American library books » Foreign Language Study » Portraits Littéraires, Tome Iii Volume 1 by C.-A. Sainte-Beuve (best novels of all time txt) 📕

Read book online «Portraits Littéraires, Tome Iii Volume 1 by C.-A. Sainte-Beuve (best novels of all time txt) 📕».   Author   -   C.-A. Sainte-Beuve



1 ... 52 53 54 55 56 57 58 59 60 ... 101
Go to page:
Sans S'en Apercevoir_, Il La Suppose

Un Peu Trop Absorbée, Je Le Crois, Par Son Affection Pour Son Mari. Elle

Ne Se Serait Pas Si Bien Souvenue Après Coup De Tant De Circonstances

Flatteuses Dans _Valérie_, Si Elle N'y Avait Fait Attention Au Moment

Même. Le Coeur Des Personnes Romanesques, De Celles Qui Aiment Le

Raffinement Et L'amalgame, Est Capable De Plus D'une Attention À La

Fois.

 

Quoi Qu'il En Soit, Il Paraît Bien Que Ce Ne Fut Qu'à Copenhague, Où

Elle Alla En Quittant Venise, Que La Jeune Ambassadrice Fut Entièrement

Éclairée Sur Le Genre De Sentiment Qu'elle Avait Inspiré À M. De

Stakieff. Celui-Ci, En Sincère Et Véritable Amant, Avait Pu Se Contenir

Tant Qu'il Avait Vu L'objet De Son Adoration Rester Dans Une Sphère De

Pureté Et D'innocence; Mais Lorsqu'en Arrivant À Copenhague La Jeune

Femme, A Bout De Son Essai De Roman Conjugal Et Comme En Désespoir De

Cause, Se Fut Lancée Dans Les Dissipations Du Monde Et Le Tourbillon De

La Vanité, L'humble Adorateur N'y Tint Pas, Et, En Prenant La Résolution

De S'éloigner, Il Fit Sa Déclaration, Non Pas À Madame, Mais À M. De

Krüdner Lui-Même. «Ce Qui Est Inexplicable, Ce Qui Est Vrai Pourtant,

Lui Écrivit-Il, C'est Que Je L'adore Parce Qu'elle Vous Aime. Dès

L'instant Où Vous Lui Seriez Moins Cher, Elle Ne Serait Plus Pour Moi

Qu'une Femme Ordinaire, Et Je Cesserais De L'aimer.» M. De Krüdner,

Touché De Cette Lettre Comme Un Galant Homme Pouvait L'être, Fit Avec

Gravité Une Chose Imprudente: Il Montra Cette Déclaration À Sa Femme;

Et, En Croyant Stimuler Sa Vertu, Il Ne Fit Qu'irriter Sa Coquetterie.

Dès Ce Jour, Mme De Krüdner Se Mit Sur Le Pied De Ne Pouvoir Rien

Ignorer De Ce Qu'on Éprouvait Pour Elle.

 

