les Dit Pas. Voltairien, Libéral,

Métaphysicien _In Petto_, Croyant À La Vérité, Disposé À Écrire, Il Sent

Très-Bien Que Ce N'est Point Là Le Lieu Pour Étaler Toutes Ces Choses

De Nature Si Vive Et Si Entière, Et Qui Vont Mal Avec La Transaction

Perpétuelle Dont La Bonne Grâce Sociale Se Compose: «C'était Son

Plaisir, Nous Dit-Il, Son Orgueil, Que De Sentir Fermenter Secrètement

En Lui Les Idées Et Même Les Passions Du Siècle, Au Milieu De Ces Salons

Conservateurs, À Opinions Royalistes Et Religieuses Modérées, Mais

Superficielles.» De Cette Philosophie, En Particulier, Qu'il Avait Trop

À Coeur Pour La Risquer Devant Tous, Il Aurait Dit Volontiers Alors Ce

Que Le Poète A Dit Du Culte De La Muse:

 

  My Shame In Crowds, My Solitary Pride!

 

Lui, Il Aurait Plutôt Montré Ses Chansons, Bien Sûr Qu'on Les Lui Aurait

Plus Facilement Pardonnées.

 

Cependant, Même À Cette Époque De Travail Solitaire Et De Logique

Presque Absolue, Même Avant Aucune Initiation Doctrinaire, Cette Fine

Nature Était Toute Seule Assez Avertie, Assez Curieuse D'impartialité Et

Assez Difficile Sur Les Conclusions, Pour S'efforcer De Concilier Ses

Idées Avec La Modération Véritable, Et Pour Se Garder De Ce Qu'avaient

Naturellement D'âpre Et D'un Peu Grossier La Politique Et La Philosophie

Révolutionnaires. C'était À La Fois Instinct D'un Goût Délicat, Ennemi

Du Commun, Et Sentiment D'un Esprit Équitable, Qui Lient Compte Des

Choses. Aussi, En Même Temps Qu'il N'hésitait Pas À Mettre Ses Principes

Au-Dessus Des Dynasties Et Des Gouvernements, Le Jeune Démocrate

Philosophe Savait S'interdire L'espérance De Rien Renverser Pour La Pure

Satisfaction De Ses Principes, Et Il Ne Rejetait Pas Le Voeu Honorable

Qu'on Pût _Ramener Peu À Peu Le Fait_, Comme On Disait, _Sous L'empire

Du Droit_. En Un Mot, Il S'évertuait À Concilier Dans Sa Pensée Les

Volume 1 Title 1 (Portraits Littéraires, Tome 3) pg 177

Institutions Avec Les Théories. A Aucune Époque (C'est Une Justice Qu'il

Peut Se Rendre), Il N'a Regardé Le Renversement Comme Un But; Mais Il

L'a Toujours Accepté Comme Une Chance.

 

