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Read book online «Portraits Littéraires, Tome Iii Volume 1 by C.-A. Sainte-Beuve (best novels of all time txt) 📕».   Author   -   C.-A. Sainte-Beuve



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Vous Dise Que Rien N'approche De L'état De

Douleur Et De Crainte Où L'on Est: Cela Vous Ferait Pitié; Tout Le Monde

En Est Si Touché, Que L'on N'est Occupé Qu'à Le Rassurer. Il Croit Qu'à

Force De Libéralités Il Rachètera Ma Vie; Il Donne À Toute La Maison,

Jusqu'à Ma Vache, À Qui Il A Acheté Du Foin; Il Donne À L'un De Quoi

Faire Apprendre Un Métier À Son Enfant; À L'autre, Pour Avoir Des

Palatines Et Des Rubans, À Tout Ce Qui Se Rencontre Et Se Présente

Devant Lui: Cela Vise Quasi À La Folie. Quand Je Lui Ai Demandé À

Quoi Tout Cela Était Bon, Il M'a Répondu: «À Obliger Tout Ce Qui Vous

Environne À Avoir Soin De Vous.»--C'est Assez Repasser Sur Ce Que Tout

Le Monde A Pu Lire Dans Les Lettres Mêmes. Mlle Aïssé Mourut Le 13

Mars 1733; Elle Fut Inhumée À Saint-Roch, Dans Le Caveau De La Famille

Ferriol. Elle Approchait De L'âge De Quarante Ans[99].

 

[Note 99: Nous Voulons Pourtant Rappeler Ici En Note (Ne Trouvant Pas

Moyen De Le Faire Autrement) Que Dans Cette Dernière Maladie (1732),

Voltaire Avait Envoyé À Mlle Aïssé Un _Ratafia Pour L'estomac_,

Accompagné D'un Quatrain Galant Qui S'est Conservé Dans Ses Oeuvres.

De Loin (Ô Vanité De La Douleur Même!), Tout Cela S'ajoute, Se Mêle,

L'angoisse Unique Et Déchirante, L'intérêt Aimable Et Léger, Un Trait

Gracieux De Bel-Esprit Célèbre, Et Un Coeur D'amant Qui Se Brise. Même

Pour Ceux Qui Ne Restent Pas Indifférents, C'est Devoir, Dans Cet

Inventaire Final, De Tenir Compte De Tout.--Voir Ci-Après Les Notes[H]

Et [I].]

 

La Fidèle Sophie, Qui Est Aussi Essentielle Dans L'histoire De Sa

Maîtresse Que L'est La Bonne Rondel Dans Celle De Mlle De Launay, Ne

Tarda Pas, Pour La Mieux Pleurer, À Entrer Dans Un Couvent.

 

Mais Le Chevalier! Sa Douleur Fut Ce Qu'on Peut Imaginer; Il Se Consacra

Tout Entier À Cette Tendre Mémoire Et À La Jeune Enfant Qui Désormais

La Faisait Revivre À Ses Yeux. Dès Qu'elle Fut En Âge, Il La Retira Du

Couvent De Sens, Il L'adopta Ouvertement Pour Sa Fille, La Dota Et

Volume 1 Title 1 (Portraits Littéraires, Tome 3) pg 93

La Maria (1740) À Un Bon Gentilhomme De Sa Province, Le Vicomte De

Nanthia[J]. «Ma Mère M'a Souvent Raconté, Écrit M. De Sainte-Aulaire[100],

Que, Lors De L'arrivée En Périgord Du Chevalier D'aydie Avec Sa Fille,

L'admiration Fut Générale; Il La Présenta À Sa Famille, Et, Suivant La

Coutume Du Temps, Il Allait Chevauchant Avec Elle De Château En Château;

