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Paix Se Fait, Comme Je Le Parie, Et Que La République Tienne,

Comme Je Le Désire, Je Ne Sais Si Mon Voyage En Allemagne Ne Sera Pas

Dérangé De Cette Affaire-Là, Et Si Je N'irai Pas Voir, Au Lieu Des

Stupides Brunswickois Et Des Pesants Hambourgeois, Les Nouveaux

Républicains;

 

  Ce Peuple De Héros Et Ce Sénat De Sages!»

 

Il Fit En Effet Le Voyage De Paris Dans Le Courant De 1795; Il Y Revint

Et S'y Établit En 1796. Nous Rejoignons Ici Le Début Du Piquant Article

De M. Loève-Veimars. Benjamin Constant N'a Pas Vingt-Neuf Ans; Il Passe

Au Premier Abord Pour Un Jeune Suisse Républicain Et Très-Candide, Il

Vient De Perdre À Peine Son Air Enfantin. Quelques Lettres D'un Émigré

Rentré Et Ami De Mme De Charrière Nous Le Peignent Alors Sous Son Vrai

Jour Extérieur; Nous Savons Mieux Que Personne Le Dedans:

 

«Paris, 11 Messidor (30 Juin 1795.)

 

«J'ai Vu Notre Compatriote Constant[205]; Il M'a Comblé D'amitiés...

Vous Avez Vu De Son Ouvrage Dans Les Nouvelles Politiques Du 6, 7, 8

Messidor... Benjamin Est De Tous Les Muscadins Du Pays Le Plus Élégant

Sans Doute[206]. Je Crois Que Cela Est Sans Danger Pour Sa Fortune. On

Fait Bien Des Choses Avec Un Louis De Lausanne Quand Il Vaut 800 Francs,

Et Que Les Denrées Ne Sont Point En Raison De La Valeur De L'or... Il Me

Paraît Conserver Ici La Même Existence D'esprit Que M. Huber Lui Avait

Vue À Lausanne. Il Ne Dit Rien. On Ne Le Prend Pourtant Pas Pour Un

Sot... _Tout Cela_ Voit Beaucoup Un Jeune Riouffe, Qui Est Auteur Des

_Mémoires D'un Détenu_, Qui Ont Eu De La Célébrité. Ce Riouffe Est

Extrêmement Aimable... Benjamin Est Logé Dans La Rue Du _Colombier_;

J'ai Cru Voir Dans Ce Choix Un Souvenir Sentimental.»

 

[Note 205: L'émigré Qui Écrit Ces Lettres À Mme De Charrière

S'était Fait Naturaliser En Suisse; C'est Pour Cela Qu'il Dit _Notre_

Compatriote.]

 

[Note 206: Tant Qu'avait Duré La Tendre Relation De Benjamin Constant

Avec Mme De Charrière, La Toilette N'avait Guère Été Un Article De

Volume 1 Title 1 (Portraits Littéraires, Tome 3) pg 156

Rigueur; Elle Lui Passait Volontiers Le Négligé. Lorsque Plus Tard Elle

Le Vit Devenir Muscadin, Elle Lui Dit Un Jour Tristement: «Benjamin,

Vous Faites Votre Toilette, Vous Ne M'aimez Plus!»]

 

«23 Messidor.

 