Qu'une Remarque Ici, Une Conjecture Me Sait Permise. Le Monde Même Où Il

Vivait, Et Contre Lequel Il Était En Garde, Dut, Ce Me Semble, L'aider

En Ce Travail De Modération Plus Que L'éminent Jeune Homme Ne Le Crut

Peut-Être. Habitant En Quelque Sorte Dans Deux Atmosphères, Il Portait

Et Gardait, Sans Y Songer, De L'une Dans L'autre. Il Serait Injuste De

Ne Juger Un Milieu Que Par L'endroit Où L'on S'en Sépare, Et D'omettre

Tout Ce Qu'il Nous A Insensiblement Communiqué. La Tiédeur D'opinions De

La Société Pouvait Sans Doute L'impatienter Souvent, L'irriter Même Un

Peu, Et Il Aspirait À Des Régions Plus Franches; Mais Aussi, À Peine

Rentré Dans Cet Air Plus Vif De L'intelligence Pure, Il Conservait Un

Liant Que L'école Ne Connut Jamais, Il Cherchait Un Tempérament, Il

Concevait Des Distinctions, Des Transitions, Qui Étaient Autant De

Ressouvenirs De Ce Qu'il Venait De Quitter. L'homme D'esprit Et L'homme

Du Monde Gardaient Encore À Vue Le Théoricien, Et Le Sentiment Du Réel

Ne L'abandonnait Pas. Dans Ce Monde D'ailleurs Qu'il Savait Si Bien, Et

Parmi Les Amis Particuliers De Sa Mère, Se Trouvaient Deux Hommes Qu'il

Ne Saurait Avoir Été Indifférent À Aucun Bon Esprit D'avoir Connus Et

Pratiqués Dès La Jeunesse. Ceux Qui N'ont Eu L'honneur D'aborder Que

Tard M. Molé Et M. Pasquier Peuvent Bien Apprécier Tout Ce Qu'on Apprend

À Les Voir Et À Les Entendre, Et Que La Théorie Moderne Ne Supplée

Pas. Sans Me Permettre D'entrer Ici Dans Les Différences Qui Les

Caractérisent Et En Laissant De Côté Ce Qu'il Y A De Particulier Dans

Chacun D'eux, J'avoue Pour Mon Compte Avoir Ignoré Jusque-Là, Avant

De L'avoir Considéré Dans Leur Exemple, Ce Que C'est Que La Justesse

D'esprit En Elle-Même, Cette Faculté Modérée, Prudente, Vraiment

Politique, Qui Ne Devance Qu'autant Qu'il Est Nécessaire, Mais Toujours

Prête À Comprendre, À Accepter Sagement, À Aviser, Et Qui, Après Tant

D'années, Se Retrouve Sans Fatigue Au Pas De Tous Les Événements, Si

Accélérés Qu'ils Aient Pu Être. Entouré De Leur Amicale Bienveillance,

Prenant Part À Leur Intimité, Le Jeune Rémusat, Bien Que Poussé Par Sa

Nature À Se Chercher D'autres Guides, Dut Gagner Dans Ce Commerce Un

Fonds De Notions Réelles, D'observations Précises, Qui Servaient De

Point D'appui À La Contradiction Même, Et Qu'étaient Loin De Posséder,

De Soupçonner Au Départ, Tous Ceux Qui, Comme Lui, Allaient À La

Découverte. Ainsi Informé Et Prémuni, Il Eut Beau Se Lancer Ensuite,

Il Eut De L'abstraction, Jamais Du Vague; Il Eut De L'audace, Et Il Ne

Donna Pas Dans L'aventure.

 

Si Rien N'est Plus Rare Et Plus Profitable Dans La Jeunesse Que

D'apprendre À Faire Cas Du Jugement Et De L'esprit De Ceux Dont On Ne

Partage Pas Les Opinions, Rien Aussi N'est Calmant Comme De Voir Ses

Propres Opinions Rencontrer Quelque Alliance Et Quelque Bon Accord

Autour De Soi. M. De Rémusat Éprouva De Cette Consolation En Vivant Dans

La Société De M. De Barante. Cet Esprit Élevé Et Fin, Et Qui A Droit

D'être Difficile Sur La Qualité Des Autres, Finit Par Le Distinguer; Il

Trouvait Que C'était Dommage Qu'ainsi Doué On Ne Fit Rien, C'est-À-Dire

Qu'on N'écrivît Pas. Il Lui Ouvrit Un Premier Jour Sur Les Idées

Politiques Ou Même Littéraires De La Société De Coppet, Et Le Jeune

Homme S'aperçut Avec Joie Qu'il Existait Encore Un Lieu Où Le

Libéralisme Était D'assez Bonne Compagnie, Où Se Retrouvait Quelque

Chose Du Mouvement De 89, Et Que Ses Opinions N'étaient Point

Exclusivement Reléguées Dans Les Écoles Ou Les Estaminets. Cela

L'éclaira, Dit-Il, Et Par Là Même Le Modéra.

 