Leur Cortége Grossissait Chaque Jour, Parce Que La Fille D'aïssé

Emmenait À Sa Suite Et Les Hôtes De La Maison Qu'elle Quittait Et Tous

Les Convives Qu'elle Y Avait Rencontrés.» Ainsi Allait, Héritière Des

Grâces De Sa Mère, Cette Jeune Reine Des Coeurs. Nous Retrouvons Le

Chevalier À Paris L'année Suivante (Décembre 1741), Adressant À Sa

_Chère Petite_, Comme Il L'appelle, Toutes Sortes De Recommandations Sur

Sa Prochaine Maternité[K], Et Il Ajoutait: «M. De Boisseuil, Qui Doit

Retourner En Périgord Au Mois De Janvier, M'a Promis De Se Charger

Du Portrait De Votre Mère. Je Ne Doute Pas Qu'il Ne Vous Fasse Grand

Plaisir. Vous Verrez Les Traits De Son Visage; Que Ne Peut-On De Même

Peindre Les Qualités De Son Âme!» Cependant, L'âge Venant, Pour Ne Plus

Quitter Sa Fille, Il Dit Adieu À Paris Et Se Fixa Au Château De Mayac,

Chez Sa Soeur La Marquise D'abzac. Vingt Années Déjà S'étaient Écoulées

Depuis La Perte Irréparable. Les Lettres Qu'on A De Lui, Écrites À Mme

Du Deffand (1733-1754), Nous Le Montrent Établi Dans La Vie Domestique,

À La Fois Fidèle Et Consolé. La Main Souveraine Du Temps Apaise Ceux

Même Qu'elle Ne Parvient Point À Glacer. C'est Bien Au Fond Le Même

Homme Encore, Non Plus Du Tout Brillant, Devenu Un Peu Brusque, Un Peu

Marqué D'humeur, Mais Bon, Affectueux, Tout Aux Siens Et À Ses Amis,

C'est Le Même Coeur: «Car Vous Qui Devez Me Connaître, Vous Savez Bien,

Madame, Que Personne Ne M'a Jamais Aimé Que Je Ne Le Lui Aie Bien

Rendu.» Que Fait-Il À Mayac? Il Mène La Vie De Campagne, Surtout Il Ne

Lit Guère: «Le Brave Julien, Dit-Il, M'a Totalement Abandonné: Il Ne

M'envoie Ni Livres, Ni Nouvelles, Et Il Faut Avouer Qu'il Me Traite

Assez Comme Je Le Mérite, Car Je Ne Lis Aujourd'hui Que Comme D'ussé,

Qui Disait Qu'il N'avait Le Temps De Lire Que Pendant Que Son Laquais

Attachait Les Boucles De Ses Souliers. J'ai Vraiment Bien Mieux À Faire,

Madame: Je Chasse, Je Joue, Je Me Divertis Du Matin Jusqu'au Soir Avec

Mes Frères Et Nos Enfants, Et Je Vous Avouerai Tout Naïvement Que Je

N'ai Jamais Été Plus Heureux, Et Dans Une Compagnie Qui Me Plaise

Davantage.» Il A Toutefois Des Regrets Pour Celle De Paris; Il Envoie De

Loin En Loin Des Retours De Pensée À Mmes De Mirepoix Et Du Châtel,

Aux Présidents Hénault Et De Montesquieu, À Formont, À D'alembert:

«J'enrage, Écrit-Il (À Mme Du Deffand Toujours), D'être À Cent Lieues De

Vous, Car Je N'ai Ni L'ambition Ni La Vanité De César: J'aime Mieux Être

Le Dernier, Et Seulement Souffert Dans La Plus Excellente Compagnie, Que

D'être Le Premier Et Le Plus Considéré Dans La Mauvaise, Et Même Dans La

Commune; Mais Si Je N'ose Dire Que Je Suis Ici Dans Le Premier Cas, Je

Puis Au Moins Vous Assurer Que Je Ne Suis Pas Dans Le Second: J'y Trouve

Avec Qui Parler, Rire Et Raisonner Autant Et Plus Que Ne S'étendent Les

Pauvres Facultés De Mon Entendement, Et L'exercice Que Je Prétends Lui

Donner.» Ces Regrets, On Le Sent Bien, Sont Sincères, Mais Tempérés; Il

N'a Pas Honte D'être Provincial Et De S'enfoncer De Plus En Plus Dans

La Vie Obscure: Il Envoie À Mme Du Deffand Des Pâtés De Périgord, Il En

Mange Lui-Même[101]; Il Va À La Chasse Malgré Son Asthme; Il A Des Procès;