«... L'aimable Jeune Homme! Car Il Est Vraiment Aimable, Vu Avec

Beaucoup De Monde. Le Salon De L'ambassade Lui Vaut Mieux Que Le Petit

Cabinet De Colombier. Quand On Est Entouré De Beaucoup, On Veut Plaire À

Beaucoup Et On Plaît Beaucoup Plus. Vous Ne Serez Pas Fâché Contre

Moi, N'est-Ce Pas? Si Vous N'étiez Pas Si Sauvage, Que Vous Voulussiez

Rassembler Dans Votre Cabinet Vingt-Cinq Personnes, Que L'un Fût

Girondin, L'autre Thermidorien, L'autre Platement Aristocrate, L'autre

Constitutionnel, Un Autre Jacobin, Dix Autres Rien, Alors J'aimerais À

Voir Constant Écouté De Tous À Colombier Et Goûté Par Tous. Le Salon

D'ici Lui Va Mieux. S'il N'y Passait Que Deux Heures Par Jour, Il Serait

Pour Lui La Meilleure Étude. Mais, Hélas! Il Y Passe Dix-Huit Heures,

Il Ne Vit Plus Que Dans Ce Salon, Et Le Salon Le Fatigue, Il N'en Peut

Plus. Sa Santé Se Délabre, Son Physique Si Grêle Souffre Déjà; Cette

Taille, Qui Était Tout À Coup Devenue Élégante, Reprend Aujourd'hui

Cette Courbure Que Mlle Moulat[207] A Si Bien Saisie. Il Dit Qu'il Pense

À La Retraite: Il Soupire Après La Douce Solitude De L'allemagne... Je

Sors De Chez Lui. J'ai Mangé Des Cerises Avec Lui,... Il S'est Endormi

Au Milieu De Notre Déjeuner. Nous Avons Reparlé De La Soirée D'hier Et

De Ce Riouffe Dont Je Vous Ai Déjà Parlé. Il Est Impossible D'avoir Plus

D'esprit Que Ce Jeune Homme Et Une Expression Plus Heureuse. Ce Jeune

Homme A Été Persécuté Comme Girondin, Et Il Est L'admirateur Zélé Des

Grands Talents Qu'a Produits Ce Parti. Il Disputait Avec Un Constituant

Sur Le Mérite De La Gironde. Le Constituant, Comme De Raison,

L'attaquait, Mais Sans Raison Lui Refusait De Grands Talents. Tout

Cela Voulait Dire: J'ai Plus De Talent Que Vous, Monsieur Le

Girondin.--Riouffe, Au Milieu D'une Discussion Très-Orageuse, A Ainsi

Analysé Les Révolutions De France Depuis Cinq Ans:--«Il Y A Eu En France

Trois Révolutions: Une Contre Les Privilèges, Vous L'avez Faite; Une

Contre Le Trône, Nous L'avons Faite; Une Contre L'ordre Social, Elle Fut

L'ouvrage Des Jacobins, Et Nous Les Avons Terrassés. Vous Ébranlâtes Le

Trône Et N'eûtes Pas Le Courage De Le Renverser. Nous Soutenions L'ordre

Social, Et Nous Le Rétablissons.»

 

[Note 207: Elle Faisait Fort Bien Les Silhouettes.]

 

L'excellent Riouffe Se Donne À Lui Et À Ses Amis Un Rôle Qui Pourra Bien

Paraître Un Peu Flatté: On Assiste Là, Du Moins, Aux Conversations Du

Jour Et Au Premier Début De Benjamin Constant Dans Le Monde Politique.

De Retour En Suisse Dans Les Derniers Mois De Cette Année (1795), Il

N'avait De Pensée Que Pour Les Affaires Publiques Et Pour Paris. Il

Fit Ses Premières Armes De Publiciste En 1796, Et Lança La Brochure

Intitulée _De La Force Du Gouvernement Actuel Et De La Nécessité De S'y

Rallier_. On Y Trouverait Bien De L'ingénieux Et Aussi Du Sophisme; Nous

Sommes Trop Dans Le Secret Pour Ne Pas En Trouver Avec Lui. J'aime Mieux

Y Noter Une Sorte De Sincérité Relative, Un Accord Incontestable Entre

Les Opinions Qu'il Y Professe Et Celles Qu'il Nourrissait Depuis

Quelques Années. Il Parle Comme Un Républicain, Comme Un Constitutionnel

Franchement Rattaché Au Régime Du Directoire; Mais Nous N'avons Plus À

Le Suivre Désormais. Pour Clore Le Chapitre De Sa Relation Avec Mme De

Charrière, Il Suffira D'ajouter Que Celle-Ci Lui Pardonna Toujours, Lui

Écrivit Jusqu'à La Fin (Elle Mourut En Décembre 1805); Il Lui Répondait

Quelquefois. Elle Recevait Ses Lettres Avec Un Plaisir Si Visible, Que

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Cela Faisait Dire À Une Personne D'esprit Présente: «_Certains Fils Sont

Fins Et Deviennent Imperceptibles, Cependant Ils Ne Rompent Pas._» Il Se

Mêlait Bien À Ce Commerce Prolongé Un Peu De Littérature, Au Moins De Sa

Part À Elle, Quelques Commissions Pour Ses Ouvrages; Elle Le Chargeait

De Lui Trouver À Paris Un Libraire. Il Y Réussissait De Temps En Temps,

Il Lui Arrivait D'autres Fois De Garder Ou De Perdre Les Manuscrits.

 

La Dernière Lettre De Lui À Elle Que Nous Ayons Sous Les Yeux Est Du 26

Mars 1796, À La Veille De Son Départ Pour La France Dont Il Va Devenir

Décidément Citoyen; Elle Se Termine Par Ces Mots Et Comme Par Ce Cri:

«Adieu, Vous Qui Avez Embelli Huit Ans De Ma Vie, Vous Que Je Ne Puis,

Malgré Une Triste Expérience, Imaginer Contrainte Et Dissimulante, Vous

Que Je Sais Apprécier Mieux Que Personne Ne Vous Appréciera Jamais.

Adieu, Adieu[208]!»

 

[Note 208: La _Bibliothèque Universelle De Genève_ Des Années 1847 Et

1848 A Donné Depuis, _In Extenso_, Beaucoup De Ces Lettres Dont On Vient

D'avoir L'extrait Et L'esprit.]