Volume 1 Title 1 (Portraits Littéraires, Tome 3) pg 178

Il Écrivait Déjà Beaucoup Et Pour Lui Seul. Tout En Faisant Son Droit

(1814-1817), Il Composa Un Certain Roman De _Sidney_, Dont Le Patriote

De Ce Nom Était Le Héros; Il Y Avait Déposé Toutes Ses Idées Sur La

Politique, La Société, La Vie, L'amour, Et Il En Dit Un Peu Sévèrement

Peut-Être, Sans Nous Mettre À Même De Le Vérifier, Que C'était Une Vraie

Déclamation. Mais Les Pages Sur _La Jeunesse_ (1817), Qui Ouvrent Les

Volumes De _Mélanges_, Nous Le Représentent Bien À Cette Date, Dans Sa

Lutte Muette Contre La Société, Aspirant À Un Idéal Non Encore Défini,

Avec Le Sentiment D'une Supériorité Qui Cherche Son Objet, Avec Une

Amertume D'ironie Qui Se Retourne Contre Elle-Même. Ce Qui Est Surtout

Curieux À Noter, C'est Combien Déjà Il Se Juge, Il Se Gourmande, Il Se

Châtie; Tout Ce Qu'on Serait Tenté De Lui Opposer, Il Est Le Premier À

Se Le Dire, Et Bien Plus Durement Et Bien Plus Finement Aussi. On Le

Sent, Cette Roideur D'un Premier Stoïcisme Est Dès Lors En Voie De

Se Détendre, De Même Que Ce Style, Déjà Tout Formé Et Si Subtil,

S'assouplira. L'auteur Nous Peint Là Un _Cléon_ Qu'il A L'air De Copier

D'après Nature. Tous, Plus Ou Moins, Nous Avons Ainsi En Nous Un Premier

Type Que Nous Aimons À Détacher, À Figurer En L'exagérant Un Peu,

À Faire Poser Devant Nous Et Devant Les Autres; Nous Y Jetons Nos

Qualités, Nos Défauts; Nous Le Caressons, Nous Le Malmenons Et Finissons

Le Plus Souvent, Dans Notre Impatience De _Tout Ou Rien_, Par L'immoler

De Désespoir Et Le Faire Mourir. Qu'on Se Rassure Pourtant: Cléon Ne

Meurt Pas; Il Se Transforme En Vivant, Il Se Perfectionne, Il Fait

Presque Tout Ce Qu'il A Dit Qu'il Ne Fera Pas, Et Son Portrait,

Longtemps Après Retrouvé, Ne Paraît Plus À Nos Yeux Surpris Qu'un Des

Profils Évanouis De Notre Jeunesse. En Le Revoyant, On Ne Peut Que

S'écrier Comme Montaigne Devant Ses Anciens Portraits: _C'est Moi, Et Ce

N'est Plus Moi!_

 

«Ne Vous Obstinez Pas, Concluait Le Peintre De _Cléon_ En S'adressant

Aux Jeunes Gens, À Poursuivre Un _Je Ne Sais Quoi Plus Grand_ Que

Vous-Mêmes Ou Que Votre Époque; Ou, Si Vous Voulez Absolument Chercher

Quelque Chose De Grand, Sachez Quoi.» Pour Lui, Il Ne Tarda Plus Guère À

Le Savoir. L'ouvrage Posthume De Mme De Staël Sur La Révolution Parut;

Il L'émut Vivement Et Lui Causa Un Véritable Enthousiasme. Un Dernier

Rideau Se Leva De Devant Ses Yeux, Et Ce Nouveau Monde Politique Et

Philosophique, Qu'il N'avait Encore Vu Que Dans Les Nuages, Se Dessina

Désormais Comme Une Terre Promise Et Comme Une Conquête. On Peut Dire

Que Sa Formation Complète Et Définitive Date De Ce Moment, Et Qu'en

Posant Le Livre, Tout L'homme En Lui Se Sentit Achevé.

 

Nous Avons Affaire À Un Esprit De Nature Très-Complexe, Et Dans Laquelle

Est Entré Déjà Plus D'un Élément. Une Leçon Métaphysique De M. Fercoc

L'a Ému, Comme Elle Eût Pu Faire Pour Un Malebranche Naissant; Une

Chanson L'a Fait Tressaillir, Comme S'il Était Une De Ces Choses Légères

Et Sacrées Dont Parle Platon, Et Voilà Que L'intelligence Politique Le

Saisit Comme Un Futur Émule Des Fox Et Des Russell. Nous Ne Prétendons

Pas Compter Dans Cette Riche Et Fine Organisation Toutes Les Impressions

Et Les Influences; Mais Nous Tenons Évidemment Les Principales, Celles

Qui, En Se Croisant, Ont Formé La Trame Subtile, _Très Imbris Torti

Radios_...

 

Toutes Les Idées Et Les Vues Que Lui Suggéra La Lecture Du Livre De Mme

De Staël, Il Les Écrivit Pour Lui Seul D'abord; Mais, Un Jour, Dans

L'été De 1818, Se Trouvant À La Campagne [228], Il Remit Le Morceau À M.

De Barante, Qui Le Questionnait Sur Ses Études. M. De Barante En Fut

Très-Frappé, Et Dit Qu'il Le Voulait Garder Pour Le Donner Comme

Article À M. Guizot, Qui Dirigeait Alors Les _Archives_. Peu Après [229],

Volume 1 Title 1 (Portraits Littéraires, Tome 3) pg 179

L'article Parut En Effet Sous Ce Titre: _De L'influence Du Dernier

Ouvrage De Madame De Staël Sur La Jeune Opinion Publique_; Il Était

Précédé De Quelques Lignes Dues À La Plume De M. Guizot:

 

[Note 228: Au Château Du Marais, Chez Mme De La Brîche, Belle-Soeur De

La Célèbre Mme D'houdetot Et Belle-Mère De M. Le Comte Molé. C'est Au

Marais Aussi Que, L'année Précédente, Il Avait Lu, Pour La Première

Fois, Quelque Chose De Lui, Le Morceau Sur _La Jeunesse_, Qui Commence

Les _Mélanges_. Sur Cette Société D'un Goût Délicat, Il N'avait Pas

Craint De Faire Le Premier Essai D'une Production De

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