Quand Ce Ne Sont Pas Les Siens, Ce Sont Ceux De Ses Frères Et De Sa

Famille. Ainsi S'use La Vie; Ainsi Finissent, Quand Ils Ne Meurent Pas

Le Jour D'avant La Quarantaine, Les Meilleurs Même Des Chevaliers Et Des

Amants.

 

[Note 100: Dans La Notice Manuscrite Sur Le Chevalier D'aydie, Dont

Nous Lui Devons Communication.]

 

[Note 101: Voir, Dans Le Premier Des Deux Volumes Déjà Indiqués

(_Correspondance_ De Mme Du Deffand, 1809), Pages 334 Et 347, Des

Passages De Lettres Du Comte Desalleurs, Ambassadeur À Constantinople;

En Envoyant Ses Amitiés Au Chevalier, Il Le Peint Très-Bien Et Nous Le

Rend En Quelques Traits Dans Sa Seconde Forme Non Romanesque, Qui Ne

Laisse Pas D'être Piquante Et De Rester Très-Aimable.--Il Ne Faudrait

Pas D'ailleurs Prendre Tout À Fait Au Mot Le Chevalier (On Nous En

Avertit) Sur Cette Vie De Mayac Et Sur Le Bon Marché Qu'il A L'air D'en

Faire. Le Château De Mayac Était, Durant Les Mois D'été, Le Rendez-Vous

De La Haute Noblesse De La Province Et De Très-Grands Seigneurs De La

Cour; On Y Venait Même De Versailles En Poste, Et La Vie Était Loin D'y

Être Aussi Simple Que Le Dit Le Chevalier. Notre Vénérable Et Agréable

Confrère, M. De Féletz, Nous Apprend Là-Dessus Des Choses Intéressantes

Qui Sont Pour Lui Des Souvenirs. Jeune, Partant Pour Paris En 1784, Il

Fut Conduit Par Son Père À Mayac, Où Vivait Encore L'abbé D'aydie, Frère

Du Chevalier, Et Plus Qu'octogénaire; Il Reçut Du Spirituel Vieillard

Des Conseils. Un Jeune Homme De Qualité Ne Quittait Point, En Ce

Temps-Là, Le Périgord Sans Avoir Été Présenté À Mayac; C'était Le Petit

Versailles De La Province,--Voir Ci-Après La Note[L].]

 

Il Mourut Non Pas En 1758, Comme Le Disent Les Biographies, Mais Bien

Deux Ans Plus Tard. Un Mot D'une Lettre De Voltaire À D'argental, Qu'on

Range À La Date Du 2 Février 1761, Indique Que Sa Mort N'eut Lieu En

Effet Que Sur La Fin De 1760. Voltaire Parle Avec Sa Vivacité Ordinaire

Des Calomniateurs Et Des Délateurs Qu'il Faut Pourchasser, Et Il Ajoute

En Courant: «Le Chevalier D'aydie Vient De Mourir En Revenant De La

Chasse: On Mourra Volontiers Après Avoir Tiré Sur Les Bêtes Puantes.»

C'est Ainsi Que La Mort Toute Fraîche D'un Ami, Ou, Si C'est Trop Dire,

D'une Connaissance Si Anciennement Appréciée, De Celui Qu'on Avait

Comparé Une Fois À Couci, Ne Vient Là Que Pour Servir De Trait À La

Petite Passion Du Moment. Celui Qui Vit Ne Voit Qu'un Prétexte Et Qu'un

À-Propos D'esprit Dans Celui Qui Meurt[M].