Au Milieu De Cette Vie D'excitation Et D'élourdissement, Se Voyant

Atteinte De Crises Nerveuses Et Menacée D'une Maladie De Poitrine, Mme

De Krüdner Part Pour Paris Au Mois De Mai 1789; Elle N'y Était Venue Que

Tout Enfant, À L'âge De Treize Ans: C'est Donc Pour La Première Fois

Qu'elle Va Juger De Cette Ville, Qui Était Bien Véritablement Alors La

Capitale Du Monde. M. Eynard A Très-Bien Résumé Ces Premières Phases Du

Développement De Mme De Krüdner, Quand Il Dit: «Encore Enfant, À

Millau, Elle Ne Cherchait Que L'amusement; À Venise, Son Coeur Parle; À

Copenhague, Sa Vanité S'éveille; Mais C'est À Paris Que Son Intelligence

Semble Réclamer Ses Droits.» A Peine Y Est-Elle Arrivée En Effet, Que

Mme De Krüdner Recherche Les Savants Et Les Gens De Lettres En Renom,

L'abbé Barthélémy, Bernardin De Saint-Pierre. M. Eynard S'étonne Trop,

Selon Nous, Du Goût De La Curieuse Étrangère Pour Les _Voyages Du Jeune

Anacharsis_ Et Pour Leur Aimable Auteur. Il Ne Paraît Pas Soupçonner

Combien Ce Jeune Anacharsis, Qu'il Appelle _Un Scythe Glacé_, Dut

Volume 1 Title 1 (Portraits Littéraires, Tome 3) pg 162

Cet Ingénieux Ouvrage _Un Vieil Abbé, Membre De L'académie Des

Inscriptions_, Il Méconnaît L'hôte Spirituel De Chanteloup, Le Savant

Supérieur Qui, Entre Autres Choses, Savait Vivre, Savait Écrire Et

Causer. Quant À Bernardin De Saint-Pierre, On S'explique Aisément

L'enthousiasme Avec Lequel Mme De Krüdner Le Chercha D'abord Et L'espèce

De Culte Qu'elle Lui Garda Toujours. Il Avait Beaucoup Connu Autrefois

En Russie Le Maréchal De Münnich, Dont Elle Était La Petite-Fille; Mais

Surtout Il Résumait En Soi, Comme Écrivain, Les Qualités Et Les Défauts,

La Forme De Sentimentalité Naturelle Dont Elle Était Alors Idolâtre.

Avec Lui, Elle Se Disait Et Se Croyait De Plus En Plus Voisine De La

Nature, Et, Dans Le Même Temps, Elle Trouvait Moyen De Faire Un Compte

De 20,000 Francs Chez La Marchande De Modes De La Reine, Mme Bertin.

 

Durant Ces Années Et Toutes Celles Qui Suivent, M. Eynard,

Très-Différent En Cela Du Vulgaire Des Biographes, N'a Nullement Flatté

Son Héroïne; Il Ne Craint Pas De Nous La Montrer Dans La Contradiction

Et Le Désordre Des Sentiments Qui L'agitent Et Qui, Plus D'une Fois,

L'égarent. Il Est Si Sûr De Nous La Présenter Ensuite Parfaitement

Convertie, Qu'il S'inquiète Peu De Nous La Voiler Avec Grâce Comme

Pécheresse. L'avouerai-Je? En Le Lisant, J'ai Senti La Mme De Krüdner

Que J'aimais Perdre Quelque Chose De Son Attrait Et De Son Mystère. M.

Eynard A Sans Doute Ajouté À L'idée Qu'on Peut Prendre D'elle Sous Sa

Dernière Forme Et À Son Importance Comme Prêcheuse, Mais Il A Ôté À Son

Premier Charme.

 

Dussé-Je Me Juger Moi-Même Et Trahir Mon Faible, Ce N'est Pas

Précisément La Sainte Que Je M'étais Accoutumé À Aimer Dans Mme De

Krüdner: La Sainte, Chez Elle, Je Ne Voudrais Ni La Railler Ni La

Serrer De Trop Près, Mais Je Ne Puis Non Plus La Prendre Tout À Fait Au

Sérieux; La Part D'illusion Y Est Trop Manifeste. Sa Charité Me Touche,

Sa Facilité Et Parfois Sa Puissance De Parole Mystique M'étonne Et Me

Séduit; Mais, Tout En Me Prêtant À La Circonstance Et En Ayant L'air De

Suivre Le Torrent, Je Me Réserve Le Sourire. Ce Que Décidément J'aimais

Dans Mme De Krüdner, C'est L'auteur Et Le Personnage De _Valérie,_ La

Femme Du Monde Qui Souffre, Qui Cherche Quelque Chose De Meilleur, Qui

Aura Un Jour Sa Conversion, Sa Pénitence, Sa Folie Mystique; Qui Ne Fa

Pas Encore, Ou Qui N'en A Que Des Lueurs; Qui N'a Renoncé Ni Au Désir De

Plaire; Ni Aux Élégances, Ni À La Grâce, Dernière Magie De La Beauté;

Qui Se Contredit Peut-Être, Qui Essaie De Concilier L'inconciliable,

Mais Qui Trouve Dans Cette Impossibilité Même Une Nuance Rapide Et

Charmante Dont Son Talent Se Décore. La Prophétesse, La Sainte Dans Le

Lointain Ne Nuisait Pas, Mais Dans Le Lointain Seulement. La Figure De

Valérie, Encore Belle, Se Détachait Sur Ce Fond De Vapeur.