 

Nous N'avons Pas Besoin D'excuses, Ce Semble, Pour Avoir Si Longuement

Entretenu Le Lecteur D'une Relation Si Singulière Et Si Intime, Pour

Avoir Profité De La Bonne Fortune Qui Nous Venait, Et Des Lumières

Inattendues Que Cette Correspondance Projette En Arrière Sur Les

Origines D'une Existence Célèbre. Benjamin Constant N'est Plus À

Connaître Désormais; Il Sort De Là Tout Entier, Confessant Le Secret

De Sa Nature Même: _Habemus Confitentem Reum_. On Se Demande, On

S'est Demandé Sans Doute Plus D'une Fois Comment, Avec Des Talents Si

Éminents, Une Si Noble Attitude De Tribun, D'écrivain Spiritualiste Et

Religieux, De Vengeur Des Droits Civils Et Politiques De L'humanité,

Avec Une Plume Si Fine Et Une Parole Si Éloquente, Il Manqua Toujours À

Benjamin Constant Dans L'opinion Une Certaine Considération Établie, Une

Certaine Valeur Et Consistance Morale, Pourquoi Il Ne Fut Jamais Pris

Au Sérieux Autant Que Des Hommes Bien Moindres Par L'esprit Et Par Les

Services Rendus. On Peut Répondre Aujourd'hui En Parfaite Certitude:

C'est Que Tout Cet Édifice Public Si Brillant, Si Orné, Était Au Fond

Destitué De Principes, De Fondements; C'est Que Le Tout Était Bâti Sur

L'amas De Poussière Et De Cendre Que Nous Avons Vu. Il Passa Sa Vie À

Faire De La Politique Libérale Sans Estimer Les Hommes, À Professer La

Religiosité Sans Pouvoir Se Donner La Foi, À Chercher En Tout L'émotion

Sans Atteindre À La Passion. Il Assista Toujours Par Un Coin Moqueur

Au Rôle Sérieux Qui S'essayait En Lui; Le Vaudeville De Parodie

Accompagnait À Demi-Voix La Grande Pièce; Il Se Figurait Que L'un

Complétait L'autre; Il Avait Coutume De Dire, Et Par Malheur Aussi De

Croire Qu'_Une Vérité N'est Complète Que Quand On Y A Fait Entrer Le

Contraire_. Il Y Réussit Trop Constamment; De Là, Malgré De Nobles

Essors Et Des Secousses Généreuses, Une Ruine Intime Et Profonde. Il

A Le Triste Honneur D'offrir Le Type Le Plus Accompli De Ce Genre De

Nature Contradictoire, À La Fois Sincère Et Mensongère, Éloquente Et

Aride, Chaleureuse Et Terne, Romanesque Et Antipoétique, Insaisissable

Vraiment: Telle Qu'elle Est, On N'en Saurait Citer Aucune De Plus

Distinguée Et De Plus Rare. C'est Bien Moins Le Blâmer Avec Dureté Que

Nous Voulons En Tout Ceci, Que L'étudier Moralement Et Pousser Jusqu'au

Bout L'exemple. Il A Commencé À Le Retracer, Nous Achevons. Qu'on Relise

Maintenant _Adolphe_.

 

15 Avril 1844.

 

 

Volume 1 Title 1 (Portraits Littéraires, Tome 3) pg 158

Note

 

Ce Travail Sur Benjamin Constant, Publié D'abord En Avril 1844, A Eu Des

Conséquences Qu'il N'est Pas Inutile De Noter. Il Produisit De L'émotion

Dans Le Cercle Charmant Et Distingué De L'abbaye-Aux-Bois, Et Mme

Récamier, Qui Avait Été Fort Rigoureuse À Benjamin Constant Vivant,

Crut Devoir À Sa Mémoire De Le Justifier Contre Des Vérités Sévères.

Le Résultat De Cette Première Émotion Fut La Biographie De Benjamin

Constant Dans La _Galerie Des Contemporains Illustres_, Par _Un Homme De

Rien_. M. De Loménie Prit En Main Avec Courtoisie La Cause De Benjamin

Constant, Et Il Fut En Cela L'organe De L'abbaye-Aux-Bois. J'ai Répondu

Quelques Mots À M. De Loménie, Et Cette Réponse Peut Se Lire Au Tome

Iii, Page 373, De Mes _Portraits Contemporains_ (1846). Mais, Non

Satisfaite Encore De Cette Première Apologie De Benjamin Constant

Qu'elle Avait Inspirée, Mme Récamier Songea À Faire Publier Les Lettres

Qu'elle Avait Reçues De Cet Homme Distingué, Autrefois Fort Amoureux

D'elle; Elle Confia À Cet Effet Un Choix De Ces Lettres À Mme Louise

Colet, Qui Devenait Ainsi L'avocate Officielle De L'ancien Tribun. La

Publication De Ces Lettres De Benjamin Constant, Commencée Dans Le

Journal _La Presse_ Après La Mort De Mme Récamier, A Été Interrompue Par

Un Procès Dans Lequel L'avocat De Mme Colet S'est Fait À Son Tour

Le Défenseur De Benjamin Constant Contre Ce Qu'il Appelait Nos

Interprétations

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