Portraits Littéraires, Tome Iii Volume 1 by C.-A. Sainte-Beuve (best novels of all time txt) 📕
Longue Période De Gloire, Semble La Clore Avec Théocrite; Elle Se Trouve
Ainsi Comme Encadrée Entre La Grandeur Et La Grâce, Et Celle-Ci, Pour En
Être À Faire Les Honneurs De La Sortie, N'a Rien Perdu De Son Entière Et
Suprême Fraîcheur. Elle N'a Jamais Paru Plus Jeune, Et A Rassemblé Une
Dernière Fois Tous Ses Dons. Après Théocrite, Il Y Aura Encore En Grèce
D'agréables Poëtes; Il N'y En Aura Plus De Grands. «La Lie Même De La
Littérature Des Grecs Dans Sa Vieillesse Offre Un Résidu Délicat;» C'est
Ce Qu'on Peut Dire Avec M. Joubert Des Poëtes D'anthologie Qui Suivent.
Mais Théocrite Appartient Encore À La Grande Famille; Il En Est Par
Son Originalité, Par Son Éclat, Par La Douceur Et La Largeur De Ses
Pinceaux. Les Suffrages De La Postérité L'ont Constamment Maintenu À Son
Rang, Et Rien Ne L'en A Pu Faire Descendre. A Un Certain Moment, Les
Mêmes Gens D'esprit Qui S'attaquaient À Homère Se Sont Attaqués À
Théocrite. Tandis Que Perrault Prenait À Partie L'_Iliade_, Fontenelle
Faisait Le Procès Aux _Idylles_; Il N'y A Pas Mieux Réussi.
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- Author: C.-A. Sainte-Beuve
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Extrémités Du Siècle, _Manon Lescaut_, _Paul Et Virginie_, Mlle Aïssé
Et Son Passionné Chevalier Tiennent Leur Place, Et Par Le Vrai, Par Le
Naturel Attachant De Leur Affection Et De Leur Langage, Ils Se Peuvent
Lire Dans L'intervalle. Il Est Intéressant De Voir, Dans Une Histoire
Toute Réelle Et Où La Fiction N'a Point De Part, Comment Une Personne
Qui Semblait Destinée Par Le Sort À N'être Qu'une Adorable Manon Lescaut
Redevient Une Virginie: Il Fallait Que Cette Circassienne, Sortie Des
Bazars D'asie, Fût Amenée Dans Ce Monde De France Pour Y Relever Comme
La Statue De L'amour Fidèle Et De La Pudeur Repentante.
Les Lettres De Mlle Aïssé, Imprimées Pour La Première Fois En 1787 (À La
Veille Même De _Paul Et Virginie_), Ont Eu Depuis Plusieurs Éditions;
Elles Étaient Accompagnées Dès L'abord De Quelques Courtes Notes Dues
À La Plume De Voltaire, Qui Les Avait Parcourues En Manuscrit. On Les
Réimprimait Dès 1788. En 1800, Elles Reparurent Avec Une Notice Bien
Touchée De M. De Barante, Qui Avait Recueilli Quelques Détails Nouveaux
(Dont Un Pourtant Très-Hasardé, On Le Verra) Dans La Société De M.
Suard. C'est Ainsi Encore Qu'elles Ont Été Reproduites En 1823. Le Style
Avait Subi De Petites Épurations Dans Ces Éditions Successives; Il Y
Avait Pourtant Dans Le Texte Bien D'autres Points Plus Essentiels, Ce Me
Semble, À Éclaircir, À Corriger: On Ne Saurait Imaginer La Négligence
Avec Laquelle Presque Tous Les Noms Propres, Cités Chemin Faisant
Dans Ces Lettres, Ont Été Défigurés; Quelques-Uns Étaient Devenus
Méconnaissables. De Plus, Un Grand Nombre Des Dates D'envoi Sont
Fautives Et Incompatibles Avec Les Événements Dont Il Est Question; Il
Y A Eu Des Transpositions En Certains Passages, Et Tel Paragraphe D'une
Lettre Est Allé Se Joindre À Une Autre Dont Il Ne Faisait Point D'abord
Partie. Enfin Il Est Arrivé Que Des Notes Plus Ou Moins Exactes, Écrites
En Marge Du Manuscrit, Sont Entrées Mal À Propos Dans Le Texte Imprimé.