 

Cette Figure De Valérie, Qui Nous Était Surtout Chère, Se Trouve

Sacrifiée Chez M. Eynard, Qui Se Soucie Moins Que Nous De L'intérêt

Poétique, Et Qui Croit Que L'aimable Romancier A Fini Par Guérir

Radicalement De Sa Chimère, Par Obtenir En Don L'entière Vérité. Il

Raconte D'une Manière Intéressante, Mais Intéressante À Regret, En

S'attachant À Marquer Son Dégoût Et À Exciter Le Nôtre, La Grande

Aventure De Coeur De Mme De Krüdner, Durant Son Séjour À Montpellier

(1790), Sa Première Faute Éclatante, Sa Passion Pour M. De Frégeville,

Alors Officier Brillant De Hussards, Et Que Plus Tard Il Rencontra

Lieutenant-Général Cassé De Vieillesse. J'ai Vu En Tête D'une Édition

Des _Lettres Portugaises_ Un Portrait De M. De Chamilly, Devenu Maréchal

De France, Qui Représentait Bien Ce Grand Et _Gros_ Homme Dont Parle

Saint-Simon: M. De Chamilly Était Certes, À Cette Époque, Aussi Peu

Volume 1 Title 1 (Portraits Littéraires, Tome 3) pg 163

Romanesque D'apparence, Aussi Peu Ressemblant Au Jeune Lui-Même

D'autrefois Que Dut Le Paraître Le Général De Frégeville À M. Eynard,

Quand Celui-Ci Le Rencontra À L'improviste Dans Un Salon De Paris. «Je

Fus Présenté Au Général, Dit M. Eynard; Je Le Vis Plusieurs Fois Et

Toujours S'attendrissant Au Souvenir De Mme De Krüdner. Je M'étais

Imposé Une Entière Réserve Sur Des Faits Qui Pouvaient Humilier Un

Vieillard...» Que L'excellent Biographe Me Permette De L'arrêter Ici

Pour Un Simple Mot: _Humilier Un Vieillard!_ Et Pourquoi Donc? Je

Conçois Le Sentiment De Discrétion Et De Délicatesse Qui Fait Qu'on

Hésite À Toucher À De Vieilles Blessures Et À Remuer Les Cicatrices D'un

Coeur; Mais Ce Mot _Humilier_ En Pareil Cas N'est Pas Français: Tant Que

La Dernière Source, La Dernière Goutte Du Vieux Sang De Nos Pères N'aura

Pas Tari Dans Nos Veines, Tant Que Notre Triste Pays N'aura Pas Été

Totalement _Régénéré_ Comme L'entendent Les Constituants Et Les

Sectaires, Il Ne Sera Jamais Humiliant Pour Un Homme, Même Vieux,

D'avoir Aimé, D'avoir Été Aimé, Fût-Ce Dans Un Moment D'erreur. On

Pouvait Hésiter À Prononcer Le Nom De Mme De Longueville Devant M. De La

Rochefoucauld, Mais Au Pis Cela Ne L'humiliait Pas. M. Eynard Me Dira

Que C'est Dans Le Sens Chrétien Qu'il Parle; Je Le Sais; Mais Je Ne

Voudrais Pas Que, Dans Une Vie Comme Celle Qu'il Nous Expose Si Bien,

L'expression Même La Plus Rigoureuse Parût Choquer Une Nuance Sociale,

Une Nuance Féminine. Je Vais Continuer De Lui Paraître Bien Léger En

Telle Matière; Mais Je Suis Persuadé Que Mme De Krüdner, Déjà Convertie,

Eût Été Choquée Elle-Même, Au Milieu De Tous Ses Repentirs, Qu'on Vînt

Dire Que L'homme Qu'elle Avait Un Jour Aimé Pût Être _Humilié_ À Ce

Souvenir.

 

Et Puisque J'en Suis Sur Cet Ordre De Critiques, Je Me Permettrai De

Trouver Encore Que M. Eynard Traite Bien Durement Le Spirituel Comte

Alexandre De Tilly, «Un Homme Que Ses Ridicules Mémoires, Dit-Il, Ont

Livré Au Mépris Des Uns Et À La Pitié Des Autres.» On A Assez Le Droit

D'être Sévère Pour Le Comte De Tilly, Sans Qu'il Soit Besoin D'en Venir

À Ces Extrémités De Dédain Qui Passent La Justice; D'autres Diraient,

Qui Blessent La Charité. J'ai Rencontré Des Gens De Goût Moins Sévères.