 

Cependant La Postérité Féminine D'aïssé Prospérait En Beauté Et En

Grâce; Je Ne Sais Quel Signe De La Fine Race Circassienne Continuait

De Se Transmettre Et De Se Refléter À De Jeunes Fronts. Mme De Nanthia

N'eut Qu'une Fille Unique Qui Fut Mariée Au Comte De Bonneval, De L'une

Des Premières Familles Du Limousin[N]; Mais Ici La Tige Discrète, Qui

N'avait Par Deux Fois Porté Qu'une Fleur, Sembla S'enhardir Et Se

Multiplia. Il S'était Glissé Dans Mon Premier Travail Une Bien Grave

Erreur Que Je Suis Trop Heureux De Pouvoir Réparer: J'avais Dit Que La

Race D'aïssé Était Éteinte, Elle Ne L'est Pas. Deux Filles Et Un Fils

Issus De Mme De Bonneval, À Savoir, La Vicomtesse D'abzac, La Comtesse

De Calignon Et Le Marquis De Bonneval, Qu'on Appelait _Le Beau Bonneval_

À La Cour De Berlin Pendant L'émigration, Continuèrent Les Traditions

D'une Famille En Qui Les Dons De La Grâce Et De L'esprit Sont Reconnus

Comme Héréditaires; La Vicomtesse D'abzac Fut La Seule Qui Mourut

Sans Enfants, Et Les Autres Branches N'ont Pas Cessé De Fleurir. Mme

D'abzac[O], Au Rapport De Tous, Était Une Merveille De Beauté. Parlant

D'elle Et De Sa Mère, Ainsi Que De Son Aïeule, Un Témoin Bien Bon Juge

Des Élégances, M. De Sainte-Aulaire, Nous Dit: «Un De Mes Souvenirs

D'enfance Les Plus Vifs, C'est D'avoir Vu Ces Trois Dames Ensemble: Les

Deux Dernières (Mmes D'abzac Et De Bonneval), Dans Tout L'éclat De Leur

Beauté, Semblaient Être Des Soeurs, Et Mme De Nanthia, Malgré Son Âge De

Plus De Soixante Ans, Ne Déparait Pas Le Groupe.» Un Autre Témoin Bien

Digne D'être Écouté, Une Femme Qui Se Rattache À Ces Souvenirs D'enfance

Volume 1 Title 1 (Portraits Littéraires, Tome 3) pg 94

Par La Mémoire Du Coeur, Nous Dit Encore: «Mme De Nanthia Était

Très-Belle, Fort Spirituelle Et D'un Aspect Très-Fier. Sa Fille, La

Marquise De Bonneval, Qui N'était Que Jolie, Était L'une Des Femmes

Les Plus Délicieuses De Son Temps. Sa Grâce Était Incomparable; À

Soixante-Dix Ans, Elle En Mettait Encore Dans Ses Moindres Actions, Dans

Ses Moindres Paroles. Elle Contait À Ravir, Et Sa Conversation Était Si

Attrayante, Son Esprit Si Charmant, Que Je Quittais Tous Les Jeux De Mon

Âge Pour L'aller Entendre Quand Elle Venait Chez Ma Mère. Quoique J'aie

Bien Peu De Mémoire, J'ai Encore Sous Mes Yeux Ce Type De Femme Aussi

Présent Que Si Je L'avais Quittée Hier, Je L'ai Cherché Partout Depuis,

Mais Sans Jamais Le Retrouver. Elle Était À La Fois Si Majestueuse Et Si

Affable, Si Bonne Et Si Gracieuse À Tous!... Aussi, Petits Et Grands,

Tous L'adoraient. Mlle Aïssé Devait Lui Ressembler. Mme De Calignon

Était Peut-Être Plus Capable De Dévouement, Car Sa Nature Était Plus

Exaltée. Elle Avait Autant D'esprit, Beaucoup Plus D'instruction, Des

Qualités Aussi Solides. C'était Aussi Une _Très-Grande Dame Dans Toute

Sa Personne_. Dans Toute Autre Famille Elle Eût Passé Pour Fort Jolie,

Et Je L'ai Vue Encore Charmante. Mais Ce N'était Plus Ce _Je Ne Sais

Quoi_

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