À Une Première Et Rapide Lecture, Ces Inconvénients Arrêtent Peu; On
Ne Suit Que Le Cours Des Sentiments De Celle Qui Écrit. Une Édition
Correcte N'en Était Pas Moins Un Dernier Hommage Que Méritait Et
Qu'attendait Encore Cette Mémoire Charmante, Si Peu En Peine De La
Postérité, Et N'aspirant Qu'à Un Petit Nombre De Coeurs. Un Érudit Bien
Connu Par Sa Conscience, Sa Rectitude Et Sa Sagacité D'investigation
En Ces Matières, M. Ravenel, Après S'être Avisé Le Premier De Tout
Ce Qu'avaient De Défectueux Les Éditions Antérieures, A Préparé Dès
Longtemps La Sienne, Qui Est En Voie De S'exécuter. Un Ami Dont Le Nom
Reviendra Souvent Sous Notre Plume, Et Dont Le Talent Animé D'un Pur
Zèle Fait Faute Désormais En Bien Des Endroits De La Littérature, M.
Charles Labitte, Devait S'y Associer À M. Ravenel: C'est Avec Les Notes
De L'un, C'est Moyennant Les Renseignements Continus Et Les Directions
De L'autre, Qu'il M'est Permis Ici De Venir Repasser Sur Cette Histoire
Et D'en Fixer Quelques Particularités Avec Plus De Précision Qu'on
N'avait Fait Jusqu'à Présent. L'érudition Ou Ce Qui Pourrait En Avoir
L'air, En S'appliquant À Ces Sujets Qui En Sont Si Éloignés Par Nature,
Change Véritablement De Nom Et Prend Quelque Chose De La Piété Qui Se
Met En Quête Vers Les Moindres Reliques D'un Mort Chéri.
M. De Ferriol, Ambassadeur De France À Constantinople, Vit Un Jour,
Parmi Les Esclaves Qu'on Amenait Vendre Au Marché, Une Petite Fille
Qui Paraissait Âgée D'environ Quatre Ans, Et Dont La Physionomie
L'intéressa: Les Turcs Avaient Pris Et Saccagé Une Ville De Circassie,
Ils En Avaient Tué Ou Emmené En Esclavage Les Habitants; L'enfant Avait
Échappé Au Massacre De Ses Parents, Lesquels Étaient Princes, Dit-On, En
Leur Pays. Du Moins Les Souvenirs De La Petite Fille Lui Retraçaient Un
Palais Où Elle Était Élevée, Et Une Foule De Gens Empressés À La Servir.
M. De Ferriol Acheta Assez Cher (1,500 Livres) La Petite Circassienne
Volume 1 Title 1 (Portraits Littéraires, Tome 3) pg 76Il Était Coutumier D'acheter De Belles Esclaves, Et Ce N'était Guère
Dans Un But Désintéressé[68]. Ici Il Ne Paraît Pas Que Son Intention Fût
Beaucoup Plus Pure Ni Exempte D'arrière-Pensée: Il Songeait À L'avenir
Et À Cultiver Cette Jeune Fleur D'asie. Étant Revenu En France, Il Y
Amena L'enfant[69] Et La Plaça, En Attendant Mieux, Chez Sa Belle-Soeur
Mme De Ferriol. Celle-Ci, Tencin De Son Nom, Soeur De La Célèbre
Chanoinesse Et Du Futur Cardinal, Était Digne De La Famille À Tous
Égards, Belle, Galante Et Intrigante. Le Mari, M. De Ferriol,
Receveur-Général Des Finances Du Dauphiné, Et Conseiller, Puis Président
Au Parlement De Metz, Ne Joua Dans La Vie De Sa Femme Qu'un Rôle
Insignifiant Et Commode. La Grande Liaison De Mme De Ferriol Fut Avec Le
Maréchal D'uxelles. Les Recueils Du Temps[70] Donnent Comme S'appliquant
Au Premier Éclat De Leurs Amours L'ode De J.-B. Rousseau Imitée
D'horace:
Quel Charme, Beauté Dangereuse,
Assoupit Ton Nouveau Pâris?