Les Jolis Mémoires Qu'a Laissés Tilly Peuvent Bien Ne Pas Être

Très-Édifiants, Ils Ne Sont Certainement Pas Ridicules. Mais C'est Au

Sujet Du Prince De Ligne Surtout Que M. Eynard Me Paraît Sortir Du Vrai.

On A Dit De Cet Aimable Vieillard Qu'il N'avait Jamais Eu Que Vingt Ans;

Il Avait Quatre-Vingt-Un Ans Qu'il Se Croyait Jeune Encore. Un Jour, Une

Nuit De Décembre, À Vienne, Après Quelques Heures Passées Dans L'attente

De Je Ne Sais Quel Rendez-Vous, Il Rentra Chez Lui Avec La Fièvre, Et

L'idée De La Mort Se Présenta Brusquement À Lui. Il Essaya D'abord De

Chasser L'apparition Funèbre, De L'exorciser Gaiement; Il Rappela En

Plaisantant Les Vers Badins Que L'empereur Adrien Mourant Adressait À Sa

Petite Âme. Mais Vers Le Milieu De La Nuit Sa Tête Se Prit; Il Eut Un

Accès De Délire, Durant Lequel Il Proféra Quelques Mots Sans Suite,

Qui Semblaient Se Rapporter Aux Propos De La Veille: «Fermez La Porte!

Va-T'en!... La Voilà Qui Entre! Mettez-La Dehors, La Camarde... La

Hideuse!...» Puis Il Mourut Une Heure Après. M. Eynard N'a Pas De Termes

Assez Forts Pour Flétrir Ce Qu'il Appelle Cette _Épouvantable_ Mort, Et

Il Y Voit Un Tableau _Aussi Lugubre Que Saisissant_. C'est Ainsi Que

Parlerait Nicole; C'est Ainsi Que Bossuet Parle De L'horrible Fin De

Molière. Je Conviendrai Sans Peine Qu'il Est De Plus Belles Morts Que

Celle Du Prince De Ligne; Mais, À Moins De Se Placer Au Point De Vue De

L'éternité (Chose Toujours Rare), On Devra Convenir Aussi Qu'il Est Peu

De Morts Plus Aisées Et Plus Douces. Évitons Les Exagérations. Il

Est Deux Points Qui M'ont Toujours Choqué Chez Mes Meilleurs Amis

Jansénistes, C'est Quand Ils Insistent Sur La Damnation Des Enfants

Morts Sans Baptême, Et Sur Celle Des Vieillards Morts Sans Confession.

M. Eynard, Qui Est Peut-Être Choqué De Ces Deux Duretés Autant Que Nous,

N'a Pas Besoin À Son Tour, Pour Nous Toucher, De Recourir Aux Couleurs

Outrées Ni Aux Contrastes. Pour Nous Convier À Bien Mourir, Qu'il Nous

Peigne Une Belle Mort, Et Qu'il Ne Nous Présente Pas Surtout Comme

Affreuse Une Fin Que Beaucoup D'honnêtes Gens Non Croyants Seraient

Plutôt Tentés D'envier.

 

Je Me Laisse Aller À Dire La Vérité Comme Moi-Même Au Fond Je La Sens.

M. Eynard Me Le Pardonnera, Il M'y A Presque Obligé En Se Plaçant Sur Ce

Terrain D'exacte Vérité Et En M'y Appelant Avec Lui. Je Ne Demande

Pas Mieux, En Général, Quand Je Fais Un Portrait De Femme, Et, En

Particulier, Un Portrait Comme Celui De Mme De Krüdner, De Ne

1 ... 52 53 54 55 56 57 58 59 60 ... 101
Go to page:

Free e-book: «Portraits Littéraires, Tome Iii Volume 1 by C.-A. Sainte-Beuve (best novels of all time txt) 📕»   -   read online now on website american library books (americanlibrarybooks.com)

Comments (0)

There are no comments yet. You can be the first!
Add a comment