Dans Quelle Oisiveté Honteuse
De Tes Yeux La Douceur Flatteuse
A-T-Elle Plongé Ses Esprits?
[Note 68: Voici Une Petite Anecdote À L'appui: «M. Le Comte De
Nogent, Qui S'appelle Bautru En Son Nom, Est Lieutenant-Général Des
Armées Du Roi, Fils Et Peut-Être Petit-Fils D'officier-Général, Frère
De Mme La Duchesse De Biron. C'est Un Homme Qui Toujours L'a Porté Fort
Haut Et A Fait Le Seigneur À La Cour. Sa Hauteur Lui A Attiré Une Scène
Fort Déplaisante, En Insultant À Sa Table, À Nogent-Le-Roi, Pendant Les
Vacances, Un Officier De Son Voisinage Au Sujet D'un Mariage Pour Sa
Fille. Il A Même Eu La Sottise De Demander Une Réparation Devant Les
Juges De Chartres. Cela A Donné Occasion À Cet Officier De Faire Ou
Faire Faire Un Petit Mémoire Que L'on A Trouvé Parfaitement Écrit, Et
Qui A Été Répandu Dans Tout Paris... Dans Le Mémoire Susdit, L'officier
Parle De La Noblesse De La Mère: On Demanderait À Propos De Quoi.
C'est Une Petite Allusion Sur Ce Que M. De Ferriol, Ambassadeur À
Constantinople, Ramena Ici Deux Esclaves Très-Belles. Il En Garda Une
Pour Lui; Le Comte De Nogent, Qui Peut-Être Était Son Ami, Prit L'autre.
Non-Seulement Il L'a Gardée, Mais Il L'a Épousée, Et C'est D'elle Que
Vient La Fille À Marier Qui A Fait Le Sujet De La Dispute.» (_Journal_
De L'avocat Barbier, Avril 1732.)]
[Note 69: M. De Ferriol Eut Plusieurs Missions Et Fit Plusieurs
Voyages Et Séjours À Constantinople. Une Première Fois, En 1692, Il
Fut Envoyé Auprès De L'ambassadeur De France, Qui Le Présenta Au
Grand-Vizir, Et Celui-Ci L'autorisa À Le Suivre À L'armée; M. De Ferriol
Fit Ainsi Les Campagnes De 1692, 1693 Et 1694, Dans La Guerre Des Turcs
Et Des Hongrois Mécontents Contre L'empereur. Revenu En France Au
Printemps De 1695, Il Reçoit En Mars 1696 Une Nouvelle Mission, Et Cette
Fois Il Est Accrédité Directement Auprès Du Grand-Vizir; Il Fait La
Campagne De 1696, Celle De 1697, Passe L'hiver Et Le Printemps De 1698 À
Constantinople, S'embarque Pour La France Le 22 Juin 1698, Et Arrive À
Marseille Le 20 Août.--C'est Dans Ce Second Voyage Qu'il Acheta Et Qu'il
Amena En France La Jeune Aïssé.--En 1699, M. De Ferriol, Qui N'avait Eu
Jusque-Là Que Des Missions Temporaires, Remplaça À Constantinople, En
Qualité D'ambassadeur, M. Castagnères De Châteauneuf. Parti De Toulon
Dans Les Derniers Jours De Juillet 1699, Il Alla Résider En Turquie
Durant Plus De Dix Ans, Ne Fut Remplacé Qu'en Novembre 1710 Par M.
Desalleurs, Et Ne Rentra En France Que Le 23 Mai 1711. Ces Dates, Que
Nous Devons Aux Bienveillantes Communications De M. Mignet, Nous Seront
Volume 1 Title 1 (Portraits Littéraires, Tome 3) pg 77Tout À L'heure Précieuses.]
[Note 70: Bibliothèque Du Roi, Mss., Dans Le _Recueil_ Dit De
_Maurepas_ (Xxx, Page 279, Année 1716).--Voir Ci-Après La Note [A].]
La Fin De L'ode Semblait Menacer L'amant Crédule De Quelque Prochaine
Inconstance De La Perfide:
Insensé Qui Sur Tes Promesses
Croit Pouvoir Fonder Son Appui,
Sans Songer Que Mêmes Tendresses,
Mêmes Serments, Mêmes Caresses,
Trompèrent Un Autre Avant Lui!
Mais Il Ne Paraît Pas Que Le Pronostic Ait Eu Son Effet: Mme De Ferriol
Comprit Vite Que Son Crédit Dans Le Monde Et Sa Considération Étaient
Attachés À Cette Liaison Avec Le Maréchal-Ministre, Et Elle S'y Tint. On
Voit, Dans Les Lettres Nombreuses Que Lord Bolingbroke Adresse À Mme De
Ferriol[71], Qu'il N'en Est Aucune Où Il Ne Lui Parle Du Maréchal Comme
Du Grand Intérêt De Sa Vie. Il Résulte Du Témoignage De Mademoiselle
Aïssé Qu'il Y Avait Dans Cet État Plus De Montre Que De Fond, Et Que Le
Crédit De La Dame Baissa Fort Avec L'éclat De Ses Yeux[72]. Tant Qu'elle
Fut Jeune Pourtant, Mme De Ferriol Parut Fort Recherchée, Et Elle
Eut Rang Parmi Les Femmes En Vogue Du Temps. Ses Deux Fils, Mm. De
Font-De-Veyle Et D'argental, Surtout Ce Dernier, Furent Élevés Avec
La Jeune Aïssé Comme Avec Une Soeur. Les Registres De La Paroisse
Saint-Eustache, À La Date Du 21 Décembre 1700, Nous Montrent _Damoiselle
Charlotte Haidée_[73] Et Le Petit Antoine De Ferriol (Pont-De-Veyle),
Représentant Tous Deux Le Parrain Et La Marraine Absents Au Baptême De
D'argental, «Lesquels, Est-Il Dit Des Deux Enfants Témoins, Ont Déclaré
Ne Savoir Signer.» Aïssé Pouvait Avoir Sept Ans Au Plus À Cette Date De
1700, Ayant Été Achetée En 1697 Ou 1698. L'éducation Répara Vite Ces
Premiers Retards. Un Passage Des Lettres Semble Indiquer Qu'elle Fut
Mise Au Couvent Des Nouvelles Catholiques; Mais C'est Surtout Dans Le
Monde Qu'elle Se Forma. Cette Décadence De Louis Xiv, Où La Corruption
Pour Éclater N'attendait Que L'heure, Faisait Encore Une Société Bien
Spirituelle, Bien Riche D'agréments; Cela Était Surtout Vrai Des Femmes
Et Du Ton; Le Goût Valait Mieux Que Les Moeurs; On Sortait De Saint-Cyr,
Après Tout, On Venait De Lire La Bruyère. On Retrouverait Jusque Dans
Madame De Tencin La Langue De Madame De Maintenon. L'esprit D'aïssé
Ne Fut Pas Lent À S'orner De Tout Ce Qui Pouvait Relever Ses Grâces
Naturelles Sans Leur Ôter Rien De Leur Légèreté, Et La _Jeune
Circassienne_, La _Jeune Grecque_[D], Comme Chacun L'appelait Autour
D'elle, Continua D'être Une Créature Ravissante, En Même Temps Qu'elle
Devint Une Personne Accomplie.
[Note 71: _Lettres Historiques, Politiques, Philosophiques Et
Littéraires_ De Lord Bolingbroke; 3 Vol. In-8°, 1808. Ces Lettres Sont
Une Source Des Plus Essentielles Pour L'histoire D'aïssé.]
[Note 72: «Tout Le Monde Est Excédé De Ses Incertitudes (Il
S'agissait D'un Voyage À Faire À Pont-De-Veyle En Bourgogne); Le Vrai De
Ses Difficultés, C'est Qu'elle Ne Voudrait Point Quitter Le Maréchal,
Qui Ne S'en Soucie Point Et Ne Ferait Pas Un Pas Pour Elle. Mais Elle
Croit Que Cela Lui Donne De La Considération Dans Le Monde. Personne Ne
S'adresse À Elle Pour Demander Des Grâces Au Vieux Maréchal...» (Lettre
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